Leur langue paternelle

Auteur Denis Fadda
Editeur Dacres
Date 2021
Pages
Sujets Écrivains de langue française
1945-....

Discours (art oratoire)
Cote In-12 2597 (MSS)
Recension rédigée par Christian Lochon


Notre éminent confrère Denis Fadda est président de l’Association La Renaissance Française fondée par le Président Raymond Poincaré, laquelle a pour vocation de participer au rayonnement de la langue française et de la culture française et francophone dans le monde. Présente en France, elle l’est dans une quarantaine d‘autres pays.

Dans Leur langue paternelle, l’auteur a rassemblé ses allocutions de remise du Prix Renaissance à onze lauréats ; chaque discours est complété par une bibliographie bien utile pour aller plus loin dans la connaissance de l’œuvre des destinataires de ce Prix annuel. L’auteur pourrait paraphraser l’affirmation du Pape François, qui affirmait que le temps est plus important que l’espace ; dans ce livre, M.Fadda semble dire : « le temps de la francophonie est plus important que son espace »,  c'est affirmer que  le temps et l’ardeur de se préparer à acquérir pour les auteurs nés non francophones un niveau élevé de connaissance du français qui leur permette d’écrire leurs ouvrages dans cette langue est beaucoup plus important que leur lieu de naissance disséminé sur toute la planète. Ainsi de Akira Mizubayashi, Kenneth White, Vassilis Alexakis, Mohed Altrad, Santiago Amigorena.

Trois des auteurs sont originaires d’Europe. Jacques de Becker (1945-2020) est le seul écrivain belge à pouvoir écrire dans les trois langues officielles de sa patrie. Dramaturge, romancier, nouvelliste, essayiste, critique littéraire, il a été élu Secrétaire Perpétuel de l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique.

Kenneth White, né en 1936 en Écosse, a occupé de 1983 à 1996 la chaire de Poétique du XXe siècle de la Sorbonne. On lui doit cette observation originale qu’avant l’incursion des Grecs en Orient, le Bouddha était représenté uniquement par son pied (p.24).

Vassilio Alexakis (1943-2021), écrivain grec collectionna les Prix littéraires prestigieux, Prix Albert Camus, Prix de la Nouvelle de l’Académie française, Grand Prix du Roman de l’Académie française, Prix Médicis (avec Andréï Makine) malgré le fait qu’il voulût « en finir avec la littérature avant de commencer à écrire » ! (p.40)

Trois autres auteurs primés sont du Proche-Orient. Alexandre Najjar, né en 1967, est membre de notre Académie. Militant convaincu de la francophonie, il obtint à 23 ans la bourse de l’écrivain de la Fondation Hachette, puis le Prix Méditerranée ainsi que le Prix Hervé Deluen de l’Académie Française. Auteur du Roman de Beyrouth, du Dictionnaire amoureux du Liban, il aura fait renaître L’Orient Littéraire, célèbre supplément du quotidien beyrouthin L’Orient Le Jour. C’est pourquoi, M.Fadda en lui remettant le Prix Renaissance a tenu à lui dire : « Avec vous, au Liban tout entier nous tenons à rendre hommage » (p.68).

Mohed Altrad est né entre 1948 et 1951, en Syrie, près de Raqqa qui devint provisoirement la sanguinaire capitale de Daech. Son premier roman Badawi (« Le Bédouin » en arabe) est autobiographique, relatant la dure vie des Bédouins qui fut la sienne dans son enfance. Devenu Chef d’entreprise multinationale, on appréciera à la remise de son Prix l’usage d’une métaphore contenue dans un presque-alexandrin : « Grand bâtisseur, mieux que quiconque vous connaissez le sable » (p.87)).

Pour Metin Arditi, né en 1945, dans la capitale actuelle turque, d’une famille juive de Bulgarie qui a fait la richesse de Constantinople (p.57), « le français flottait avec une nonchalance gracieuse sur les rives du Bosphore. Chacun le parlait. Par quel miracle ? » (p.65). Il décrira cette période de vie dans plusieurs ouvrages autobiographiques avant de résider en Suisse. On lira avec intérêt son Dictionnaire amoureux de l’Esprit français (Plon 2018).

Deux auteurs ont des liens avec l’Amérique du Sud. Santiago Amigorana né en Argentine en 1962, est primé pour son Ghetto Intérieur (POL 2019), histoire de trois Juifs d’Europe, émigrés dans les années 1930 à Buenos Aires, deux avec leur famille tandis que Vicente est arrivé seul. En 1940, ce dernier apprend la création par les Allemands des ghettos en Pologne où sa mère vivait ; elle lui écrit « Heureusement que tu es loin d’ici ». Il revivra alors intérieurement les souffrances de sa mère et des siens à Varsovie (p.106), se reprochant de n’avoir pas pu sauver sa mère mais sa femme le sauvera de sa dépression (p.110).

Miguel Bonnefoy, né en 1986, d’un père chilien et d’une mère vénézuélienne reçoit le Prix Renaissance pour son roman Sucre Noir (Rivages2017), « une fable, un conte, un roman philosophique », inspiré par le réalisme fantastique, courant littéraire latino-américain (p.91) ; on appréciera sa connaissance amoureuse de la faune et de la flore (p.93).

Deux auteurs primés sont originaires d’Asie du Sud-Est, Akira Mizubayashi, né en 1951, au Japon, qui nous révèle que « le japonais n’est pas une langue que j’ai choisie, le français si…. C’est une question d’amour ; je l’aime et elle m’aime » (p.47). M.Fadda a remarqué à son endroit : « Vous êtes extrêmement sensible à la voix que vous décrivez comme un instrument de musique à part entière » (p.50). Son livre consacré à sa chienne Mélodie est « une réflexion sur la singularité de la condition humaine au miroir de la condition animale » (p.55).

Hoai Huing Nguyen, née en 1976 de parents vietnamiens, est primée pour son roman Sous le ciel qui brûle (Viviane Hamy 2017) ; héros du livre, Tuan, qui doit enterrer seul des êtres chers après le massacre de la fête du Têt en 1968, se remémore le poème de Rimbaud à Ophélie « Un chant mystérieux tombe des astres morts » ; pour lui, la magie des vers rend leur disparition moins définitive (p.98). Il s’enthousiasme aussi pour les personnages des Filles du Feu mais aussi pour les lieux de jeunesse de Nerval (p.99).

Boualem Sansal, né en 1949 en Algérie, est associé au projet de faire de la maison, où Camus a passé sa première enfance, un musée (p.18). En 2012, le Prix du Roman arabe lui fut attribué mais pas remis parce qu’il avait accepté d’être l’invité d’honneur du festival international des écrivains de Jérusalem. Malgré les risques encourus, il n’a jamais voulu quitter sa terre natale (p.16). Notre confrère, M.Fadda, évoquant son Petit Eloge de la Mémoire, souligne ce qu’il dit de la nostalgie : « Elle aide à passer les jours, à se reposer de ses peines, à échanger des rêves, à se construire un avenir commun » (p.17).

Ce petit ouvrage nous permet de comprendre que pour les écrivains cités, la langue adoptée, donc le français, est un refuge et une source ; la langue française est métaphoriquement leur « langue paternelle », choisie par amour.

Ce recueil nous aura fait ainsi découvrir des auteurs francophones de talent.