Histoire de l'Agence française de développement en Côte d'Ivoire

Recension rédigée par Jean Nemo


            Dans l’ouvrage Présences françaises Outre-mer, publié par l’AdSOM et Karthala en 2012 et dans le premier tome, p. 949 et sq., quelques pages sont consacrées à l’AFD sous le titre « Un instrument de coopération qui traverse les décennies (1941 à nos jours) ». Titre qui pour être lapidaire donne quelques indications sur la nature et l’évolution d’un instrument qui fut, entre autres, « la Caisse de la France libre (1941-1944), Trésor, institut d’émission, office des changes » (René Pleven en fut le premier président). Puis « Caisse centrale de la France d’Outre-mer (1944-1958), une agence « payeur » pour le compte de l’État et banque pour le développement outre-mer ». Ensuite, continuant son évolution, « Caisse centrale de coopération économique (1958-1992) : mêmes caractéristiques mais adaptation à la nouvelle donne politique, enfin Caisse française de développement (1992-1998) puis l’Agence française de développement (1998 à nos jours) ».

            Ces différents intitulés démontrent la capacité de cette vénérable institution et de ses autorités de tutelle à savoir oublier des fonctions devenues inutiles (l’émission monétaire) et s’adapter à de nouvelles missions, toutes relatives à l’un des axes majeurs d’abord de la « mise en valeur » ou du « développement » de territoires d’Outre-mer, français, en grande majorité africains, puis des mêmes pays devenus indépendants (sans pour autant abandonner les départements d’Outre-mer ni les territoires restés dans l’orbite de la République). Des incursions de ce banquier du développement dans d’autres régions du monde qui ne furent jamais françaises, fort rares dans les premières décennies, le sont sensiblement moins aujourd’hui, même si l’Afrique subsaharienne demeure le noyau dur du fonds de commerce.

            On citera dans cette diversification relativement récente : en Asie, le Cambodge, la Chine, l’Inde, l’Indonésie, le Laos, le Pakistan, les Philippines, le Sri Lanka, les Maldives, la Thaïlande et le Vietnam ; en Amérique latine et aux Caraïbes, le Brésil, la Colombie, Haïti, le Mexique, les Petites Antilles, la République Dominicaine, le Surinam ;  en Méditerranée et au Moyen orient  l’Algérie l’Égypte, la Jordanie, le Liban, le Maroc, la Syrie, les Territoires palestiniens, la Tunisie, la Turquie et le Yémen.

            L’AFD agit directement dans ses pays d’implantation, parfois seule, souvent en partenariat avec d’autres « bailleurs de fonds » du développement. Elle y a pris et continue à y prendre des participations significatives à des organismes de crédit locaux, soit spécialisés (logement), soit plus généralement tournés vers le développement. On  notera en outre qu’à travers l’une de ses filiales, la PROPARCO, elle finance des projets relevant du secteur privé.

            Des mesures annoncées dans les premiers mois de 2016 auraient pu faire croire qu’une fusion absorption par la Caisse des Dépôts allait rapidement mettre fin à plus de 70 ans de bons et loyaux services et transférer ses missions dans une nouvelle structure coiffée par ladite Caisse, dont les finalités et les spécialisations n’ont qu’assez peu à voir avec le financement du développement et de la lutte contre la pauvreté. Il semble que cette idée soit depuis écartée.

            Le lecteur pourra se demander pourquoi un si long préambule dans le compte-rendu d’un ouvrage qui semble ne concerner qu’une chronique très localisée, celle de l’AFD en Côte d’Ivoire.

            On ne lui épargnera cependant pas la poursuite de ce préambule, cette fois non plus à travers des considérations géographiques ou historiques mais bien pour lui signaler que depuis sa création, sous des formes diverses et en fonction des problématiques telles qu’alors comprises, l’institution a accompagné et nourri son action d’évaluations de ses projets, de réflexions sur ce que devaient être ses priorités et ses modalités d’intervention sur le terrain. Sans être le seul opérateur réfléchissant à la fois au montage de ses projets et aux contextes dans lesquels ils doivent s’inscrire, il est depuis des décennies, pour la France, l’un des pôles essentiels de l’analyse des problématiques du développement et des priorités qui en résultent. L’AFD met à la disposition de nombreuses publications de fond (rapports d’activité générale et par grands thèmes, publications périodiques thématiques), pilotées notamment par une direction « Études, recherches et savoirs » (leur catalogue récent contient plus de 80 pages).

            En outre, l’AFD héberge par exemple Afrique contemporaine, l’un des périodiques incontournables pour qui entend connaître et comprendre les grands thèmes historiques, sociologiques, économiques du continent. De nombreuses conférences et rencontres, fort suivies en particulier par des universitaires, étudiants et professeurs, ont lieu dans ses locaux (par exemple, le cycle quasi mensuel « Idées pour le développement », participation au cycle « Odyssée »)

            C’est dire que cette institution sait parfaitement accompagner son activité de banquier, en y mettant des moyens humains et matériels importants, d’une activité de recherche et de réflexion. Elle n’est certainement pas la seule en France mais elle figure sans peine parmi les plus importantes, probablement la plus importante, hors université et instituts de recherche.

            On ne saurait ici développer les raisons d’une telle affirmation. Il était cependant indispensable de bien situer les cadres historiques, opérationnels, conceptuels et de recherche,  dans lesquels s’inscrit l’ouvrage dont il va enfin être question, patient lecteur…

            C’est à un exercice d’historiographie que se livre l’auteur. Il semble bien que dans la diversité des travaux ci-dessus décrits, l’histoire détaillée des différentes agences locales aient été négligée, alors qu’elle pourrait être de nature à éclairer les interactions entre les recherches et les réflexions menées depuis Paris et la réalité de l’action quotidienne sur le terrain.

            Si le lecteur s’en tenait à la seule table des matières, il pourrait croire que l’ouvrage concerne plutôt les évolutions générales de l’institution et ses adaptations opérationnelles à des problématiques allant des circonstances du moment à une réflexion élargie sur des thèmes de plus en plus convenus au niveau national et international ou multilatéral : la courte période où la Caisse fut institut d’émission monétaire par exemple, une période plus longue où elle fut un instrument privilégié de la « mise en valeur » de territoires dépendants, une période encore plus longue connue sous le nom de « Coopération au développement », en réalité sensée maintenir des relations privilégiées avec de nouveaux États auparavant TOM, plus récemment des thèmes admis et promus par la communauté internationale, tels les objectifs du millénaire ou la lutte contre la pauvreté.

            En fait, c’est à travers la chronique de l’une des plus anciennes implantations de la Caisse que se décline l’interaction entre le centre et la périphérie.

            L’on apprend (le lecteur plus averti rafraîchit sa mémoire) l’histoire déjà fort ancienne de la banque et de la monnaie en Afrique occidentale (depuis 1853, au Sénégal), c’est le « temps de l’investissement colonial ». Puis, sous des intitulés applicables à l’histoire de la Caisse, on entre dans la chronique ivoirienne.

            On est frappé des difficultés de mémoire, qui expliquent le recours à l’analyse d’archives souvent incomplètes pour les plus anciennes, et l’appel au témoignage d’anciens Directeurs Généraux et autres agents.

            Au-delà d’une chronique organisée en fonction des critères ci-dessus rappelés, l’auteur ne se limite évidemment pas au dépliant publicitaire. Certains passages de son introduction et de sa conclusion en témoignent :

            « Ce livre s’adresse non seulement aux partenaires de l’AFD en Côte d’Ivoire, mais aussi aux historiens ivoiriens, afin de leur offrir clés et points de repère » Mais aussi « De fait, l’Agence est un établissement public, vecteur par lequel se déclinent les politiques publiques qu’il sert… En outre, la Caisse, à la rencontre du terrain, permet à la fois de servir concrètement ces politiques publiques et d’agir sur leur évolution… »

            « L’Agence a-t-elle servi les intérêts de la France ou une mission de développement ? De fait, les deux ne sont pas incompatibles. S’il faut juger des intérêts de la France par la qualité de sa relation avec la Côte d’Ivoire, nul doute que la permanence du partenariat a ses vertus…Il est possible aussi de faire l’hypothèse que l’AFD a beaucoup appris en Côte d’Ivoire, d’une façon qu’elle ne sait sans doute pas définir, mais qui a façonné la politique française de coopération. »

            L’auteur n’exclut pas pour autant que l’action de l’agence de la Caisse puis de l’AFD ait pu servir des intérêts français, à la fois sur les plans sectoriel, économique, diplomatique et de politique de coopération puis d’APD. Mais pas au détriment, tant s’en faut, des intérêts ivoiriens. Le contraire donc d’une politique prédatrice et – notation de la seule responsabilité du rédacteur de la présente note – de domination. Soit une « Françafrique » qui n’est certes pas celle reconnue de façon simpliste et fort péjorative par l’opinion publique et représentée par certains noms français et africains d’un passé pas si ancien.

            Pour qui s’intéresse aux questions de développement des pays du Sud et notamment africains, la lecture de cet ouvrage apportera des informations concrètes prêtant à réflexion. L’un des mérites, déjà signalé, de cet ouvrage réside entre le croisement du terrain et d’un « opérationnel » qui lui est propre et la réflexion menée à d’autres niveaux. Il n’est pas sûr que l’histoire de la coopération française et de l’APD à laquelle participe la France ait réellement été écrite, malgré de très nombreux rapports parlementaires, institutionnels ou universitaires. Encore moins de ce qu’elles furent sur le terrain. On doit souhaiter d’autres chroniques organisées à propos de l’AFD dans d’autres pays et, pourquoi pas si la mémoire et les archives n’en sont pas égarées, sur les missions de coopération qui furent en leur temps l’un des partenaires, avec les agences de la « Caisse », un instrument fort original d’une « Françafrique » (ou d’une Afrique aux relations privilégiées avec la France) beaucoup moins sulfureuse que celle qui vient spontanément à l’esprit lorsque l’on utilise ce mot.