Vanuatu : oscillation entre diversité et unité : actes du colloque du 28 et 29 avril 2016, Port-Vila (Vanuatu)

Recension rédigée par Jean Martin


Si l’on en croit la classification HPI (Happy Planet Index) le Vanuatu a été classé comme le pays le plus heureux du monde. Cet archipel, dépourvu de richesses naturelles, est pourtant éprouvé par la pauvreté et les denrées importées, souvent d’Australie, y coutent assez cher. Nous n’en gardons pas moins un souvenir ébloui des quelques trop brefs séjours qu’il nous a été donné d’y faire.

Une équipe d’enseignants-chercheurs de diverses disciplines de l’Université de Toulouse 1-Capitole s’intéresse apparemment d’assez longue date à cet Etat archipélagique et a même patronné la fondation, à Port Vila, d’une antenne délocalisée qui assure la préparation à la licence AES.

Le présent ouvrage regroupe les communications présentées au colloque qui s’est tenu à Port-Vila les 28 et 29 avril 2016, précisément à l’initiative d’UTI-Capitole. Michèle Boubay-Pagès, maître de conférences en droit public, en assuré la coordination.

Colloque pluridisciplinaire comme il se devait puisqu’il est consacré à un modeste pays de 280.000 habitants, mais de plus de  80îles, où se côtoient des langues, des confessions, des coutumes et des cultures assez diverses,  compte tenu aussi de la variété des centres d’intérêt des intervenants, géographes, historiens, juristes, sociologues.

Dans son discours de bienvenue, le chef Malfatumaori, président du conseil des chefs, nous rappelle que cette diversité est garante de l’unité du pays et de la paix qui y règne. Puisse-t-il être entendu.

La première partie (première journée) est précisément intitulée : « La diversité fondement d’une identité : Sous le titre : « Oscillation or transition ? Changes with regards to custom land in Vanuatu »  Don Patterson, professeur émérite à l’université du Pacifique Sud (Vanuatu) examine les évolutions du droit foncier coutumier dans le pays. Il décrit tout d’abord les institutions habilitées à dire le droit en matière foncière au Vanuatu. Ce furent au départ  (de 1906 à 1980) les tribunaux (coutumiers) indigènes et les tribunaux mixtes puis, à partir de l’indépendance, les tribunaux des îles et la cour suprême, juridiction d’appel. Puis en  2013, intervint la promulgation du « Custom land management act » qui prévoyait que les litiges fonciers seraient examinés par les Nakamal ou conseils des anciens. Pour illustrer son propos, cet intervenant nous donne quelques exemples extraits de la jurisprudence locale. L’application du droit foncier coutumier pose  de nombreux problèmes aux abords des agglomérations urbaines.

Leslie Vandeputte (Inalco) nous livre de bonnes pages sur le Bîslama. Cette espèce de pidgin en usage au Vanuatu et dans d’autres pays de la région est aujourd’hui une des trois langues officielles de l’archipel (les deux autres étant le français et l’anglais comme il se doit dans cet ancien condominium). La  codification et la normalisation de ce parler véhiculaire dont il fallait faire une langue écrite n’ont pas été sans poser  de nombreux problèmes au gouvernement de Port Vila qui a, dans ce domaine, été grandement aidé par les missions, surtout protestantes.

Marc Menou (Toulouse-Capitole responsable de la licence AES à Port Vila) s’interroge sur l’évolution économique du Vanuatu dans laquelle il voit un défi à la théorie économique. Sa communication qui cite pêle-mêle Bertrand Russel, Sartre,  Simone Veil, Einstein et quelques autres, aurait peut-être gagné à plus de rigueur.  Stuart Bedford (Australian University College for Asia and the Pacific) nous entretient de l’archéologie du Vanuatu  (avec d’utiles éléments sur les traditions potières Lapita) tandis que Francis Bestion nous donne d’intéressantes considérations sur l’évolution démographique de l’archipel, pays minuscule selon ses propres termes.

Sous le titre « Past ispresent, dumping, democracy and les droits in Vanuatu »  Sean Donlan (University of the South Pacific Port Vila) étudie l’évolution du droit au
Vanuatu : dans cet ancien condominium où cohabitation  (plus ou moins harmonieuse) du droit français et du droit anglo-saxon a abouti à un droit hybride qui tient largement compte de la coutume.

L’unité est-elle garante de la diversité ou est-ce l’inverse ? Anita Jowitt revient pour partie sur les mêmes thèmes que son collègue à l’USP, Donlan, mais avec une position du problème différente. Elle prend en compte la cohabitation des droits mais insiste sur la prééminence de fait du droit français. Sa communication est illustrée par de nombreux extraits de jurisprudence.

Le  doyen Francis Querol (Droit Public, Toulouse -Capitole) se livre à une étude comparée du financement des entités intra étatiques (autrement dit des collectivités territoriales) au Vanuatu et en France qui sont tous deux des Etats unitaires décentralisés. La différence majeure est qu’au Vanuatu l’échelon communal n’existe pratiquement pas puisqu’on ne compte que trois municipalités. Les chefs de village ne sont que des délégués de l’autorité provinciale et la fiscalité de la province assure le financement de l’ensemble.

Quel est le poids de la coutume dans le droit des associations au Vanuatu ? Comment est-elle définie ? Comment se transmet-elle ? Comment est-elle respectée ? Ce sont là autant de questions auxquelles Xavier Marchand Tonel (Toulouse-Capitole) s’efforce d’apporter des éléments de réponse.

Narelle Bedford (Université du Queensland) analyse l’héritage de la Common Law dans l’établissement de la comptabilité publique au Vanuatu. On sait que dans ce pays où il existe un ombudsman, le contrôle des dépenses publiques est efficace. La séparation des pouvoirs aux termes de la constitution est bien étudiée mais il pourrait être rappelé que le professeur français Zorgbibe fut le principal rédacteur de la loi fondamentale. Anne Clémence Duverger (géographe, université de Nouvelle Calédonie)  établit un intéressant parallèle entre insularité et dépendance alimentaire.

L’économie des états archipélagiques, celle du Vanuatu en l’occurrence, est largement tributaire de la circulation du fret entre les diverses îles, qui ne peuvent vivre en autarcie.  L’auteure nous donne d’utiles informations sur la flottille de caboteurs affectés au trafic inter-îles. Elle a étudié les activités de quelques uns de ces vieux navires (moyenne d’âge 34 ans !)qui laissent à tous ceux qui les ont empruntés de plaisants souvenirs. Nous avons retrouvé avec plaisir des noms connus : « Roona, Brooklyn, H. Tino, ».

Ces bâtiments, pour la plupart de faible tonnage et quelquefois en mauvais état, assurent la circulation des biens et des personnes (mais très souvent la circulation des passagers est subordonnée au marché du fret). Il est à déplorer que la desserte des îles peu peuplées ou excentrées reste très insuffisante et des mesures s’imposent pour garantir plus d’équité et assurer un développement plus harmonieux. Beaucoup d’insulaires vivent encore en économie de subsistance fragile et la menace récurrente des cyclones n’est jamais à écarter.

Plusieurs  autres communications auraient mérité un commentaire approfondi, telle celle d’Irène Mathy, avocate bruxelloise, qui établit une comparaison (peut-être un peu hasardeuse) sur le multilinguisme en Belgique et au Vanuatu.

Dans une brillante synthèse de  conclusion, Michèle Boubay-Pagès constate que la diversité est conclusive à l’identité du Vanuatu, pays où l’on ne dénombre pas moins de 113 langues vernaculaires.  Mais cette diversité n’occulte pas une véritable unité. Celle-ci ne saurait en aucun cas se transformer en uniformité qui constituerait une lourde menace pour l’existence de l’Etat. Qu’on se souvienne du mouvement sécessionniste survenu dans l’île de Santo au moment de l’indépendance, même s’il appartient à un passé aujourd’hui révolu. Depuis lors même si leur tâche n’est pas achevée, les dirigeants Ni-Vanuatu se sont appliqués à construire une nation.