Circulations savantes entre l'Europe et le monde (XVIIe-XXe siècle)

Recension rédigée par Josette Rivallain


Sous la direction de Thomas Préveraud, cet ouvrage collectif est né d’une journée d’études qui s’est tenue à l’Université de Nantes, associant des chercheurs en histoire, en histoire de sciences et technique, en histoire de la danse et en sociologie. Dans une perspective temporelle longue, tous ont insisté sur la construction de l’identité à travers la circulation des savoirs, des idées et sur les pratiques produites dans les champs scientifiques, techniques ou culturels entre espaces européens et extra-européens.

En fait, depuis la Renaissance, l’Europe détient un réel ascendant sur le développement des sciences et des techniques, et, ici, cet ouvrage s’attache à présenter tout particulièrement des aspects des échanges entre l’Europe, les Antilles et l’Amérique du Nord. Les auteurs analysent les mécanismes de la circulation intellectuelle et matérielle, usant d’angles d’approche destinés à repenser les champs disciplinaires nationaux au contact des échanges transnationaux.

Egalement, ils offrent la possibilité de questionner les causes de la polarisation traditionnellement nationale de la production savante. Ils nous font suivre six trajectoires très différentes, un peu inhabituelles, communes aux savoirs, aux pratiques scientifiques, techniques et culturelles entre espaces européens et extra-européens :

- les techniques de raffinage du sucre au XVIIe siècle,

- la géométrie et l’astronomie transmis en pays d’islam au XVIIIe et XIXe siècles,

- la pratique des sciences expérimentales à la charnière des XVIIIe et XIXe siècles,

- les procédés de synthèse de l’ammoniaque le long de la vallée ligérienne, dans les années 1950,

- le développement des champs disciplinaires incarcérés institutionnellement

- ou par des pratiques militaires.

Tous les auteurs soulignent le rôle primordial de l’écrit : en circulant, il s’internationalise, est traduit, permettant le déplacement à distance des savoirs. Ceci est  concomitant avec le développement des échanges internationaux.

D’autre part, les auteurs insistent sur l’évolution engendrée par ces contacts entre l’Europe et le reste du monde,  l’observation des supports physique du transfert, toujours très liés aux acteurs de la circulation ainsi qu’aux liens de sociabilisation dans lesquels ils évoluent : d’abord académies, universités dans l’univers européen ; puis, au XIXe siècle, les savoirs se redéployent vers les usines, les entreprises, les métropoles, les associations. Ainsi, les passeurs de savoir présentent une grande hétérogénéité de parcours, de formations, et agissent à distance, rédigeant des publications, envoyant des spécimens. Ces vastes mouvements, grâce aux transferts, engendrent des  créations nouvelles, des adaptations jusque là insoupçonnables des savoirs entre les acteurs eux-mêmes et font naître des mécanismes variés. L’Europe apparait être bien plus qu’un centre rayonnant : elle reçoit et repense les connaissances diffusées.

Un autre aspect ne peut être négligé : le poids des récits fondamentaux de la science dont notre culture est porteuse, s’exprimant autour d’acteurs et de corpus théoriques tutélaires, que certains réussissent à synthétiser et à redéployer. L’histoire du raffinage du sucre en est un exemple concret : au XVIIe siècle, il fut mis au point dans l’Europe du nord, puis il se répandit dans de nombreuses régions du monde. Les échanges pratiqués entre raffinages antillais, hollandais, français de métropole révèlent des circuits croisés, les points d’émission et de réception restant très adaptables aux réalités et aux nécessités.

Et c’est ainsi que s’est constituée une communauté mondiale de scientifiques.