Ecologie, traditions africaines et développement : enjeux environnementaux en Afrique subsaharienne : actes du colloque de Bandundu (octobre 2012)

Recension rédigée par Philippe David


            Cet ouvrage, à première vue austère, rassemble vingt-quatre contributions (dont trois de B. Biniama lui-même) réparties selon cinq modules et fournies par une quarantaine d’intervenants apparemment tous africains et presqu’exclusivement congolais. Il s’agit en fait des actes d’un colloque international tenu à Bandundu (RDC) en octobre 2012 à l’initiative du CEESBA/Centre d’études socio-ethnologique du Bandundu issu en 2002 du CEEBA, « institut culturel diocésain » créé en 1965 par un missionnaire autrichien « svd » (société du Verbe Divin) visant « à identifier l’impact des destructions écologiques modernes sur le développement... de l’Afrique en particulier ».

            Se trouvent donc rassemblées ici, en désordre mais peu importe, à la fois plusieurs études techniques très précises et très chiffrées et des références religieuses multiples et affirmées, notamment de B. Biniama et parfois en langues locales, au catholicisme, aux Saintes Ecritures et surtout aux prises de position contemporaines des derniers papes. Rappelant en effet l’encyclique Rerum novarum de Léon XIII de 1891, on passe ensuite par Jean-Paul II pour aboutir à la « Révolution verte » de Benoît XVI lui-même qualifié de “pape vert” pour avoir écrit « Si tu veux la paix, protège la création » et, comme François après lui, « pèlerin de la vérité écologique ». L’un des orateurs achève même sa communication par la belle formule : « Qu’il vous soit fait selon votre foi ». Une foi dans laquelle B. Biniama, à plusieurs reprises, s’enfonce  délibérément, n’hésitant pas à qualifier la Bible de premier texte écologique de l’humanité. Pourtant, impertinent ou audacieux, un participant n’hésite pas à évoquer les ravages causés en Afrique par l’implantation forcée et ratée d’un « cœur chrétien » pendant la domination coloniale tandis qu’un autre rappelle que la Génèse elle-même ordonne aux hommes de dominer la terre sans scrupules au lieu de la ménager : « Emplissez la terre et soumettez-la » (I 28). Dans ces conditions, la primauté écologique absolue de la création et du divin message biblique n’est peut-être plus aussi évidente et l’on comprend alors « les débats souvent houleux » mentionnés par B. Biniama dans son avant-propos de l’ouvrage.

            Bien que local au profit d’abord d’une seule grande province du pays et de sa capitale Bandundu, loin de Kinshasa, et délibérément tenu entre soi, gens d’église, étudiants et chercheurs catholiques avec un seul émissaire du Saint-Siège et un  seul représentant du pouvoir central, le colloque ne s’en consacre pas moins aussi aux problèmes nationaux dans leur ensemble et d’abord à la forêt. Géant d’Afrique, le Congo est en effet riche de ses 115 millions d’hectares de forêtsnaturelles - la deuxième forêt tropicale du monde - dont l’Etat est propriétaire exclusif mais trop souvent mauvais défenseur. Les conflits sont en effet innombrables entre les populations locales et les sociétés exploitantes dévastatrices, malgré l’adoption du Code forestier d’août 2002.

            « Pour une refondation ontologique de l’écologie », les grands principes sont inlassablement rappelés et, du même coup, les noms, plutôt mal connus en France (sauf René Dumont) de plusieurs de ses « pères » : Jonas, Haeckel, Dansereau et Lovelock.

             Lorsqu’il est un peu dégagé de son ambiance strictement religieuse, le colloque passe en revue tous les domaines de l’action humaine dans son  environnement naturel et décrit ou encourage des projets de développement précis  scrupuleusement envisagés en fonction des trois perceptions, simultanées mais souhaitables, de l’écosystème et des sites naturels : la traditionnelle, l’africaine moderne et l’occidentale. Sont ainsi évoqués à cette occasion les rites et rituels touchant à la conservation de la nature, y compris les rites de « lecture du paysage sacré » et les rites de réparation après violation des très nombreux interdits que l’homme africain s’impose, notamment en forêt. Du coup, on peut qualifier de  proprement « conjugale » la relation  de l’homme et de la terre qui s’appartiennent réciproquement et qui englobe même aussi la faune là où chaque clan vénère un animal protecteur. Analysant donc l’environnement sous tous ses aspects, le colloque évoque la médecine traditionnelle, les accouchements, l’épidémiologie, les anophèles, le paludisme, les morsures de serpents et aussi les fours à bois, dangereux pour la vie quotidienne au moins dans la ville de Bandundu où s’affirme, par ailleurs, le rôle des femmes déjà souligné et encouragé dès 1992 au Sommet de la Terre de Rio. On va même plus loin : à partir de la suppression délibérée (et évidemment condamnable) des enfants mal formés encore pratiquée par une « tribu » locale, on élargit la notion d’euthanasie à toutes les actions humaines consistant à défricher, saccager, détruire ou polluer la nature, finissant par la dénoncer plus largement encore sous tous ses aspects comme « politique, économique, raciale, culturelle et naturelle ». La capitale, Kin-la-belle devenue Kin-poubelle, n’en est-elle pas un bel exemple ?

            Cet ouvrage, très original, impose une lecture parfois ardue et toujours très attentive mais revigorante par la multiple richesse, les francs diagnostics et la ferveur originale et sacrée des analyses qu’il rassemble pour nous convaincre, au moins dans le contexte d’un très grand pays africain, de « l’appel silencieux de la nature » certes « malmenée » mais - ne l’oublions jamais - détentrice de sa « dignité propre ».