Les Pères Blancs entre les deux guerres mondiales : histoire des missionnaires d'Afrique, 1919-1939

Recension rédigée par Christian Lochon


La Société des missionnaires d’Afrique, que le grand public connaît comme « Pères Blancs », a été fondée par le Cardinal Lavigerie, premier directeur de l’Œuvre d’Orient, en 1868 à Alger ; ses premiers membres seront européens, américains, arabes, kabyles, Est africains et serviront principalement en Afrique à l’exception d’une mission établie à Jérusalem. L’ordre des « Sœurs Blanches » sera créé par la suite. En 1938, la Société comptera 1493 Pères et 508 Frères auxquels, sans leur demander une spécialisation particulière, on leur aura recommandé d’assurer des travaux manuels en sus de l’enseignement traditionnel ; beaucoup souffriront des conditions climatiques éprouvantes ; de 1868 à 1918, 50 novices mourront de tuberculose ou pendant la première guerre mondiale.

En 1933,  la Société scolarisait 46 693 élèves au Sud Ouganda, 47 803 dans l’Est Congo. Dans les territoires français, l’application de la Loi de 1905 à partir de 1907 s’opposera à l’enseignement assuré par les Pères Blancs de même que les chefs et  les parents musulmans n’accepteront pas la scolarisation de leurs enfants pour des convictions religieuses. En Algérie, les musulmans assimilèrent les lois laïques du mariage et de l’héritage à l’apostasie ; pourtant, peu à peu, ces familles préférèrent confier leurs enfants aux écoles catholiques qu’aux écoles « anticléricales » d’autant plus que ces religieux ouvraient des établissements  professionnels qui freinaient l’émigration vers la France. Le populaire journaliste algérien assassiné par le FIS, Lounès Maatoub (1956-1998) confiait que «  les Pères ne parlaient que de valeurs morales, jamais de religion ; ce qu’ils nous apprenaient élargissait mes vues ». Les Sœurs reçurent l’autorisation de Pie X en 1914 de servir comme sages-femmes, ce qui les aida à pénétrer au cœur des familles et d’améliorer considérablement  l’hygiène domestique.

C’est à Alger que demeurera l’autorité centrale de la Société jusqu’en 1952, date à laquelle elle sera localisée à Rome. Le noviciat sera établi à Alger, à Sainte-Marie près de Maison Carrée puis à partir de 1882 à Carthage. En 1886, six provinces seront délimitées : Alger, Kabylie, Tunisie, Nyanza, Tanganyka, France. Seront créées par la suite les provinces de Belgique, d’Allemagne (Marienthal et Trèves), Pays-Bas, Suisse, Angleterre, Ecosse, Irlande, Italie, Etats-Unis, Argentine, Palestine. La Société éditera les revues Missions d’Afrique à Alger et Grands Lacs en Belgique. Les Pères Blancs ont été appréciés pour la qualité de la formation à la prêtrise dans leurs séminaires africains (comme celui de Baudouinville fondé en 1932)  comme Mgr. Hinsley le souligne : « Les Pères Blancs sont les formateurs les mieux capables de préparer les candidats à la prêtrise : leurs séminaires n’ont pas d’égal en Afrique » (p. 304). En 1917, fut ordonné le premier prêtre congolais Stefano Kaoze, plus tard évêque. Les cadres des séminaires restaient formés à Alger et à Carthage. A Jérusalem, la Société fut chargée par le Patriarcat melkite de diriger le Séminaire de cette Communauté de 1878 à 1967.

Le Bey de Tunis lègue à la France en 1939 la colline de Byrsa où se trouvait la sépulture de Saint-Louis décédé en 1270. En 1875, la Société disposait à Carthage du Scolasticat Saint-Louis, auquel s’ajoutera en 1879 l’Ecole Saint-Charles (transformé plus tard en Lycée Carnot). Après la tenue du Concile de Carthage en 1890, le Congrès eucharistique de Carthage du 7 au 10 mai 1930 aura un retentissement mondial puisque 8 cardinaux et 100 évêques européens et américains y prendront part aux côtés de 3000 prêtres et séminaristes venus de France ; une procession de cent mille personnes le dernier jour impressionna les journalistes présents. Ce qui demeure de cette époque, c’est l’Institut des Belles-lettres arabes (IBLA), fondé par le Père Henri Marchal (1875-1957) pour promouvoir les études de langue arabe et d’islamologie, dirigé par le grand arabisant Père André Demeerseman pendant 60 ans. La section d’Etudes arabes de l’IBLA,  intégrée à l’Université tunisoise de La Manouba en 1949, deviendra l’Institut pontifical d’études arabes et islamiques de Rome qui continue à former de remarquables spécialistes religieux et laïcs de la région.

Dans les territoires français, les Pères Blancs ouvrent des écoles en 1921 à Bamako (où la catéchèse se faisait en bambara) et à Ouagadougou, où l’ordre africain des Pères de la Sainte-Famille sera créé ; les Pères devront lutter contre les coutumes locales du mariage précoce et de la polygamie reconnue par l’administration coloniale comme mariage coutumier. Monseigneur Kiwanoka, leur élève, deviendra le premier évêque africain en 1928.

Le Congo, empire privé du roi Léopold, fut remis au gouvernement belge en 1908, qui recueillit également le Burundi et le Rwanda, possessions allemandes jusqu’en 1918. Des Pères Blancs étaient installés au Burundi depuis 1879 et un mouvement important de conversion au catholicisme, comme au Rwanda, surtout chez les Hutus, s’opéra. Déjà les relations Tutsis-Hutus étaient tendues. En 1938, au Congo belge, un sixième de la population était scolarisée, le gouvernement belge couvrant 80% de la construction et de l’entretien des écoles ; néanmoins le roi Léopold exigeait que les missionnaires soient belges.

Les territoires britanniques de l’Est africain avaient aussi été confisqués aux Allemands en 1918 comme le Tanganyka, l’Ouganda rejoignant la Zambie , le Malawi ; la Société qui s’était au début du siècle occupée de l’aide aux esclaves survivants affamés des rafles opérées par les bandes esclavagistes swahilies venues de la côte, avait rapidement construit un réseau de séminaires en Tanzanie à Taboura (Unyanyembé) ou à Rubaga en Ouganda, tout en catéchisant en luganda, et d’établissements scolaires. Les Spiritains, de leur côté, dirigeaient avec succès le Technical Teaching College de Morogoro.

L’auteur rappelle que dans la formation des séminaristes, les Pères Blancs furent partagés entre deux options : les futurs prêtres africains devaient être formés comme leurs homologues européens ou dans les conditions spécifiques locales qui tenaient compte des problèmes de la polygamie, de l’autorité des anciens et de l’inégalité entre hommes et femmes. La solution a sans doute été trouvée aujourd’hui par les intéressés eux-mêmes. Nos confrères et consœurs, qui ont servi en Afrique, savent mieux que d’autres combien les sources des missions étrangères, particulièrement des Pères et Sœurs Blancs, sont utiles à la connaissance du continent africain.

C’est en cela aussi que cet ouvrage mérite leur attention d’autant plus que la bibliographie est basée sur les archives de la Société (pages 383 à 399), que l’index général est bien pratique (pages 408 à 416) et qu’une intéressante iconographie ainsi que les cartes régionales sont insérées entre les pages 176 et 177.