Constitution initiale du corps des administrateurs civils du Sénégal indépendant, 1958-1961‎

Auteur Famara Ibrahima Sagna
Editeur [s.n.]
Date 2014
Pages 272
Sujets Hauts fonctionnaires Sénégal Histoire
Cote 60.480
Recension rédigée par Jean Nemo


On rendra compte ici d’un ouvrage fort intéressant à plusieurs points de vue. On notera tout d’abord qu’il doit être d’accès difficile à tout lecteur hexagonal, car sans doute publié « à compte d’auteur », sans l’intermédiaire d’un éditeur. En outre, les « points de vente » annoncés sont quelques librairies dakaroises, dont Harmattan. Il est probable que le lecteur ne le trouvera, en France, que dans la bibliothèque de l’ASOM et chez quelques anciens camarades d’études de l’auteur.

La préface de cet ouvrage est signée d’Edmond Jouve, président honoraire de l’ASOM. À ce titre, celle-ci est donc déjà concernée puisque l’un de ses membres éminents a eu l’occasion de s’exprimer sur et à propos du livre de F. I. Sagna.

Celui-ci paraîtra sans doute difficile au lecteur français qui aurait eu l’opportunité de se le procurer et qui serait à la recherche d’un bon roman, d’une étude ou d’une thèse savante, d’un essai, d’un bon manuel disciplinaire. Parce nous avons affaire ici à un mélange de travail sur archives, en une certaine façon à un témoignage personnel, un annuaire de corps, et du cadre juridique et administratif dans lequel tout ceci s’insère.

Il s’agit surtout du témoignage d’un homme qui a joué un rôle important dans des fonctions d’autorité territoriale, puis dans un monde et des fonctions politiques qui ne l’ont pas rendu partisan : inscrit sur le tard, dans le courant des années 1980, au PS sénégalais, il en démissionne assez vite, en 1993, après quelques mandats de responsable politique, notamment de ministre. Non par ambition déçue, bien plutôt par souci de conserver une indépendance de jugement et de se tenir plus en observateur attentif, en éventuel conseilleur, que de se prêter aux jeux politiciens. Ce qui lui a valu quelques missions d’intermédiation réussies. Et ne l’a pas empêché d’occuper encore des postes et fonctions de haut niveau. 

À l’heure où l’Association des Anciens Élèves de l’École nationale de la France d’outre-mer (ENFOM) vient de décider de sa dissolution, après cent-vingt ans d’existence, sous diverses appellations reflétant les étapes de ladite École, première et de loin des grandes écoles destinées à la formation des cadres supérieurs de l’Administration, la coïncidence est intéressante : à notre connaissance, cet ouvrage est l’un des seuls, sans doute même le seul, à retracer l’histoire des dernières années de l’ENFOM et de son rôle dans la naissance, en Afrique, de corps d’administrateurs civils hérités dès les indépendances africaines du précédent français.

Le préfacier s’est exprimé sur la qualité des recherches menées par l’auteur et sur celle de ses relations de longue date avec lui. Plus modestement, on exprimera ici quelques commentaires plus spécifiques et largement fonction de souvenirs à la fois personnels et corporatifs.

Tout d’abord, à notre connaissance au moins, à une exception partielle près, aucune autre étude ne retrace l’histoire et les carrières des anciens élèves africains issus de l’ENFOM puis de l’IHEOM (Institut des Hautes Études d’Outre-mer) qui lui a succédé. L’exception est constituée par un dictionnaire biographique des anciens élèves de l’ENFOM, paru en 2003. Toujours à notre connaissance, il n’existe que fort peu de recension de ce que fut, au tournant des années 1958 au début des années 1960, la mise en place des fonctions publiques nationales, notamment celles d’autorité territoriale et de la haute administration, dans les ex Territoires d’Outre-mer lors de leur accession à l’Indépendance. Non plus, d’ailleurs, que des conditions dans lesquelles sont nées les diverses ENA ou ENAM nationales, la plupart étroitement inspirées à la fois de l’héritage de l’ENFOM et des modèles de l’ENA et de l’ENM (magistrature) françaises.

Si le dictionnaire biographique de 2003 que nous venons de mentionner (il figure dans le catalogue en ligne des ouvrages de la bibliothèque de l’ASOM) retrace les étapes de carrière de tous les anciens élèves de l’ENFOM, depuis les premières promotions (1885) jusqu’à la toute dernière (1958), il est évidemment muet sur les nombreux stagiaires de l’IHEOM (Institut des hautes études d’outre-mer) qui lui a succédé à la fin des années 1950. Institut qui fut notamment celui que fréquenta l’auteur, en son temps, dans la promotion « Charles de Gaulle ». L’histoire reste à faire de cet IHEOM puis de l’IIAP, de leur création jusqu’à la reprise de leurs missions par l’ENA.

Curiosité : plusieurs sites relatifs à l’ENA la situent, photo à l’appui, 2, Avenue de l’Observatoire, à Paris, sans mentionner que de 1895 à 1960, ce bâtiment assez beau à l’architecture pseudo mauresque fut le siège de l’École coloniale, devenue en 1934 l’École Nationale de la France d’Outre-mer.

Revenons à l’ouvrage objet de la présente recension. Dans les deux premiers chapitres, l’auteur résume en quelques pages l’histoire et les missions de l’École coloniale puis de l’ENFOM, résumé fidèle et de fort bonne synthèse. Dans un troisième chapitre, il traite de l’IHEOM (1959 à 1966). Ce faisant, il rappelle les origines : une « école cambodgienne » créée à l’initiative de Pavie, celui de la « conquête des cœurs », pour former des stagiaires khmer du royaume récemment placé sous protectorat français puis, avec l’École coloniale qui lui succède dès 1889, des étudiants recrutés sur concours pour former les futurs administrateurs et magistrats coloniaux. Mais aussi des stagiaires issus des colonies. Il est vrai que pour ces derniers, ce que l’auteur ne mentionne pas, les premières années passées, cette mission particulière n’aura guère d’avenir. La première photo, première page dans l’ouvrage est celle d’un Sénégalais en uniforme de l’époque, 1890, auquel il est rendu un solennel hommage : Mambaye Ahamadou Fara Biram LO. Le lecteur restera quelque peu sur sa faim car la brève biographie qui accompagne la photo décrit une carrière honorable d’administrateur des Colonies mais n’explique pas pourquoi il fut par deux fois révoqué…

Il convient ici de signaler, en toute objectivité, l’auteur nous le pardonnera, qu’à peu d’exceptions près (Félix Éboué en est le plus remarquable représentant), on ne reverra en nombre, avenue de l’Observatoire, des ressortissants des Territoires d’Outre-mer qu’à partir des années 1950. Mais ce qui nous intéresse ici, c’est la filiation voulue par l’auteur : il fait de son lointain prédécesseur le premier d’une longue lignée qui aboutit dès les Indépendances aux corps nationaux d’administrateurs et de magistrats, lignée abondante à partir du milieu des années 1950, lorsqu’à l’approche prévisible au moins par les responsables les plus éclairés, le nombre des élèves et stagiaires issus de l’Outre-mer fut sensiblement plus nombreux à l’ENFOM que celui des élèves d’origine métropolitaine.  

C’est donc fort explicitement que F. I. Sagna ancre dans une histoire d’abord française l’origine des diverses Écoles d’Administration qui se succédèrent au Sénégal, avant de se stabiliser. Et donc, tout aussi explicitement, des corps d’Administrateurs civils qui y furent formés. Cette filiation se retrouverait sans doute pour d’autres corps d’Administration supérieure dans bien des pays africains, l’analyse reste à faire.

Comme il a été dit plus haut, cet ouvrage n’est pas de lecture aisée. Il intéressera cependant tout chercheur intéressé par la façon dont l’auteur établit cette filiation de longue ascendance, donne de précieuses informations sur apparemment tous les hauts fonctionnaires sénégalais issus de l’ENFOM, de l’IHEOM, de l’IIAP et des grandes Écoles sénégalaises, énumère et présente en annexe nombre de documents d’archives. Il intéressera également le lecteur que je qualifie généralement d’ « honnête homme », celui qui au-delà de l’aridité des archives, des dictionnaires biographiques et des idées reçues, cherche à comprendre le fond des choses. Ici comment et pourquoi un système de formation supérieure, d’abord conçue dans un cadre colonial et pour servir aux colonies au nom de la Métropole, a été approprié par des hommes et par des fonctions publiques lorsque leurs États ont pris leur indépendance.

Dans sa conclusion, F. I. Sagna rappelle un dicton populaire : « …pour savoir où l’on doit aller, il ne faut jamais oublier d’où l’on vient et lorsque l’on ne sait plus où l’on va, il faut retourner d’où l’on vient… ». Il souligne en conséquence que les traditions héritées de l’ENFOM, de l’IHEOM et des Grandes Écoles qui leur ont succédé au Sénégal reposaient sur deux principes.

Ces formations spécifiques n’étaient pas une pâle copie d’Universités, elles étaient choisies en fonction des futures missions de service public, assurées souvent par des responsables de l’Administration. Elles associaient, à travers leurs stages, les élèves au traitement de dossiers très concrets.

À l’occasion de débats actuels sur le monopole de la formation et du recrutement pour l’accès aux fonctions publiques, le recours à la mémoire et à la connaissance d’une longue histoire qui remonte à la fin du XIXe siècle est indispensable, car ce monopole a eu bien des mérites en terme notamment d’efficacité. On remarquera cependant que l’auteur se garde de fermer le débat. Débat également d’actualité chez nous…