Jean Clédat en Égypte et en Nubie, 1900-1914

Recension rédigée par Henri Marchal


En 1900, au moment où Jean Clédat (1871-1943) arrive au Caire, beaucoup reste à découvrir en Egypte. Natif de Périgueux, intéressé de bonne heure aux civilisations orientales, il avait été appelé dans le pays par Gaston Maspero, le directeur de Service des Antiquités, qui pour l’avoir repéré pour ses aptitudes en langues et en dessin le lance dans une aventure qui durera une quinzaine d’années. C’est un tableau de l’archéologie et de ses acteurs que nous livre l’égyptologue à travers ses notes, ses dessins et ses photos et que Cédric Meurice nous restitue avec talent. Pourtant cette publication n’aurait pas pu voir le jour sans les investigations d’Eliane Gaillard, ancienne chargée de mission auprès de la section copte du Louvre, qui avait retrouvé ses archives en 1988 et sans le don de cette documentation qui fut ensuite consenti au musée.

Les documents consultés ont permis à l’auteur de distinguer trois axes parmi les recherches entreprises et de définir ainsi le plan de son ouvrage. La première partie expose le cadre de vie et d’action dans lequel Jean Clédat mène ses travaux. Dans la deuxième partie, on découvre l’égyptologue à l’œuvre sur le terrain avec une inflexion dans l’orientation de ses activités. Une troisième partie évalue ses trois derniers projets qu’il ne réussira pas à mener à leur terme.

Sans pourtant ignorer les monuments pharaoniques, ses premières reconnaissances font sortir de l’oubli les vestiges chrétiens repérés le long du Nil. Il dresse l’inventaire des monastères coptes situés en Moyenne et Haute Egypte; il s’attarde, entre autres, sur les couvents de Sohag et d’Assouan et poursuit jusqu’en Nubie. Deux parmi les sites explorés sont exclus de cet ouvrage pour avoir déjà fait l’objet de publications séparées : Baouit auquel pour l’avoir découvert le nom de Clédat est durablement attaché (voir Dominique Bénazeth et Marie-Hélène Rutschowscaya - 1999), et Eléphantine, repéré pour y avoir conservé les traces d’une immigration juive (sous la direction d’E. Delange - 2012).

A partir de 1909, il est engagé par la Compagnie du Canal de Suez qui est saisie par la passion de l’archéologie en la personne de son président, le prince d’Arenberg; il est alors lié scientifiquement aux zones qui intéressent son employeur en Basse Egypte et au Nord du Sinaï. Au cours de ses expéditions sur l’isthme de Suez, il se rend notamment sur les ruines de la cité antique d’Ostracine, découvertes sur le site d’el-Flouseyya. Il observe que la forteresse était protégée par un réseau de fortins satellites et qu’elle abritait des salles à décor chrétien et vraisemblablement à vocation monastique. Il a le bonheur d’y mettre au jour une basilique byzantine qui sera le plus grand édifice religieux de sa carrière en même temps que sa dernière grande découverte sur le sol égyptien. La primauté qu’il accorde désormais à ces régions lui inspire trois projets qui resteront inachevés. Il défend d’abord l’idée de réunir dans un musée à Ismaïlia les objets qu’il a recueillis dans la région du canal. Après bien des déconvenues liées à la Première Guerre Mondiale, le musée ne sera construit qu’en 1934, soit bien après son départ d’Egypte. L’inventaire des œuvres qu’il avait rassemblées n’a pas été retrouvé; il a fallu le reconstituer et grâce à ses fiches. C. Meurice est parvenu à établir une liste des objets conservés à Ismaïlia en 1914 (Annexe IV). Ses efforts se portent ensuite sur la carte géologique et archéologique de la région, mais se solde également par une déception pour n’avoir pas été estimés à leur juste mesure. A son retour en France, son dernier projet relatif à une Etude historique et géographique de la province orientale d’Egypte se heurte à des difficultés qui le réduiront à écrire des articles de synthèse et, ce faisant, à vider de sa substance son programme initial.

Quelle appréciation porter sur l’œuvre de Jean Clédat en Egypte? Ses centres d’intérêt sont multiples; ils fluctuent en fonction des financements obtenus et des demandes de ses différents employeurs. Ses avancées n’en sont pas moins réelles dans le domaine pharaonique et pour les périodes tardives. Les études des monuments rencontrés s’éclairent les unes les autres suivant la progression de ses recherches. Mais, en voulant brasser une masse d’information trop grande pour un seul homme, il finira écrasé par des obligations trop diverses.

En retour, il faut reconnaître que ses observations sous forme de notes, de dessins et de photographies servent à saisir un pays en pleine transformation. Elles décrivent les campagnes, les populations, les techniques agricoles, l’industrialisation (sucre et coton), les paysages. Cet intérêt est renforcé par la variété des régions traversées du delta au désert.

En définitive, en travaillant patiemment sur une documentation abondante et inédite, C. Meurice nous dresse le portrait d’un chercheur solitaire, enthousiaste et curieux, épris de découverte et de savoir, qui fut victime de son éparpillement.