Tsogho, les icônes du Bwiti : statuaire du Gabon, des rives de la Ngounié au massif du Chaillu

Recension rédigée par Henri Marchal


            Vivant au centre du Gabon entre le fleuve Ngounié et le massif du Chaillu (dont le nom est lié à leur découvreur), les Tsogho comptent parmi les oubliés des arts africains. Pourtant dès les années 1860, outre ses observations du milieu naturel, un curieux explorateur, né à l’île Bourbon d’une mère mulâtre, détaillait leur cérémonie d’initiation connue sous le nom de culte du bwiti. En quête de ses origines paternelles, Paul Belloni du Chaillu fait au Gabon un premier séjour en 1848. Lors d’un second séjour en 1864, il est le premier à utiliser le terme de « maison du Mbuiti ou de l’idole du village » pour avoir assisté dans ce lieu sacré à la célébration des rites chantés du bwiti aux sons de tambours et de la harpe ngombi à huit cordes.

            Dans sa description, l’explorateur ne fait aucune référence aux masques, qui sont considérés généralement comme essentiels pour de telles cérémonies. Auraient-ils été soustraits à la vue des non-initiés ou plus vraisemblablement leur usage n’aurait-il été qu’ensuite acquis au contact des populations voisines riches en « sociétés de masques » ? Il faut attendre les années 1920 pour que les masques sortent au Gabon de l’anonymat. Maurice Halley, puis le futur sénateur Durand-Réville qui dirigèrent successivement dans le Haut-Ogooué une grande compagnie concessionnaire acquirent pour en faire don, l’un au musée de Lyon en 1932, l’autre au musée du Trocadéro en 1936, deux masques blanchis proches des créations punu et désormais identifiés comme appartenant  aux Vuvi, qui partagent le même univers culturel que leurs voisins Tsogho.

            Autour des années 1900, les missionnaires spiritains qui nous avaient donné précédemment les premières images de leurs « idoles » en bois, s’attachent à faire l’inventaire de la statuaire tsogho. Ils révèlent en même temps le rôle de la plante hallucinogène iboga dans le parcours d’initiation du bwiti. La documentation sur la culture matérielle des Tsogho est plus tardive ; elle ne date que des années 1960.

            C’est dans une niche aménagée dans le fond de l’ebanza (ou maison de culte) soutenue par deux poteaux latéraux sculptés à personnages qu’est exposée la statue vénérée, en position assise ou au corps tronqué chargé de reliques. Chez les Tsogho, les reliques sont attachées par une poche à sa statue qui ne peut être fixée verticalement qu’en enfouissant sa partie inférieure. Cela invite le sculpteur à ne représenter qu’un buste aux bras repliés près du buste. La propension à négliger les membres inférieurs ne s’applique pas seulement aux Tsogho et se définit comme une norme régionale. Parmi les signes emblématiques de leur statuaire, des scarifications verticales sur le front s’ajoutent aux larges oreilles garnies de boucles de métal et à la crête pileuse du milieu du crâne. Des statuettes féminines en pied, couvertes de kaolin ou patinée de rouge, présentent un visage taillé dans un losange dont le sommet se prolonge par des couettes.

            Outre le rituel du bwiti, toujours vivant dans ces régions avec sa fonction de garant de l’ordre social, les Tsogho semblent, d’après l’auteur, avoir été à l’origine d’une école sculpturale étendant leur influence jusqu’à l’aire des Sango qui ont créé des figures de reliquaires « à long cou ».  On peut encore constater une certaine proximité avec les sculptures kota. Sans être un apanage tsogho, des visages sculptés apparaissent encore sur des trompes en ivoire, des harpes et des cloches rituelles en métal.

            Bertrand Goy qui a longtemps vécu en Afrique est reconnu comme un spécialiste du continent. Il est par ailleurs un bon connaisseur des peuples premiers d’Indochine et, à ce titre, pour Jarai, il a reçu le prix Auguste Pavie de notre Académie. Par ce présent ouvrage, il a cherché à remédier à une lacune qui avait pour effet de laisser dans l’ombre d’éminentes traditions culturelles. En réunissant les meilleurs exemplaires de leur statuaire anthropomorphe il a réalisé, avec le soutien de Bernard Dulon, son ambition de donner aux Tsogho la place qu’ils méritent dans l’histoire des arts africains.