Amours et familles interdites : Blancs et Noirs à l'île Bourbon (La Réunion) ...

Recension rédigée par Josette Rivallain


Cet ouvrage est la publication d’une thèse très documentée. A travers l’étude de différents cas, l’auteur, Sabine Noël, nous plonge dans deux siècles d’une histoire complexe de la société réunionnaise, l’arrêtant à 1848, date de l’abolition de l’esclavage. Pour mener à bien ce travail, elle a consulté un grand nombre de sources archivistiques, à la Réunion, à Aix, aux ANOM, à  La Rochelle, aux Archives de la Charente maritime, à Paris, aux Archives nationales et à la Bibliothèque nationale de France, les complétant par la lecture de récits de voyages et de diverses études afin de préciser le statut compliqué des habitants de l’île, la structure de la société, les cultures portées par ses membres, ainsi que les nombreux supports de la vie matérielle, tel l’habitat.

Dans ce monde composé de blancs et de noirs, rien n’est simple, même si les noirs ont pour statut d’être esclaves, en vertu de la structure de la société de l’époque.

Le peuplement de l’île résulte de sa position d’escale sur la route des épices où, peu à peu, voyageurs occidentaux et main d’œuvre amenée d’Afrique vont s’installer selon les codes de la société coloniale de l’époque. Le mode d’organisation convenu étant difficile à vivre comme tel, les habitants trouvèrent des parades pour vivre au moins mal, sans apparemment déroger aux règles convenues, car ces règles n’autorisaient pas d’union entre blancs et noirs. Dans la réalité vécue, il en allait tout autrement. Toutefois, dès 1830, les mariages ont été autorisés entre membres des deux communautés, mais les mentalités changent lentement, laissant longtemps ignorés les métissages.

Cette période a connu des relations affectives durables et l’auteur a littéralement pisté l’information, trop souvent informelle, car malgré les interdits, les métissages sont anciens. Afin de disposer d’informations un peu voisines, l’auteur a établi des parallèles entre les règles et les modes de vie insulaires de l’Atlantique et de l’Océan Indien, s’autorisant ainsi à reconsidérer la vie des familles dans ces deux mondes. En examinant le cas de plusieurs familles à travers la reconstitution d’arbres généalogiques, elle a cherché à percevoir la façon dont les familles contournaient les règles juridiques et sociales, réussissant à transmettre un patrimoine, un patronyme, et à doter les filles.

Dans la première partie du livre, l’auteur insiste sur les interdits concernant les mariages mixtes, homme blanc, femme noire ou homme noir, femme blanche. A la fin de l’Ancien Régime, le système s’assouplissait, ce qui fut confirmé par le Code civil. Alors, il y avait des mariages mixtes, souvent tardifs, une fois le conjoint esclave affranchi. Les enfants se retrouvaient sous l’étiquette « d’adoptés », ou bien, les naissances n’étaient pas déclarées ou l’étaient frauduleusement.

Dans la deuxième partie est abordée la question de la transmission : malgré les règle en vigueur, le père tenait à transmettre son patronyme, ses biens, à assurer protection et éducation à ses enfants parfois au travers de la mise sous tutelle. Le patrimoine pouvait être transmis par testament, ce qui offrait l’occasion d’affranchir, même si cette solution risquait d’être contestée.

La troisième partie s’appuie sur la reconstitution d’arbres généalogiques : faire ressortir le passé de quelques familles a été possible en remontant le temps à travers l’approche de la connaissance du patrimoine, notamment à Saint-Denis et à Saint-Paul où les conditions climatiques et physiques sont différentes, à travers les dates des ventes fictives, des testaments.

Les modèles normatifs des familles de France ne peuvent y être la règle, aussi échappent-ils aux règles établies et l’on compte un nombre important d’hommes célibataires. Le modèle imposé est de s’unir entre familles pour accroître le patrimoine. A La Réunion, les hommes n’en ont cure, au contraire, ils paient pour affranchir leur aimée et leurs enfants.

Les colons sont au départ des officiers, des employés, des arpenteurs, des ingénieurs. D’autres sont des habitants et des planteurs de souche. Certains sont des descendants de flibustiers, parfois nobles de haut rang, parfois protestants, francs-maçons, souvent très cultivés et soucieux d’éduquer leurs enfants.

Les familles mixtes mènent une vie cachée, aspirent à une vie conjugale et à un bonheur tout simple. La solidarité qui a pu exister entre elles n’a pas encore été étudiée, ce qui demanderait une relecture des archives, notamment autour des transactions menées entre colons blancs, mais au-delà ? Il faut reprendre les actes notariaux car ces derniers ont servi à protéger les familles. Sans oublier les rapports administratifs, les récits de voyages, la correspondance, les journaux…

Cela pose la question de la place de l’esclave dans la société et leur non recherche de l’abolition du système, le statut social reposant sur la possession d’esclaves. Les femmes n’y ont pas la parole : ce sont les pères qui prennent les enfants en charge dès la naissance.

Il ressort que les relations entre les groupes sont très complexes.