Une femme algérienne : au fil de la résistance, j'écris ton nom, témoignage

Recension rédigée par Christian Lochon


Ayant étudié en Russie, Horria Saïhi est intégrée à la Radiotélévision algérienne en 1985 (p.33). Elle rend hommage dans ses films « Yemma Zahra, Tahia El Djezaïr, Algérie en femmes » (p.303), « Amal ou le refus du silence » (p.358) aux résistantes au terrorisme islamiste. Elle participera à toutes les manifestations publiques contre le radicalisme islamique dans son pays devant les caméras algériennes et étrangères (p.421). En 2001, elle est abusivement renvoyée de la Télévision algérienne. Elle s’exile alors en France. Elle estime comme Mohamed Boudiaf qu'« on ne peut pas dialoguer avec les terroristes, leurs complices et alliés » (p.273). Cet ouvrage écrit en hommage aux victimes du FLN et du FIS incitera les lecteurs à ne pas les oublier (p.357).

En ce qui concerne l’État algérien, seuls les membres du FLN ont droit aux responsabilités, comme le stipule le règlement du Parti mais pas de l’État (p.56).  L’électorat actuel FLN évalué selon les résultats des dernières élections présidentielles de décembre 2019, représente 58% des voix des 40% qui ont voté, soit 23% environ.  Comme le prouvent les Accords de Sant' Egidio de janvier 1995 signés par le FLN, le FIS, le FFS, le Parti des Travailleurs, le FLN s'appuie sur les radicaux islamistes (p.234). Leila Aslaoui désapprouve l'Accord au nom des démocrates (p.455). Le FLN appliquera la censure grâce à l’article 120 de la nouvelle Constitution (p.51) que Bendjedid fait voter au Congrès de juin 1980 pour « contrôler les organisations de masse » (p.34). En fait, les responsables politiques méprisent le peuple mais craignent l'Occident (p.66). Le FLN s'appuie sur les gros propriétaires terriens qui dominent dans les assemblées populaires communales (p.27) après s'être approprié les terrains confisqués par la Révolution agraire de Boumedienne. Cette privatisation des exploitations agricoles, conduite par les dirigeants FLN, obligea les paysans à céder leurs terres (p.83). Un militant paysan regrettera en 2019 que « les coopératives de blé, de farine et d'orge aient été divisées. Maintenant tout est importé de l’étranger. Nous ne produisons plus rien » (p.92). D'autre part, de nombreuses grandes entreprises nationales sont démantelées sous prétexte d’ingérabilité sous Chadli. La politique économique égalitaire est abandonnée (p.57). Cadres et syndicalistes sont affaiblis (p.58). Puis l’incarcération massive des cadres de la nation, la sélective « moralisation de la vie publique » nourrissent  la corruption et la mafia en Algérie » (p.71). Les employeurs anciens moudjahids n’hésitent pas à menacer de fermeture et de mise au chômage de leur personnel pour conserver leurs avantages, s’appuyant sur des pressions policières pour faire cesser les activités des syndicalistes du Parti d’Avant-Garde Socialiste, créé en 1965 (p.53).

L'auteure donne la parole à 24 militants démocrates, dont seulement 3 femmes, deux enseignantes, Chafika Ghoul (p.169), Leïla Tabet (p.328) et une journaliste Amel Boumedienne (p.264). Les entretiens ont eu lieu en Algérie et à Paris. On découvre ainsi la résistance des employés dans l'immeuble bunkerisé de la Télévision Nationale (p.241) ; ils y dorment dans des dortoirs sécurisés et se rendent sur les lieux de tournage dangereux. En dépit des menaces islamistes, les journalistes algériens défendront une presse républicaine en payant de leur vie (p.259). Mais la presse officielle des années 1980 réduisit la violence des islamistes aux faits-divers, justifiant les actes criminels de vertueux pères de famille remontés contre la vie dissolue des femmes (p.173). Horria est empêchée de tourner son film Non à l’intolérance (p.180). Amel Boumedienne affirme qu’elle voulait éradiquer les criminels après avoir « vu des bébés déchiquetés, des hommes âgés la gorge entaillée. Puis Bouflelika mit en place la politique de l’oubli au point que les jeunes ne savent plus ce qui s’est passé. Ils regardent la télévision financée par les descendants d’Hitler » (p.264). Le Mouvement démocratique et social réclamera, en octobre 1999, la rupture radicale avec l’intégrisme, une révision de la Constitution séparant le politique du religieux, consacrant l’algérianité comme reconnaissance de l’identité (p.301). H.Saïhi en rappelant que dans l’État islamique, les femmes doivent être alignées, voilées, aliénées, que des fatwas rendent licite l’enlèvement, le viol, l’élimination physique, conclut : «Voir cet étalage de hijab, jilbab, khimar dans les villes et hameaux est une insulte aux jeunes filles et aux femmes de mon pays qui veulent vivre, libres de leurs mouvements, les cheveux au vent» (p.327). En 1985 et 1986, les lycéens d’Alger puis de Constantine protestent contre l’introduction de l’instruction politique et de l’éducation religieuse dans le programme du baccalauréat (p.98). Le dramaturge Kateb Yacine, figure de proue de la résistance démocratique, journaliste à Alger Républicain, fut expulsé de la Télévision algérienne, mais ses pièces étaient jouées dans toute l’Algérie. En 1978, il devient directeur du Théâtre de Sidi Bel Abbès (p.153). Mort en octobre 1989, il demeura ostracisé par le Pouvoir algérien comme Rachid Mimouni, Rachid Boujedra, Tahar Ouattar, le cinéaste Mahmoud Zemmouri, le comédien Mohamed Fellag (p.157). Pour ces victimes de l’État FLN, le Comité National contre la torture, créé le 17 octobre 1988, édita Le Cahier Noir de 177 pages dactylographiées qui révéla que la torture était programmée dans toute l’Algérie (p.134). Les victimes seront identifiées comme « accidentées du travail » (p.137). Le 19 novembre 1986, Rachid Benbrahim, réalisateur à la RTA est arrêté et torturé (p.114). De nombreuses pétitions en Algérie, en France (Jack Lang), en Allemagne (Margarete von Tretta) le feront libérer le 9 mars 1987 (p. 123). Ladani Chaïb, en octobre, subit la fallaqa, bastonnade sur les pieds (p.129). Nourredine est émasculé (p.132). Saci Belgat, agronome, attaché à une poutre par les mains et les pieds est rué de coups par des tortionnaires, qui lui plongent la tête dans une bassine d’eau jusqu’à l’étouffement (p.143). En février 2019, les jeunes manifestants du Hirak, qui n'ont pas connu la lutte contre l'islamisme politique, voudront faire tomber à leur tour le Système FLN (p.43) et rompre avec la gestion sociale et économique désastreuse de Bouteflika (p.432).

L'auteure montre la montée de l'islamisme politique lorsque Chedli promulgue le Code de la Famille en 1984, afin d'être soutenu par les islamistes (p.148). En 1995, Liamine Zeroual signera une Ordonnance de clémence pour ceux qui déposeraient leurs armes (p.231). En fait, les islamistes empêchent les femmes de travailler comme ouvrières dans les usines, parce que leur but est de mettre en échec la mixité « occidentale » (p.166). Le Syndicat Islamique du Travail, créé en 1990 par le FIS est plus prosélyte que revendicatif des droits des travailleurs. Pour islamiser la télévision nationale il imposera les prières quotidiennes et fera porter le hijab aux employées. Aux élections législatives, en juin 1991 (p.208), le FIS obtient 188 sièges sur 420. Le processus électoral est bloqué mais les destructions et sabotages effectués par le FIS dans la décennie 1990 coûteront 16 milliards (d’euros ?) 700.000 travailleurs de 30.000 entreprises publiques perdirent leur emploi (p.74). Horria évoque la mémoire des 200.000 Algériennes et Algériens assassinés au nom de l’islamisme politique (p.435). Policiers, évoqués dans le martyrologe (p.399) et gendarmes furent massacrés comme les artificiers auxquels Horria consacra son film Le fil de la vie qui racontait leurs exploits en 1999 mais fut interdit de diffusion (p.397). Quant aux conscrits de l’armée nationale, ils furent sacrifiés par les miliciens (p.356), qui récupéraient les tenues des soldats tués et les revêtaient aux barrages pour faire croire que les massacres étaient effectués par l’armée (p.358). Les familles visées étaient celles dont un enfant accomplissait le service militaire. L'auteure donne la parole à la mère d’un jeune soldat atrocement mutilé, Zoubida, qui ne peut « oublier cette barbarie commise au nom de l’islam » (p.359).

Le lecteur après avoir consulté la bibliographie (p.463-467) regrette que de nombreux sigles manquent dans le lexique (p.459), l'absence d'un glossaire des personnes citées, l'orthographe à corriger par l'éditeur dans les prochaines éditions, exprimera à Horria son admiration pour ses révélations courageuses, son combat multiforme pour la liberté et ce mémorial si émouvant dédié aux victimes de l'intolérance.

Un témoignage bien utile aux citoyens français confrontés à la montée de l'islamisme politique.