L'islam à l'épreuve : mondialisation, islamisme, christianisme

Recension rédigée par Christian Lochon


Né à Alep en 1954, M. Chawkat Moucarry, de rite melkite, gagne la France pour y poursuivre ses études ; naturalisé en 1982, il soutient un doctorat en sciences religieuses à l’E.P.H..E en 1994, dont le résumé se trouve au chapitre 9 de ce livre (Pardon, repentir, conversion. Étude de ces concepts en islam et de leurs équivalents bibliques). Il aura passé 23 ans en Angleterre comme enseignant à All Nations Christian College de Ware, préparant les étudiants à aller en pays de mission ou à travailler parmi les minorités ethniques de Grande Bretagne (p.11), ainsi que dans l’ONG de développement World Vision International (Vision du Monde en France).

Évaluant en 2015 la population musulmane à 1,8 milliards de fidèles, soit 24% de la population mondiale, dont 20% sont des Arabes (p.37) tandis que 20% des musulmans, près de 350 millions, vivent dans des pays à majorité non musulmane (p.68), l’auteur nous présente ce qui oppose musulmans et chrétiens dans le monde et ce qui rapproche islam et christianisme.

Tout d’abord, la théologie musulmane met en doute la fiabilité du texte biblique.

Les théologiens musulmans ne prennent pas suffisamment en compte le contexte religieux de l’Arabie du début du VIIe siècle (p.176). La forme polémique de la confession de foi islamique « Il n’y a de dieu que Dieu » vient du fait que l’islam est né dans un milieu polythéiste (p.19). Aussi, les théologiens pensent que shirk (associationisme), soit le seul péché que Dieu ne pardonnera pas (IV 48) ; ils interprètent la filiation de Jésus comme une filiation biologique (p.173). D’autre part, le Nouveau Testament rend caduques les notions de « Peuple élu », de code alimentaire, de polygamie, de circoncision, du code pénal en matière d’adultère (p.146), adoptées dans le Coran. De plus, la loi musulmane est fondée sur les hadiths, dont la fiabilité est contestée, concernant les vêtements, les cinq prières canoniques, la peine de mort pour apostasie (p.30). Enfin, l’islam est vécu comme religion pour les croyants et système de gouvernement (p.32). L’Empire ottoman avait aboli en 1855 le régime de dhimmitude, inégalité des sujets musulmans et non-musulmans ; ce régime n’a pas complètement disparu dans les nouveaux États musulmans où juifs et chrétiens ne peuvent pas occuper des postes de haute responsabilité.

La charia, construction humaine, prévoit la peine capitale pour le meurtre, l’infidélité conjugale et l’apostasie en contradiction avec l’article 18 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 adoptée par les Nations Unies : « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion » (p.66). Se démarquant de cette Déclaration Universelle, le Conseil Islamique d’Europe a publié le 19 septembre 1981 à Paris une Déclaration islamique universelle des droits de l’homme, dont l’article 12 restreint le droit des musulmans d’exprimer leurs convictions : « Toute personne a le droit d’exprimer ses pensées et ses convictions dans la mesure où elle reste dans les limites prescrites par la Loi », ainsi le droit à la liberté religieuse ne comprend pas la liberté de conversion à une autre religion que l’islam alors que les versets  « Pas de contrainte en religion » (II 256) ou « A vous votre religion, à moi (Mohamed) la mienne » (CIX 6) laissaient aux croyants la liberté de choisir (p.66). On assiste ainsi au développement d’un islam radical, basé sur le verset II 98 : « Dieu est l’ennemi des mécréants » (p.88). De ce fait, la théologie islamique définit les non-musulmans selon des critères religieux ; ils sont mécréants kuffâr ; ce qui imprègne profondément la mentalité des musulmans (p.89). Le Centre Européen pour la loi et la justice a livré un rapport le 30 mars 2021 sur les difficultés rencontrées en France par les musulmans convertis au christianisme (p.57). Ailleurs, les djihadistes s’attaquent aux chrétiens parce que ces derniers ne croient pas au prophète de l’islam, sont donc des mécréants et de plus des ennemis historiques (p.106). Les chrétiens orientaux, en petit nombre, donc une cible facile, (p.106) sont incriminés de complicité avec les États occidentaux considérés comme chrétiens. Dans quarante pays musulmans, les chrétiens sont persécutés (p.218).

Dévoilant au contraire la proximité de l’islam et du christianisme, le Pr. Mohamed Ali Amir Moezzi, dans la préface de ce livre, rappelle que le corpus coranique contient des centaines de références (p.XII) aux figures et aux thèmes bibliques, d’Adam et Eve à Jésus, Marie et Jean-Baptiste en passant par Noé, Abraham, Moïse, Salomon, David, Jonas ou Job ; Jésus y est appelé « Messie, Verbe de Dieu, Esprit de Dieu ». Exprimant le monothéisme strict, la résurrection des morts, le Jugement dernier, le prophétisme et la centralité des Écritures Saintes, le Coran revendique son appartenance à ce que l’on pourrait appeler « le milieu monothéiste biblique » comme le montrent les termes empruntés au syriaque, qurân, aya (verset), salât (prière), zakât (aumône), au ghèze d’Éthiopie, injil (Évangile), minbar (chaire), jahannam (géhenne) età l’hébreu, hajj et ‘umra (pèlerinage). On y retrouve les hymnes et les homélies des saints chrétiens syriaquisants comme Ephrem de Nisibe, Aphraate le Persan, Narsaï de Nisibe, Jacques de Saroug, les Évangiles apocryphes et la Didascalie des Apôtres. Des chrétiens vivaient en Arabie comme Waraqa bin Nawfal, cousin germain de Khadidja, première épouse de Mohamed. Ce qui fait que des théologiens musulmans associent la justice à la Thorah et l’amour à l’Évangile (p.21). Dans le verset XLIII 81 « Dis : Si le Bienveillant avait un fils, je serais le premier à l’adorer », Dieu enjoint au Prophète d’accepter la révélation divine même si elle lui paraîtrait irrationnelle (p.177). L’islam accepte Jésus comme prophète et rejette sa divinité (p.22). Les versets III 64 et XXIX 46 recommandent : « Ne discute avec le peuple du Livre (juifs, chrétiens) que de la manière la plus courtoise sauf avec ceux qui sont injustes » (p.32).

En janvier 2016, la Déclaration de Marrakech sur les droits des minorités religieuses dans le monde musulman, adoptée par 300 représentants musulmans de 120 pays,  rappelle les valeurs coraniques de dignité humaine (XVII 70), de liberté religieuse (II 256), de fraternité humaine (IL 13), de justice ( XVI 90), d’équité ( LX 8), invite les musulmans à travailler avec toutes les minorités religieuses sur la base d’une parole commune (III 64) et développe le concept de « citoyenneté » pour tous (p.64). Chrétiens et Musulmans doivent s’engager dans des actions communes en faveur du bien commun puisqu’ils partagent un certain nombre de valeurs (p.110). Le Coran (II 89, 91,97, 101 ; III 3, 81 ; V 48 ; VI 92 ; XXXV 31) affirme qu’il confirme la Thorah et l’Évangile (p.135). Les récits coraniques se concentrent sur la naissance miraculeuse de Jésus (III 42-48 ; XIX 16-34).L’Esprit-Saint (Ruh al qudus) est cité quatre fois dans le Coran, en rapport avec la révélation du Coran (XVI 102), trois fois avec la mission de Jésus « Nous avons soutenu Jésus fils de Marie par l’Esprit Saint (II 87,253 ; V 110). Évangile et Coran citent les trois attributs divins qui déterminent le pardon de Dieu en islam : l’amour, la justice divine, la souveraineté divine (p.194). Juifs et chrétiens partagent la croyance qu’un seul Dieu est créateur de l’univers (p.188) et qu’il a chargé l’homme de prendre soin de la création (II 62 ; V 69).

Les réformateurs musulmans, comme Mohamed Arkoun, Mohamed Shahrour (p.17), Faraj Foda pensent que la faiblesse de l’islam est la conséquence de sa compromission avec les pouvoirs en place entraînant l’oppression de musulmans par leurs congénères, le musellement de la créativité, la fossilisation de l’enseignement (p.42) et que le Coran lie le pouvoir divin à la responsabilité humaine : « Dieu ne modifie rien en un peuple avant que celui-ci ne modifie ce qui est en lui » (p.52).

Pour M. Moucarry, les musulmans subissent une civilisation mondiale de plus en plus sécularisée. Les intérêts politiques et économiques semblent de nos jours l’emporter dans les relations des pays arabes avec Israël. En 2020, Bahrein, les Émirats, le Soudan, le Maroc ont normalisé leurs relations après l’Égypte en 1979 et la Jordanie en 1994 avec Tel Aviv (p.121). En France, le défunt CFCM avait adopté le 16 janvier 2021 une Charte des principes pour l’islam de France qui ne criminalise plus un renoncement à l’islam, ne le qualifie pas d’apostasie, refuse d’attenter à l’intégrité morale ou physique de ceux qui renoncent à une religion. (p.114).

Le lecteur consultera avec intérêt la bibliographie de 31 ouvrages dont 18 ont des auteurs musulmans (p.223-224) et son livre consacré à la comparaison des textes du Notre Père et de la première sourate coranique, Al Fatiha (Deux prières pour aujourd’hui, Bayard 2019) où il montre les éléments communs.

On se fiera à son jugement « On doit adopter une attitude juste envers l’islam qui serait ni hostilité, ni naïveté » (p.117).