Les politiques de l'islam en Afrique : mémoires, réveils et populismes islamiques

Recension rédigée par Christian Lochon


Une étude des deux directeurs de la publication  a été consacrée à l'Afrique de l'Ouest dans son ensemble (p.17 à 30). Trois contributions sur le Burkina Faso ont été rédigées par Issa Cissé (p.127 à 148), Mara Vitale (p.187 à 200), Fabienne Samson (p. 281 à 297); une sur le Gabon par Doris Ehazouambela (p. 57 à 73); quatre sur le Mali par Kamanan Jean-Yves Traoré (p.75 à 89), Françoise Bourdarias (p. 149 à 171), Gilles Holder (p.215 à 245), Moussa Sow (p.263 à 279); deux sur le Niger de Romain Loimeier (p.173 à 185), Seyni Moumouni (p.247 à 261); quatre sur le Sénégal par Jean Copans (p. 33 à 56), Kae Amo (p.93 à 126), Jean-Pierre Dozon (p.203 à 214), Fabienne Samson (p.281 à 297).

La préface du Pr. Hamid Bozarslan (p.5 à 16) souligne tout d'abord que la pluralité des formes de religiosité dans l'Afrique musulmane n'est pas différente de celles du reste du monde musulman. Pour lui, le blocage théologique et intellectuel des Oulémas, qui sont réglés sur une posture défensive ou corporatiste, conduit à une militance islamiste qui réduit le Coran à quelques versets dits de l’Épée et instrumentalise l'islam pour en faire un discours sur la légitimation de l’État dans la mesure où la fonctionnarisation des Oulémas en a fait un corps de légitimation du pouvoir. A la manière de l'Empire ottoman, les États du Moyen-Orient ont monopolisé la référence religieuse comme source de légitimation en utilisant le verset «Obéissez à Dieu, au Prophète et à ceux d'entre vous qui détiennent le commandement» (Coran IV 59). Depuis les années 1970-1980, les Régimes autocratiques se légitiment par l'orthopraxie, dont l'organisation de mariages collectifs en est un exemple. Pour certains chercheurs musulmans, les sciences sociales démontrent la formation historique de l'islam mais ce courant moderniste, intellectuellement puissant, est socialement marginal et on assiste à une fuite massive des élites du Moyen-Orient. Les analyses de ces africanistes vont-elle confirmer une évolution semblable pour la partie musulmane de l'Afrique ?

Le but du livre, tel que défini page 18, est de comprendre la dynamique culturelle, sociale et politique de l'islam à partir des «espaces publics religieux», qui sont islamiques mais aussi chrétiens et animistes. Dans ce contexte, depuis les années 1980, l'inadaptation des jeunes diplômés, le népotisme de la fonction publique, le désintéressement des États africains pour l'agriculture et l'industrie conduisant à des importations coûteuses et au renchérissement du coût de la vie, la dévaluation du franc CFA en 1994, ont entraîné la paupérisation et la contestation sociale devenant confessionnelle (p.25).

Le Burkina-Faso fut islamisé par des commerçants au XVIIIe siècle mais la population est majoritairement musulmane depuis peu. En 1962, la communauté musulmane se dota d'une Structure nationale et c'est en 1968 que le pays eut son  premier Président musulman Lamizana. La confrérie tijaniyya est la plus répandue mais elle est contestée par les «Sunnites» qui se divisent en Wahhabites, en arabisants et même en francophones. Le mouvement pakistanais Ahmadiyya, considéré comme hétérodoxe a contribué largement au soutien de l'économie burkinabé grâce à son ONG «Humanity First » tandis que la Libye ouvrait un Centre Culturel islamique polyvalent en 2010. Les associations musulmanes, transformées en ONG. recherchent en fait la reconnaissance des États arabes.

L'islam pénétra au Gabon à la fin du XIXe siècle avec le fondateur sénégalais de la Mouridiya, Cheikh Ahmadou Bamba, exilé dans ce pays puis au cours du boom pétrolier (1974-1984), facteur d'importation de main d’œuvre. En 2004, 65% de la population était chrétienne, 14,5% animiste, 6,5% musulmane. Des intellectuels musulmans contestent l'action des confréries et la vision littéraliste du Coran des Salafistes.

Le Mali évoque un Empire médiéval disparu au Moyen-Age. Au XIX siècle, il fut dévasté par des autocrates esclavagistes (Segou). Lorsqu'il se sépara du Sénégal, il fut en proie à des coups d’État militaires. Le retour à la démocratie favorisa l'essor des associations musulmanes. L'effondrement du Mali en 2012-2013 entraîna l'installation de l'AQMI et de l'AZAWAD d'Iyad Ag Ghali dans le Nord et le djihadisme fit fuir des centaines de milliers de civils. L'islam modéré est celui des confréries, surtout tijaniyya et qadiriyya ainsi que celui du Mouvement local Ançar Din, du prêcheur Haïdari rassemblant 150 000 membres, dont des politiciens, des officiers, des cadres de l'Administration, des étudiants mais qui est contesté par les Wahhabites. D'anciennes cérémonies animistes sont islamisées comme le «Jominé» (en wolof, mois de la capture des esclaves), qui célébra la revanche des animistes contre les esclavagistes musulmans et qui a été assimilé à la commémoration de l'Achoura» (dixième jour du premier mois de l'année musulmane). Il semble qu'une société civile religieuse prenne forme, la sphère religieuse représentant dorénavant le peuple face aux élites politiques, accusées d'occidentalisation et de brader l'indépendance. C'est pourquoi le Code de la Famille, favorable à l'égalité homme/femme, promulgué en 2009, n'est toujours pas appliqué.

La population du Niger est musulmane à 98,7%. En 2007, un Ministère des Affaires Religieuses fut créé, établissant des jours fériés pour les fêtes musulmanes, consacrant des émissions audiovisuelles à l'islam, développant les activités publiques du mois de Ramadan. Beaucoup de Nigériens appartiennent aux confréries tijaniyya ou qadiriyya. Mais sous l'influence du Nigeria voisin, en 1987, les Mouvements salafistes «Yan Izala» (Association pour la suppression des innovations blâmables) et «Yan Hisba»( Association pour l'application de la Charia), soutenus par de riches négociants, essaient de s’imposer. Cependant, le Gouvernement nigérien, qui bénéficie d'une importante aide internationale, s'en tient à sa Constitution qui affirme la séparation de l’État et de la religion.

Le Sénégal est qualifié par M.J.L Triaud de «nation confrérique». Son Président-fondateur, Senghor, chrétien, entretenait de bonnes relations avec les confréries; Abdou Diouf, qui était tijani, également. Abdoulaye Wade (2000-2012) déconstruisit l’État en favorisant outrageusement les Mourides auxquels il était affilié. Maaky Sall, également mouride, a reconstitué le Contrat social sénégalais. Les grandes confréries intègrent l'espace politique et économique; Touba, centre des Mourides, a une population de 500 000 habitants. Mais des diplômés d'Arabie Saoudite, appelés Ibadou, veulent réislamiser le Sénégal et mènent une politique anticonfrérique. Des mouvements intégristes violents,  parfois massés en Casamance, essaient de déstabiliser le pays.

Si chaque contribution dispose d'une bibliographie parfois étendue, on regrettera que cet ouvrage manque cruellement de cartes de cette région de l'Afrique ni des États qui la composent dans la mesure où les toponymes cités sont très nombreux et qu'il s'agit parfois de villages complètement inconnus du grand public, où les chercheurs ont conduit des études ethnographiques et sociales. Il serait nécessaire également pour le lecteur de disposer de deux glossaires, l'un portant sur le lexique des langues africaines régionales évoquées, un autre sur les termes arabes religieux empruntés, parfois déformés par ces mêmes langues africaines. Enfin, un index des noms propres était indispensable. Jean-Louis Triaud, cité page 48, rappelle justement que «travailler sur l'islam exige une connaissance de l’islamologie comparée et des savoirs orientalisants».