Secrets d'Afrique : le témoignage d'un ambassadeur

Recension rédigée par Serge Arnaud


Cet ouvrage de 352 pages dont la couverture orange, blanche et verte reprend les couleurs du drapeau de la Côte d’Ivoire et dont le titre s’affiche en lettres rouges pour attirer l’attention, est sous-titré Le témoignage d’un ambassadeur.

Autobiographie d’un ambassadeur au profil atypique, ce livre, par touches souvent impressionnistes voire pointillistes, narre la rencontre d’un homme et d’un continent. L’approche chronologique le conduit successivement dans 8 pays africains : Sénégal, Tchad, Afrique du Sud, Rwanda, Centrafrique, Nigéria, Gabon et Côte d’Ivoire tout en déroulant les différents échelons d’une « carrière » exceptionnelle au Quai d’Orsay culminant comme ambassadeur dans les quatre derniers pays avant d’accéder à la dignité suprême d’Ambassadeur de France. La trame de ce témoignage est ainsi toute trouvée en en consacrant, en volume, un tiers à son dernier poste en Côte d’Ivoire.

Il n’est pas question de faire ici une recension de plus après plus de dix existantes dont la plupart de qualité. En ce qui me concerne, Secrets d’Afrique est un livre passionnant, écrit dans un style fluide et que je n’ai pas lâché avant de l’avoir terminé même si, après la dernière page, on aimerait en savoir encore plus.

J’ai travaillé avec Jean-Marc Simon au mitan de son aventure africaine  lorsqu’il était directeur de Cabinet de Jacques Godfrain puis dans son premier poste d’ambassadeur en Centrafrique. Ce livre a évoqué, en moi, des souvenirs, a permis de mieux comprendre certains éléments d’un puzzle complexe mais quelques pages seulement pour évoquer plusieurs années durant lesquelles l’auteur était au cœur de la politique africaine de la France sont bien peu. Secrets d’Afrique, cela peut représenter également la tendance de l’auteur à ne pas distiller certaines choses, à rester sur la réserve, à attendre que son interlocuteur se dévoile pour adapter son discours et ce, avec une courtoisie, un humour et une maîtrise de la langue française remarquables.

La question qu’Heisenberg posa dans son célèbre principe d’indétermination est que l’observation a une incidence sur la réalité. En l’espèce, il est autant difficile de discriminer les événements comme acteur ou spectateur que comme juge et partie. Il incombera au lecteur de faire la part des choses. De même que de relever, dans les anecdotes distillées par l’auteur, celles qui généreront le battement de l’aile de papillon qui aura des conséquences insoupçonnées. Ce livre recèle ainsi à plusieurs niveaux de lectures et ne laisse pas si facilement échapper les secrets qu’il renferme sinon aux initiés du bois sacré. Une lecture apophatique ou du vide médian comme le dirait François Cheng s’avère nécessaire pour être source de dévoilement. Contrairement à ce qu’il écrit dans son avant-propos, Jean-Marc Simon est un sage car il ne dit pas tout ce qu’il sait mais nous attendons avec impatience un prochain ouvrage sur la suite de ses aventures africaines.

                                                                                                            Serge Arnaud

Dans cet ouvrage au titre un peu provocateur, l’ambassadeur Jean-Marc Simon revient sur les trente années durant lesquelles il fut « témoin privilégié » de la politique africaine de la France. Il ne faut pas s’attendre ici à de petits secrets à la F. X. Verschave, mais à « quelques histoires » vécues, contées « avec un souci exigeant de vérité ».

            En 1984-86, la France doit protéger le Tchad d’Hissein Habre contre la Libye de Khadafi. Evoquant « la querelle des Anciens et des Modernes », l’auteur estime que les réseaux à la Jacques Foccart « n’ont jamais joué qu’un rôle marginal et finalement insignifiant ». En 1986, l’instauration, lui semble-t-il, d’un visa obligatoire pour les ressortissants des anciennes colonies y est à l’origine d’un sentiment d’abandon et de désamour ; en revanche, en 1993, la dévaluation du franc CFA était devenue indispensable. En France, le ministère des Affaires Etrangères a absorbé celui de la Coopération mais « il aurait fallu conserver une spécificité aux services chargés du Développement » : ce ne sont pas les mêmes métiers.

            Le rappel de « la tragédie du Rwanda », en 1994, souligne « la démission de la communauté internationale » avec des Casques Bleus sans « mandat pour intervenir ». Pourquoi le FPR n’a-t-il « pas réussi en deux décennies » d’un« pouvoir sans partage, à confondre les vrais coupables » de l’attentat présidentiel ?

            « Mutineries et coups d’État en Centrafrique » se sont succédé depuis 1996 dans ce « domaine de l’irrationnel », « pays où nous n’avons aucun intérêt », « Cendrillon de l’Empire », « un cul-de-sac ». Si « le monopole de l’exploitation des richesses énergétiques » était réservé à la France, on peut se demander pourquoi, à partir des indices révélés par la France, les travaux de recherche sur l’uranium furent effectués par Alusuisse et ceux sur le pétrole par l’Américain Conoco.

            L’exemple nigérian montre que « la balkanisation » (de l’A.O.F. – A.E.F.) choisie par Houphouët-Boigny mais combattue par … Senghor ou Boganda, n’était pas forcément la panacée ». Pourtant, le Nigeria demeure un « colosse aux pieds d’argile » ; on le voit avec Boko-Haram !

            Après le Gabon où l’influence des intérêts financiers (forestiers puis pétroliers) apparaît pesante, l’ambassadeur arrive, en 2009, en Côte d’Ivoire, alors en pleine « guerre de succession ». Il se présente au Président GBAGBO qui « cultive une réputation de chercheur et d’universitaire ». Il lui trouve « quelques similitudes avec le Président PATASSÉ qui, en Centrafrique, se voulait, lui aussi, chercheur (il ne l’était pas plus qu’ingénieur !) mais n’était en réalité qu’un agitateur ». En général, les portraits, dressés, en quelques mots, par J. M. Simon sont frappants de vérité.

            Battu aux élections, Gbagbo se refuse à l’admettre : « Il me dira benoîtement : Vous voyez, c’est bien la preuve que nos pays ne sont pas mûrs pour la démocratie » ! Il faudra employer la force pour le réduire, aux risques et périls de tous, y compris de l’Ambassadeur de France.

            Pour ce dernier, contrairement à la « Françafrique » de F. X. Verschave qui n’avait jamais procédé « à de sérieuses enquêtes de terrain », la « France-Afrique » est « un lien qui est tout autant le fruit de la colonisation que celui de la décolonisation ». On est frappé par « l’extraordinaire dynamisme de la Société africaine » qui devra toutefois contrôler efficacement sa « progression démographique sans équivalent ». Voilà un témoignage aussi clair que parlant non dénué parfois d’humour (Bédié : « Il est déçu mais il oublie qu’il a déçu »).

 


 
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