Mes chemins d'Afrique : carnet d'un agronome

Recension rédigée par Jean Nemo


            On ne présente évidemment pas l’auteur, bien connu à l’Académie, non plus que l’éditeur qui œuvra pour elle et pour d’autres confrères, il n’y a guère. Encore moins le préfacier, le Président Abdou Diouf, confrère associé qui félicite l’auteur pour son témoignage en souhaitant qu’il « serve à tous ceux qui, comme moi, croient que le développement se produit lorsque les biens fondamentaux, c’est-à-dire la nourriture, la santé, l’éducation et la formation sont fournis aux populations. ».

            Au cas où, cependant, Clément Mathieu serait peu ou mal connu de certains de ses consœurs et confrères, les quelques lignes qui suivent – et bien entendu l’ouvrage, lui-même qu’ils pourront sans peine consulter – devraient combler les lacunes.

            Il s’agit en effet ici d’une série de synthèses – encore que les détails circonstanciés de parcours n’y manquent pas - et non pas de « Mémoires » au sens classique. Parcours marqués par des cheminements, ceux d’un agronome, « carnet d’exploration » mais aussi relations circonstanciées d’expériences d’un homme du grand large ou plutôt de terrains.

            En treize chapitres, Clément Mathieu retrace la longue attente de l’aventure africaine, le début de celle-ci et ses étapes. Sans se priver d’évoquer d’autres expériences ou incursions extra-africaines. Car à l’occasion de chacune de ces étapes, il convoque de façon très intime les raisons de sa vocation d’agronome-pédologue, en même temps qu’il détaille et commente les entreprises de développement auxquelles il a contribué ou qu’il a initiées. À la fois homme de terrain, enseignant, consultant, il enrobe son cheminement personnel et familial de nombreuses considérations agronomiques, pédologiques, économiques, de développement.

            Ces « carnets » ne sont pas seulement de voyage ou d’exploration plus ou moins touristique, ils traitent donc aussi de questions techniques. Mais aussi d’allers et de retours du terrain à la formation et vice-versa, de réflexions sur l’action et ses objectifs, ses résultats et ses insuffisances.

            On ne résume pas facilement un tel ouvrage. Quelques mots cependant pour situer les parcours.

            Né en pays wallon, province de Liège, au nord de l’Ardenne belge, collégien à Verviers, il est tôt attiré par les grands espaces et notamment le Congo belge. L’un de ses professeurs en effet, jésuite, a passé quelques années au Bas-Congo et en a rapporté des souvenirs enthousiastes qu’il transmet à ses élèves. Avant même de préciser quel métier il souhaite exercer, il sait dès l’âge de douze ans qu’il ira en Afrique, au Congo.

            Guère plus tard, il choisit l’agronomie qu’il étudie d’abord à Huy, toujours en Wallonie, sur le bord de la Meuse. Il a parmi ses professeurs un homme qui le marquera et dont il deviendra plus tard un proche collaborateur et co-auteur de nombre de publications, Jean Lozet. C’est là qu’il précise son choix de la pédologie, discipline au sein de l’agronomie, alors à peine définie.

            Puis il débute comme pédologue à la station d’agronomie de Laon, où il passe plusieurs années. Rongeant son frein devant les portes de l’Afrique, il saisit enfin l’occasion d’une relation de coopération modérément apaisée entre la Belgique et son ancienne colonie pour tenter, au début des années 1970, d’y aller. Faux départ, c’est finalement par le Maroc qu’il ouvre ses explorations africaines. Il y va au titre de la coopération belge, sur un grand périmètre aménagé de la Basse-Moulouya.

            Cet assez long périple (près de huit ans) depuis l’Europe et des expériences européennes avant enfin d’arriver au Maroc est résumé dans un premier chapitre, « Un rêve vers les terres africaines » dont la construction se répétera de la même façon dans chacun des douze chapitres suivants : des souvenirs personnels et familiaux, les personnes rencontrées et les rapports humains qui s’en sont suivis, les caractéristiques générales ou spécifiquement agronomiques ou pédologiques des contrées de travail ou de consultation, des considérations techniques mais aussi méthodologiques sur les projets. Avec le souci constant des problématiques du développement. Le tout accompagné de la bibliographie des articles, ouvrages ou rapports de la période.

            C’est ainsi que le lecteur suivra l’auteur de la Basse-Moulouya au bord du lac Tanganyika, en Tanzanie, dans les brousses de l’Oubangui, en pays Ébrié, à Kinshasa et ses environs, sur les hauts plateaux éthiopiens, au Sénégal, en pays mossi, au Tchad. Ces « explorations » entrecoupées de postes d’enseignement. Le tout pour le compte d’organismes divers, en particulier la FAO ou le PNUD.

            Depuis son départ à la retraite, pas d’inactivité puisqu’il a poursuivi des actions de terrain en créant notamment, en 2005, l’ONG Association France Tchad Pendé Agriculture et en poursuivant des missions de consultant. On notera enfin que sous le nom de l’auteur de l’ouvrage en 1ère de couverture figure une mention et une seule, «Membre de l’Académie des sciences d’Outre-mer ». Hommage ou simple référence, cette mention incite évidemment ses consœurs et confrères  à s’intéresser à cet ouvrage.

            Il appartient à cette catégorie de publications devenues depuis deux ou trois décennies relativement fréquentes : celle d’auteurs qui, jeunes ou très jeunes hommes au tournant des années 1950/1960, ont porté un regard sur le monde qui ne pouvait plus être celui de leurs anciens, contemporains d’une époque coloniale révolue. La soif de voyages, d’explorations, de service d’autrui dans des pays d’outre-mer devait avoir d’autres motivations car les défis auxquels étaient confrontés les « pays d’outre-mer » appelaient dorénavant d’autres réponses que celles apportées par une colonisation dominatrice même lorsqu’elle se voulait humaine.

            Il n’est pas surprenant que sur le tard, ces auteurs souhaitent « faire le point » de leur vie au service d’idées généreuses mais adaptées aux préoccupations nouvelles d’aide au développement, de partenariat plus que d’imposition, de coopération plus que de mise sous tutelle. Soit hier comme aujourd’hui, des réflexions sur les raisons d’engagements au loin, apport de compétences là où elles s’avèreront utiles et nécessaires, souci de confronter les idées et les actions à leurs résultats pour mieux les ajuster en fonction de cette évaluation.

            À chacun sa façon propre d’exposer au lecteur et à une opinion souvent trop prise par d’autres préoccupations moins …lointaines. Mais au-delà de la façon de faire, il est indispensable que ces récits de vie maintiennent le souvenir d’une exploration de terres lointaines, les carnets raisonnés de voyages qui ne sont plus ceux des découvreurs mais ceux des « développeurs » convaincus de leur mission et sachant la mettre en œuvre.

            La façon de Clément Mathieu, comme on l’a évoqué, tend à une certaine forme de globalité, d’exhaustivité, mêlant les souvenirs les plus personnels à la description, dans un cadre disciplinaire précis, des tâches accomplies, rappelant les écrits, ceux qui constituent l’ossature des carnets de voyage et une générosité relevée par le préfacier évoqué plus haut.

            Comme pour tout témoignage de vie, d’engagement, on peut ici et là ne pas adhérer à telle ou telle façon de comprendre les problématiques, en raison par exemple d’expériences personnelles du lecteur qui l’autorisent à imaginer d’autres analyses. Ce qui compte ici, c’est d’abord et cependant d’écouter le témoignage. L’ouvrage mérite qu’on se prête à cette audition.