Françafrique : opérations secrètes et affaires d'État

Recension rédigée par Jean de La Guérivière


            Le choix du « feuilleton d’été » est toujours un casse-tête pour les quotidiens. Le journal L’Opinion l’a résolu à sa façon en publiant du 9 juillet au 19 août 2015 une série intitulée « Françafrique : derniers mystères ». Enrichi de six chapitres inédits, cela est devenu un livre signé par Pascal Airault, journaliste au service international dudit quotidien parisien, et Jean-Pierre Bat, historien responsable du « fonds Foccart » aux Archives nationales.On s’en doute, avec un tel coauteur, la fantasmagorie relative à l’action menée par le Monsieur Afrique du général de Gaulle nous est épargnée. Sans verser dans l’hagiographie, loin de là, le livre est plus calme et équilibré que pouvait le laisser penser un sous-titre quelque peu racoleur.

            Dû à Félix Houphouët-Boigny, qui s’en servit le premier pour qualifier les relations spécifiques entre la France et ses anciennes colonies, le néologisme « Françafrique » a pris une connotation péjorative avec la publication du livre de François-Xavier Verschave, La Françafrique, le plus long scandale de la République, en 1998. « Entre les deux tensions contenues dans ce mot, la réalité est moins manichéenne, surtout lorsqu’elle doit embrasser un demi-siècle de politique africaine », écrivent les auteurs.

            Le livre s’ouvre par le détournement de l’avion du FLN, le 22 octobre 1956.  Il s’achève par l’exfiltration de Blaise Compaoré avec l’aide de la France le 31 octobre 2014. Autant dire que ces vingt-six « affaires d’État » sont d’inégales importances. Certaines étaient de vrais « coups tordus » ; d’autres, telle la dévaluation du franc CFA imposée aux Africains par Paris en 1994, ressortent d’avantage au dossier de synthèse. Sans prétendre apporter des révélations sensationnelles, les auteurs ont d’ailleurs l’honnêteté de souligner que plusieurs conservent leur part de mystère. Clair et précis, leur livre a le mérite de rafraîchir nos mémoires tant en ce qui concerne le Maghreb que l’Afrique noire.

            Au fil des pages, on revit par exemple l’opération « Mar Verde » à Conakry, en  1967. Mieux organisée, elle eût permis aux Portugais, sans doute encouragés par les Français, de renverser Sékou Touré, principal soutien des maquisards du Parti africain pour l’indépendance de la Guinée-Bissau et du Cap-Vert (PAIGC). Son échec, après un mini débarquement, autorise au moins les auteurs à commencer ironiquement un chapitre : « À Conakry, à l’aube du XXIe siècle, chacune des épaves de bateaux échoués au large de la capitale est le prétexte à des récits totalement imaginaires et épiques qui mettent en scène la résistance guinéenne du 22 novembre 1967 contre les forces impérialistes et colonialistes ».

            Inhérente à l’Afrique noire, la dimension drolatique de certains épisodes fait sourire après des pages très sombres qui constituent un opportun hommage posthume à de grands serviteurs de la France. Ainsi René Journiac, successeur de Jacques Foccart à l’Élysée  disparu en 1980 dans le crash de l’avion personnel d’Omar Bongo ; ainsi, en 1975, le commandant Galopin, capturé au cours d’une mission au Tibesti pour la libération de l’otage Françoise Claustre, torturé, pendu par ordre d’Hissène Habré, alors rebelle tchadien.

            Les confidences de Michel Roussin, relatives à la période où il dirigeait le cabinet d’Alexandre de Marenches, patron du SDECE, ont permis aux auteurs de nourrir des pages particulièrement intéressantes. Elles ont trait au voyage secret que Jonas Savimbi, chef de l’Unita en Angola, effectua à Paris en novembre 1977 pour une rencontre avec Marenches boulevard Mortier. Elle eut, entre autres conséquences, une opération coup de poing par des agents du service Action infiltrés à Luanda. Elle consista à faire sauter l’hôtel de la capitale angolaise abritant les conseillers militaires bulgares du MPLA, le mouvement marxiste d’Agostino Neto. C’était le temps de la « guerre froide » étendue à l’Afrique, le bon temps où le service Action méritait son nom.