Togo 1990-1994 ou le droit maladroit : chronique d'un effort de transition démocratique

Recension rédigée par Josette Rivallain


L’auteur est magistrat et ancien de l’ENFOM. Il se trouva en poste au Togo au cours de la période de transition démocratique de 1990 à 1994, devenant ainsi un observateur et un acteur privilégié. Le livre se présente comme une sorte de journal présentant le déroulement des faits d’alors, cherchant à en expliciter les origines. La chronologie, la succession des gouvernements sont détaillées dans des annexes qui précisent les titres du journal de la Conférence nationale, les sigles des partis, groupes et associations qui ont largement fleuri en ces occasions.

Cet ensemble est indispensable pour comprendre comment, en situation postcoloniale, des hommes de lois, grâce à leur formation, leur connaissance du droit, leurs opinions, leur courage, ont pu se lancer dans une action destinée à promouvoir la démocratie. Après un quart de siècle de régime autocratique devenu insupportable, le procès de Logo Dossouvi et de Doglo Agbélenko servit de déclencheur. Ces deux hommes étaient jugés pour avoir distribué des tracts offensants le chef de l’Etat. Le 5 octobre 1990, la salle du Palais de justice était pleine : les milliers de personnes présentes clamaient des slogans politiques, réactions inouïes pour le régime en place. Policiers et gendarmes firent évacuer la salle. La capitale s’embrasa, entraînant morts, blessés, saccages et incendies.

Les avocats présents dans la salle, en robe, se firent recevoir par le Président pour lui faire part de leur indignation et de leur décision de déclencher une grève de trois jours.

Le 11 octobre, l’Ordre des avocats soumit au chef de l’Etat un document sur l’avenir politique du pays. Cet épisode survint alors que la Commission nationale des Droits de l’Homme oeuvrait pour garantir aux citoyens leurs droits fondamentaux.

Au cours des mois suivants, les évènements se multiplièrent : les avocats préparèrent une déclaration qui fut remise au chef de l’Etat, les chauffeurs se mirent en grève, l’armée ouvrit le feu en plusieurs points du pays, le désordre s’installait. Les Togolais ne croyaient pas dans les déclarations du chef de l’Etat, mais tous n’étaient pas pour autant des démocrates, y compris parmi les juristes et les magistrats.

Une commission fut chargée de préparer un avant-projet de constitution multipartiste, composée de 109 membres. Le travail commença le 8 juillet sous la présidence de Eyadéma. Le 15 juillet, la Commission nationale se proclama Commission nationale supérieure, déclarant que la souveraineté appartient au peuple, annulant, de fait, la constitution de 1980. Le 16 juillet, en conseil des ministres, le gouvernement dénonça la proclamation
d’auto-souveraineté de la Commission et décida de la suspendre, d’autant qu’il n’y avait pas encore eu de consultation populaire.

La CNS poursuivit son travail et les démocrates, plein d’espoir, dénoncèrent les exactions du régime, une mini constitution fut préparée. Le 26 août, Le président, dans une allocution, décréta nuls tous les actes pris par la CNS, car non promulgués, mais en signa deux, ce qui permit l’élection  du Premier ministre. Le 28 août, la démocratie est en place sur des bases peu solides. La transition démocratique s’étend de septembre 1991 à août 1993 : les politiciens sont mal vus, les pouvoirs ne sont pas clairement définis ; à travers les textes juridiques rédigés à la hâte, juristes démocrates, avocats, économistes, haute administration font preuve de manque d’habileté et de compétence.

Le 14 novembre, le RPT, parti du Président, pas vraiment reconnu par la CNS, fait part de la tenue de son congrès au ministre de l’Administration territoriale. Cela déclenche un véritable putsch. Le 28 novembre, Lomé est une ville morte, l’armée est prête à renverser Eyadéma. La situation devient confuse et le rôle de la France, aussi, en cette fin d’année 1991.

Le Premier ministre Koffigoh est reconfirmé dans ses fonctions et constitue un gouvernement provisoire afin de préparer les élections et la future constitution. Le 5 mai 1992, une attaque vise le fils de l’ancien président Olympio, candidat aux futures élections. Grève générale le 7 mai. On publie le texte de l’avant-projet de constitution ; la période est confuse, les ambassadeurs de France et d’Allemagne sont rappelés dans leur pays. Le 23 juillet un candidat est abattu, le 31, c’est la grève générale. Au final, le Président accepte la confrontation. L’ancien projet de constitution est retouché. Le référendum du 27 septembre approuve la constitution ; l’insécurité se poursuit. Le 22 octobre, un groupe de militaires entre dans la salle de réunion du HCR, exigeant le règlement de leur solde ; puis les conseillers subissent des sévices. Quelle est alors la position du chef de l’Etat ?

La grève générale déclenchée est soutenue par le Premier ministre qui propose à Eyadéma de recomposer le gouvernement et de saisir la Cour suprême. Le 16 novembre, la grève devient illimitée, la journée du 6 décembre est sanglante ; le chef de l’Etat continue comme si de rien n’était. Fin janvier 1993, la rumeur court que l’archevêque de Lomé est mort ; il lance un appel au calme ; les opposants se réfugient au Bénin et désignent un nouveau Premier Ministre. Fin mars, un commando tue trois officiers fidèles d’Eyadéma, dans des conditions telles que tout laisse à croire à une mascarade.

Fin juin 93 est proposé un nouveau calendrier électoral et le clan Eyadéma prépare sa reconquête du pays ; mai 1994, la IVe République est mise en place, le pays replonge dans la torpeur, mais les habitants ont appris à s’exprimer, à s’organiser et la constitution est un peu plus démocratique. Le Président contesté est resté roublard, habile dans les double-jeux.

Philippe David souligne l’incompétence des juristes qui ont pris la tête du mouvement, laissant la vie quotidienne tout emporter, sans faire valoir le droit, mais également, la fragilité des institutions, là comme ailleurs.