L'ambivalente libéralisation du droit du travail en République de Djibouti

Recension rédigée par Jean Nemo


L’ouvrage ici commenté est la transcription éditée d’une thèse soutenue à Bordeaux en 2015, sous le même titre. L’ensemble, thèse et livre, constitue probablement la seule étude de fond consacrée au droit du travail en République de Djibouti.

Comme le précise en effet la 4e de couverture, au moment de l’indépendance, à Djibouti comme ailleurs en Afrique francophone, c’est le droit hérité de l’ancienne puissance coloniale qui est resté, à peu de choses près, le droit en vigueur. Or il s’est écoulé, depuis, des décennies et un droit qui n’évolue pas finit par être plus ou moins inadapté.

Le droit du travail djiboutien a donc dû s’adapter à un contexte évolutif. L’intérêt de l’ouvrage réside dans son analyse des raisons et des axes de cette adaptation, ainsi que des influences qui peuvent les expliquer en tout ou en partie.

Or le titre n’est pas neutre : au-delà de l’analyse juridique par un expert, il signale dès le premier abord « l’ambivalence » de l’évolution et sa caractéristique essentielle, la « libéralisation ». À ce stade, ce mot recouvre des notions si diverses et présuppose un certain jugement de valeur qui incite le lecteur à ne pas se contenter d’un coup d’œil sur la couverture et à plonger dans une lecture austère, le genre de la thèse, même adaptée à l’édition grand public, ne se prêtant pas à un simple survol.

La table des matières fournit une bonne indication de la nature de l’analyse.

Une première partie propose une analyse de « la dynamique libérale », celle qui conduit à la consécration de libertés (individuelle, collective), mais aussi à un renvoi marqué de tout ou partie des règles applicables à la contractualisation au niveau des branches et des entreprises, des assouplissements des règles de licenciement, un plafonnement des indemnisations…

Dans une seconde partie, il est traité de « l’absence d’abdication de l’État ». Celui-ci n’a donc consenti qu’en partie à une certaine libéralisation, celle qui laisserait employeurs et salariés face-à-face pour régler leurs rapports de travail. L’État se réserve en effet l’encadrement des conditions de travail (temps de travail, conditions de repos…), une certaine protection accordée aux travailleurs les plus fragiles, les plus vulnérables (jeunes, femmes, handicapés…), le contrôle des conditions des relations de travail et de règlement des conflits, en  particulier dans le domaine des conventions collectives.

L’auteur rappelle les grandes dates de ces évolutions : une loi « Daach » de 1997, un code du travail de 2006. Il s’agit donc ici de l’analyse d’une évolution dans la durée. Mais, comparaison n’est certes pas raison, risquons ici une brève remarque : les problématiques évoquées par l’auteur font penser à des débats en cours actuellement, en France -plutôt agités-à propos d’une loi controversée. N’allons pas plus loin, à ce stade, dans cette incidente…

Dans sa conclusion, l’auteur note, sans esprit polémique : « Pour les autorités publiques, le droit du travail devait être impérativement révisé afin de tenir compte des conditions réelles de l’économie. La solution préconisée pour atteindre un tel objectif a été impulsée de l’extérieur par les institutions financières internationales… ». Dans ses dernières phrases, il porte un jugement moral critique (en bon juriste, il s’en était abstenu tout au long de ses analyses) : « Dans un tel contexte, les pouvoirs de l’employeur sont renforcés alors même que les institutions de contrôle telles que l’administration du travail et les autres organes compétents n’ont plus, pour ne pas dire moins, de personnel, de moyens, de pouvoirs. La totale liberté ainsi laissée à l’employeur constitue la porte ouverte aux abus renforçant in fine l’inquiétude des salariés qui ne savent plus à quel saint se vouer… Devant de telles évolutions, ne sommes-nous pas conduits à observer que le droit du travail djiboutien actuel tente de remédier mais participe également à la précarisation des salariés, allant peut-être jusqu’à la susciter et l’entretenir ? ».

Ouvrage solide, à l’appareil critique abondant, qui intéressera le lecteur car outre les spécificités proprement djiboutiennes, il soulève, comme on l’a vu, des questions généralisables, relatives aux difficiles équilibres des relations de travail entre salariés et entreprises.                                                                                                                



 
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