Du baptême à la tombe : afro-catholicisme et réseaux familiaux dans les communautés esclaves louisianaises (1803-1845)

Recension rédigée par Jean Nemo


Comme il est dit en tête de l’ouvrage, celui-ci est « la version remaniée d’une thèse de doctorat… », façon sans doute d’indiquerqu’il ne s’agit pas ici de la publication intégrale de la thèse proprement dite, comme c’est trop souvent le cas, mais d’une version destinée à des lecteurs « généralistes ». Dont acte.

Il n’est pas nécessaire de rappeler à ces « lecteurs généralistes » que la Louisiane fut française, esclavagiste de plantations, ce qui explique en partie « l’Afro-catholicisme » dans les « communautés esclaves louisianaises ». Mais la période couverte (1803-1845) est postérieure à la présence française puisque Napoléon Bonaparte se débarrassa d’une Louisiane, souvent remaniée entre Français, Anglais, Américains, en la vendant, illégalement a-t-on dit, à ces derniers. Ceci pour dire que l’on comprend bien la période couverte pour le point de départ (1803), le point d’arrivée (1845) est plus complexe et probablement plus arbitraire.

Il semble que celui-ci doit être mis en relation avec « l’analyse des actes de baptême et de sépulture des esclaves de la cathédrale Saint-Louis de la Nouvelle-Orléans et de la paroisse Saint-Jean-Baptiste entre 1805 et 1845. On devine à quelles difficultés la chercheuse peut se trouver confrontée dans sa recherche sur des archives, par définition douteuses.

Comme il est d’usage, le « lecteur généraliste » parcourra d’abord l’introduction puis la conclusion pour comprendre les objectifs que l’auteure s’est fixés et les éléments pertinents qu’elle en a tirés.

Quelques remarques d’abord sur les assez rares illustrations.

Celle de couverture d’abord, reproduisant une paroisse rurale, telle qu’en 1859, Saint-Charles et son église, où l’on devine une population mêlée, de Blancs et de Noirs, probablement planteurs et encore esclaves, dans un paysage semi-désertique, soigneusement et largement clôturée, mélange de paysage américain classique et pourtant original de par la société qu’elle décrit sommairement.

D’autres illustrations parsèment le texte, des cartes, des plans de quartiers urbains ou la cathédrale Saint-Louis de la Nouvelle-Orléans en 1838.

Dans une courte préface, Paul Lachance, de l’université d’Ottawa, rappelle les mérites de l’auteure ainsi que de sa thèse ici « remaniée ». Il invite cependant le lecteur à juger par lui-même, jugement qu’il souhaite sans doute positif.

Dans son introduction, après avoir commenté l’illustration de couverture, l’auteure rappelle « qu’il existe de nombreux Suds aux États-Unis ». La Louisiane est parmi ceux qui furent le moins étudiés. Pourtant, elle se trouve à la confluence de plusieurs mondes, celui notamment de l’esclavage de plantation, celui également d’un monde urbain « de marchés d’esclaves ».

L’étude ici reprise se propose donc d’approfondir l’appropriation du catholicisme par les Noirs libres, les esclaves, les femmes noires, dans deux milieux fort différents : la ville de la Nouvelle-Orléans, la paroisse rurale de Saint-Jean Baptiste. Les Noirs n’ont presque pas écrit, leur témoignage est donc fort mince. On dispose cependant pour les deux milieux d’archives assez peu exploitées : correspondance de prêtres et de missionnaires, registres paroissiaux, qui retracent mariages, baptêmes, parrainages. Ceci afin de mesurer et d’analyser «la réponse religieuse des esclaves de Louisiane au système esclavagiste et de comprendre leur perception et leur participation au catholicisme ».

En six chapitres, l’ouvrage  décrit donc d’abord le monde des esclaves urbains dans la paroisse de la Nouvelle-Orléans ; puis le monde des esclaves ruraux dans la paroisse Saint-Jean Baptiste ; ensuite les autres aspects du monde religieux en Louisiane (tutelle américaine, désertion puis retour des prêtres, autres églises « importées »…).

On s’arrêtera quelque peu sur le quatrième chapitre, relatif à l’Église catholique et ses rapports avec maîtres et esclaves. Elle est tout d’abord en survie « en marge d’un monde anglo-protestant ». Rapports souvent ambigus, car cette Église ne peut pas ne pas s’interroger sur la justification même de l’esclavage, ici comme ailleurs dans le monde. Et qu’elle a rarement condamné. Mais nonobstant, elle ne peut méconnaître l’appropriation de la foi et des rites catholiques. L’auteure déplore que les modalités et les conditions de cette appropriation n’aient pratiquement jamais donné lieu à études. Elle en conclut que là se trouve un large champ de recherche.

Et de citer un missionnaire découragé, Jean-Marie Odin, qui, en 1823, se plaint du « pénible fardeau qu’est l’esclavage ». Car si « les maîtres américains leur permettent de se marier à l’église, de pratiquer leur religion… », « en basse Louisiane, la plupart des Français ne veulent pas entendre parler de faire instruire leurs esclaves, de les faire marier ; souvent même, ils ne leur permettent pas d’aller à l’église… ».

Cependant, plusieurs missionnaires souhaitent convertir les esclaves pour leur éviter de mourir païens. Mais cela reste ambigu car « en pleine guerre de Sécession, en 1861, l’évêque des Natchitoches avance même que l’esclavage est une œuvre éminemment chrétienne, porteuse de bienfaits matériels et moraux pour les esclaves… ». Cela n’empêche pas d’autres milieux ou congrégations catholiques de s’interroger sur le bien-fondé même de l’esclavage, sans contester pour autant que les Noirs sont par nature inférieurs aux Blancs.

Les chapitres suivants décrivent « les esclaves face aux rites catholiques », la description des réseaux familiaux et extra familiaux constitués par les esclaves (parenté de sang, parenté spirituelle). Ici encore sont apportées des analyses démontrant la richesse sociale des esclaves, même les plus contraints. Ou comment peut se construire une société soumise à la dépendance la plus stricte et la plus rigoureuse.

Dans sa conclusion, l’auteure déclare « En participant volontairement au catholicisme, qu’ils aient été en ville ou en campagne, les esclaves de la Louisiane se sont donc approprié une communauté catholique noire et ont réussi à façonner leur propre afro-catholicisme. ». Elle ne dit rien sur l’orthodoxie de ce catholicisme, il semble aller de soi. En revanche, on pourra regretter une absence d’analyse d’un probable syncrétisme avec d’autres croyances, issues celles-là d’un autre héritage.

Malgré cette remarque, le « lecteur généraliste » appréciera sans doute le travail de recherche sur de nombreuses archives et la tentative réussie de démontrer qu’une société servile – ici, dans son appropriation religieuse – peut se donner ses propres codes sociaux, religieux et moraux.

L’appareil critique est de fort bonne qualité. Le « lecteur généraliste » mais intéressé par une recherche originale et bien fondée, mise à sa portée (c’est-à-dire « la version remaniée d’une thèse de doctorat… ») ne sera pas déçu, même si, comme il est d’usage, il peut avoir et exprimer une ou deux réserves de méthodologie (ici, l’absence d’analyse d’un probable syncrétisme, comme indiqué ci-dessus).