Paradoxe religieux dans un contexte esclavagiste : analyse psychanalytique des signifiants d'une conversion

Recension rédigée par Jean Nemo


Curieux parcours que celui de cette auteure, à la fois gymnaste et diplômée de l’université de Montréal en science des religions ; sans doute aussi psychanalyste à l’occasion, comme peut le laisser supposer une partie du titre de l’ouvrage sous revue. De plus, elle-même impliquée, fût-ce via le souvenir de certains de ses ancêtres, dans la mémoire d’« un contexte esclavagiste ».

L’ouvrage sous revue est issu d’une thèse de doctorat, après un mémoire de maîtrise sur le même sujet. Thèse elle-même ou ouvrage « grand public » ? Ce n’est pas très clair, mais probablement la thèse proprement dite.

Les divers parcours de l’auteure inciteront le lecteur à ouvrir cet ouvrage, au moins à le consulter. D’autant plus que la littérature issue de l’analyse de l’esclavage vue par des descendants d’esclaves, voire des revendications anti esclavagistes, est abondante. Elle est souvent d’excellente qualité philosophique, culturelle et littéraire. Et on ne saurait négliger tout ouvrage qui tente d’expliquer les aspects religieux de ce « contexte esclavagiste ».

Un colloque à la thématique voisine, intitulé « L’esclavage : quel impact sur la psychologie des populations ? » s’est tenu en Martinique et en Guadeloupe (2016). Sauf lecture inattentive, il n’y est pas fait allusion dans le présent ouvrage. Il est vrai que l’objet de celui-ci est autre, comme l’écrit l’auteure dans les dernières lignes de sa conclusion : « En cela, le paradoxe soulevé crée une ouverture qui voit au-delà du problème esclavagiste. Il s’agit donc d’une remise en cause de la définition de la vision du christianisme ». Le véritable christianisme serait donc « non pas une religion ou une croyance culturelle et dogmatique, mais une philosophie universelle ».

On notera, sans que cette remarque ôte quoique ce soit à l’intérêt de l’ouvrage, que celui-ci s’intéresse uniquement à la conversion des Noirs devenus esclaves en Amérique et à ses modalités, plus précisément dans la Caraïbe et en Amérique du Nord. Ne sont évidemment pas abordés d’autres types de populations esclaves dans d’autres régions et d’autres époques du monde.

L’auteure rappelle qu’obligation y était faite aux maîtres, au cours des XVIIe et XVIIIe siècles, d’évangéliser leurs esclaves, donc de les convertir. De « cette situation esclavagiste émerge un paradoxe dit religieux, puisque les maîtres avaient la même religion que ces personnes qui avaient été réduites à l’état d’esclave ». L’auteure ne le précise pas mais le laisse entendre, cet « état d’esclave » fut l’une des justifications de l’esclavage : rendre chrétiens des êtres qui ne l’étaient pas dans leur milieu culturel et social. Soit « assujettir et ré-humaniser ».

Il n’est pas dit ici que ni Jésus, ni les apôtres, ni les évangélistes n’ont jamais formellement dénoncé l’esclavage et que, dans le monde en train de devenir chrétien, maîtres et esclaves pouvaient partager la même foi. Mais, comme il a été dit, l’ouvrage sous revue traite d’une période et d’un contexte bien délimités. Néanmoins, quelques comparaisons avec d’autres « cohabitations dans l’inégalité » figurent ici et là, notamment dans le chapitre 2 qui traite de « La Traite des Noirs et l’esclavage colonial » mais la situe dans un contexte historique plus large.

À ce propos, l’auteure déclare : « …et sans trop nous attarder sur les variations de la traite depuis l’Antiquité, nous présenterons l’évolution des traites musulmanes, la justification avec la malédiction de Cham et enfin, nous terminerons sur la traite atlantique des captifs africains noirs ».

Au passage, elle rappelle, sans trop d’esprit critique, l’origine noire de la civilisation égyptienne, malgré une traite déjà active qui aurait concerné les populations subsahariennes. Comme tout essai de synthèse, l’afflux des références et des citations complique la tâche du lecteur un tant soit peu « éclairé », en suscitant de sa part nombre d’observations et de commentaires. Remarque mineure, l’auteure avait un autre objectif.

Il est en effet ici traité du « paradoxe religieux », première partie du titre de l’ouvrage, et des réalités concrètes d’une conversion pas forcément toujours contrainte, celle qui « ré-humanise » des sous-humains. Reste à expliquer la seconde partie du titre, l’ « Analyse psychanalytique des signifiants d’une conversion ».

Dans sa conclusion, l’auteure indique que la psychanalyse selon Freud s’appuie pour l’essentiel sur la relation familiale et notamment paternelle, source d’impensés qui pèsent sur le conscient. « Allant dans ce sens, nous avançons que les esclaves ont retrouvé un équilibre affectif chez les missionnaires en tant que « Père » physique par lesquels la « voix » du Fils divin établi par le Père Céleste se manifesta. Ce fut une reconnaissance de l’existence de l’homme dans l’esclave. ».

L’ouvrage sous revue comporte, outre une introduction et une conclusion trois parties et neuf chapitres. La première partie rappelle le contexte historique, la seconde détaille le fond, les raisons et les modalités de l’instruction religieuse donnée aux esclaves, la troisième, intitulée « Une illusion de la puissance de la religion » rappelle ce qu’est la religion, selon Freud notamment, comment elle se manifestait en Afrique puis dans une continuité culturelle comment elle a persévéré, et sous quelles formes, chez les esclaves soi-disant convertis.

Il a été ici rendu compte, par référence aux passages les plus significatifs, d’un ouvrage qui donne à réfléchir. Non pas que le lecteur soit toujours convaincu des approches thématiques et du choix forcément limité des références, mais bien justement parce qu’il appelle à la discussion.