Au cœur du chaos : la résistance d'un chrétien en Orient

Recension rédigée par Christian Lochon


            Religieux de l’Ordre maronite des Mariamites, Sa Béatitude  Bechara Raï,
77e Patriarche de sa communauté, a été élu le 15 mars 2011 puis nommé Cardinal en 2012. La Congrégation des Mariamites se consacre à l’enseignement et le Patriarche Bechara aura été directeur du Collège Notre-Dame de Louaizé, qu’il transformera en Université. Au
Proche-Orient, il est une des personnalités marquantes, reçue aussi bien à Washington qu’à Paris, où d’ailleurs ses visites sont protocolairement d’Etat puisqu’il représente la « Nation maronite », héritage des anciennes Capitulations.

            Isabelle Dillmann est la fille d’Andrée Balladur d’une famille levantine de Smyrne, originaire de la communauté arménienne de Perse et la nièce d’Edouard Balladur. Son
grand-père était directeur de la Banque ottomane à Smyrne et ouvrira une succursale à Marseille. Grand reporter familière des problèmes du Proche-Orient, elle aura vécu durant ses entretiens avec le Patriarche dans la communauté de culture monastique qui entoure le Prélat dans ses résidences libanaises de Bkerké ou de Dimane.

            Le patriarcat maronite a toujours joué un rôle essentiel dans la représentation spirituelle mais aussi politique d’une grande partie des Libanais chrétiens ; ainsi, le Patriarche Elias Hoyek défendit à Versailles en 1920 la création d’un Grand Liban. En 1989, le Patriarche Sfeir, pris à partie par de violents partisans du Général Aoun, fut exfiltré de son palais par Mgr Raï ; deux ans plus tard, les Accords de Taef furent rédigés par le Président (chiite) du parlement Hussein Husseini et ce même Patriarche Sfeir. En 2016, le Chef de l’Eglise Maronite s’élève contre « l’aventurisme du Hezbollah et du CPL (Parti du général Aoun) qui bloquent la présidentielle » (page 107) et également « contre la lourdeur de la dette publique, l’expatriation des jeunes en quête d’emploi (p. 108), certains politiciens qui ne sont pas toujours des politiques au sens noble du terme » (p. 112).

            En politique étrangère, il fustige « l’intervention des Etats-Unis au Moyen-Orient depuis 2003 » (p. 140), le projet du Grand Moyen Orient défendu par Condoleeza Rice
(p. 149) qui fait éclater les pays recréés en 1921, l’Irak, la Syrie, le Liban en petites unités confessionnelles (sunnite, chiite, druze, alaouite, chrétienne) afin de protéger la sécurité d’Israël qui n’a pas hésité à installer 400.000 colons israéliens en Cisjordanie et 200.000 à Jérusalem Est (p. 156) défiant les résolutions successives de l’ONU. Le Patriarche Raï a pourtant, contre son opinion publique, accepté d’accompagner le Pape François en 2014 à Jérusalem car « c’était son devoir, dit-il, nous avons un diocèse, un vicaire patriarcal et 11.000 fidèles maronites » parmi les 200.000 chrétiens d’Israël. En France, reçu comme un Chef d’Etat, il  se fait rabrouer en 2011 par l’Elysée parce qu’il ne condamne pas le régime de Damas mais il  semble avoir obtenu gain de cause en 2016 de la part du Président Hollande revenu à plus de réalisme. C’est que 60.000 Maronites résident en Syrie et un million et demi de Syriens sont réfugiés au Liban. Sa Béatitude reproche au Hezbollah de soutenir militairement le régime alaouite aux côtés de l’Iran et des Chiites irakiens : « le Liban n’aurait jamais dû se mêler de la guerre en Syrie » (p. 138).

            La communauté maronite est fière de la devise de ses patriarches « la gloire du Liban leur est donnée ». Le massacre de 350 moines maronites au Ve siècle par leurs coreligionnaires syriaques jacobites en Syrie pour des divergences théologiques entraîna l’exode des Maronites dans les monts du Liban où ils allaient devenir la communauté chrétienne majoritaire. En 1367, le Patriarche martyr Gébraïl Hjoula fut brûlé vif par les Mamelouks. En 1584, à Rome, était créé le Collège Maronite où allaient être formés les cadres de leur Eglise ; en 1736, le premier Synode maronite réorganisa les structures ecclésiales et surtout en imposant aux prêtres l’obligation d’ouvrir des écoles de village, contribua à développer l’instruction primaire pour tous, extraordinaire révolution à l’époque. S.B. Bechara Raï s’est rendu au Kurdistan d’Irak pour soutenir les 120.000 Syriaques et Chaldéens chassés par Daech de la Plaine de Ninive ou réfugiés de Bagdad et de
Bassorah ; des religieux libanais ont été envoyés dans les couvents irakiens pour aider à la réforme du monachisme, mais aussi dans les écoles ouvertes aux réfugiés arabophones comme l’école Saint-Irénée d’Erbil ou les instituts universitaires de Kirkouk et de Suleymanieh. Le Patriarche entretient de bonnes relations avec ses homologues russe de Moscou, grec orthodoxe de Damas et avec le Vatican auquel il envoie des rapports sur la situation des Chrétiens au Proche Orient; dans Paris-Match du 19 mai 2016, il déclarait sa satisfaction de constater « que le Souverain Pontife tenait parfois compte dans ses décisions de mes informations ».

            « La terre entière est sous la terreur des extrémistes » constatait le Patriarche Béchara à Paris ; c’est pourquoi le dialogue islamo chrétien demeure si important. Les Libanais émigrés sont fiers de leur origine et ils envoient, Musulmans et Chrétiens, 8 milliards d’euros annuellement à leurs proches restés au pays. Les familles musulmanes placent leurs enfants dans les écoles confessionnelles chrétiennes « pour la qualité de l’enseignement et de l’éducation, l’ouverture à l’autre et la fraternité » (p. 50). D’ailleurs, en visite pastorale dans les cantons sunnites ou chiites de la Bekaa (pages 17 et ss), le Chef de l’Eglise maronite reçoit un accueil chaleureux ; il l’explique par l’article 9 de la Constitution libanaise ainsi libellé : « Le Liban reconnaît toutes les religions et leurs statuts personnels. Nous séparons confessions et Etat, mais pas Etat et Dieu. » (p. 69 et 101). Néanmoins, et la situation dans les pays voisins le montre bien, il faut admettre avec lui que  « le monde arabe est théocratique. L’islam n’a pas franchi le pas, comme en Occident en séparant la religion de l’Etat. La théocratie est un système politique où il n’est pas admis de donner une opinion différente de l’autorité. Nous le savons, nous, Chrétiens arabes ».

            Ces qualités d’homme d’Etat et de leader religieux sont bien celles d’un « résistant chrétien en Orient » qui doit assumer clairvoyance politique et gouvernance spirituelle ; aussi lorsque le Patriarche Raï assure que « notre avenir à tous dépend … d’une confrontation entre fanatiques d’une part et croyants authentiques d’autre part, quelle que soit leur religion… (et que) de ce fait, nous sommes responsables les uns les autres devant Dieu et devant les hommes » nous ne pouvons que souscrire à ses propos.                                                                                                      

 



 
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