Le transport maritime dans l'archipel guadeloupéen depuis 1930

Recension rédigée par Jean Martin


 

            Capitaine au long cours (on dirait aujourd'hui capitaine de la navigation maritime
de 1re classe) ayant pendant des années navigué "au commerce" dans la mer Caraïbe, Roger Jaffray est entré en 1960 dans l'administration des Affaires Maritimes où il a terminé sa carrière en 1988 avec le rang d'administrateur général. Il a exercé ses fonctions aux Antilles et en Guyane pendant une quinzaine d'années. De son séjour dans les Antilles françaises, il a retiré les éléments de la présente étude, qui est à la fois le fruit de son expérience professionnelle et « îles du Nord » (Saint Barthélémy et Saint Martin).

            Chacun sait que l'archipel guadeloupéen se compose de cinq îles ou groupes d'îles : la Guadeloupe proprement dite, divisée entre Grande Terre et Basse Terre (séparées par un étroit canal), le groupe des Saintes (Terre de Haut et Terre de Bas), Marie-Galante, la Désirade (avec la Petite Terre composée de deux îles inhabitées qui forment aujourd'hui un parc naturel protégé), et nettement au nord, les îles Saint Barthélémy et Saint Martin (française uniquement dans sa partie nord et flanquée de l'îlot Tintamarre).

            Entre ces diverses îles, un cabotage actif s'est naturellement développé très tôt. Comme point de départ de son étude, l'auteur a retenu l'année 1930, (qui est aussi celle de sa naissance, ce qui est probablement fortuit). Cette année a été choisie comme marquant les premiers pas de la reconstruction d'une colonie dévastée par le terrible cyclone de 1930 qui avait également décimé la flottille de commerce locale.

            L'avant propos qui est loin d'être dénué d'intérêt, brosse un panorama général de la flotte marchande guadeloupéenne à travers les âges.

            L'auteur a agencé son dossier en 6 parties chronologiques. Nous n'aurons pas la prétention d'en faire un inventaire exhaustif. Les années 30, qui sont celles de la reconstruction et de la reconstitution d'une flotte marchande modernisée sont traitées au chapitre 1.

            Une première partie  (chapitres 2, 3 et 4) traite des liaisons avec les dépendances proches: les Saintes, Marie-Galante et la Désirade. Marie-Galante, la plus étendue et la plus peuplée de ces trois groupes, est dépourvue de bon port et l'accostage sur un wharf y est malaisé par gros temps. Cette île eut pourtant des armateurs, des capitaines et des caboteurs qui acheminaient sa production sucrière à Pointe-à-Pitre. On admirera la photographie de la goélette "Père Labat" sous voiles, p. 44.

            La deuxième partie, comprenant les chapitres 5, 6, 7 et 8, est consacrée aux liaisons du centre de l'archipel (Grande Terre et Basse-Terre) : armements traditionnels, Transatlantique etc). Nous apprenons, ainsi, p. 170 la triste mésaventure survenue en 1966, à Petit-Canal, à un canot saintois de 3m60 dont le patron embarqua 14 personnes, (pour franchir 1.500 mètres). Et bien sûr, l'embarcation chavira, un passager ayant gesticulé, ce qui fit 8 noyades.

            Une troisième partie (chapitres 9 et 10) traite des liaisons avec les îles du nord, Saint Barthélémy et Saint Martin qui forment aujourd'hui des collectivités territoriales distinctes du département de la Guadeloupe. Comme ces deux îles font l'objet d'un volume particulier, l'auteur s'est contenté ici d'un survol un peu rapide mais néanmoins instructif. On sait que Saint Barthélémy, île autrefois fort pauvre du fait du manque d'eau, arma jadis une belle flottille de goélettes qui transportaient à la Guadeloupe la production des salines, seule ressource de l'île. Quant à Saint Martin, qui avait également des salines et eut aussi beaucoup à souffrir de la sécheresse et des cyclones, ce fut un haut lieu de la contrebande à l'époque de la prohibition aux Etats-Unis. L'armateur Fleming, figure notable de l'île, un peu forban, possédait un cotre de 13 mètres équipé d'un  moteur de 130 cv pour échapper aux garde-côtes américains.

            La quatrième partie, intitulée : « Liaisons dans l'ensemble de l'archipel et au-delà » chapitres 11 à 27  nous donne un inventaire détaillé des divers armements et compagnies exploitant ou ayant exploité des bâtiments au cabotage dans l'archipel. Il s'agit généralement de petites entreprises, le plus souvent familiales, possédant jusqu'à trois navires et souvent un seul. Les armements Guy Jacques et Joseph Cassin effectuaient la desserte des Saintes. Le chapitre 13 nous apprend que le  département de la Guadeloupe avait crée en 1952 une régie maritime qui arma plusieurs navires, principalement pour le service des passagers à destination de Marie-Galante et occasionnellement des îles du nord. La carrière du caboteur « Delgrès » construit à Saintt Malo en 1960 (qui, soit dit en passant, porte le nom d'un commandant et non d'un colonel d'Empire, puisque sa fin glorieuse intervint sous le Consulat) est bien retracée pp. 204-210.

            Le  chapitre 17 (armement Lacascade et Michaux) nous donne un très beau croquis du caboteur « Gustavia » (nom du chef-lieu de Saint Barthélémy, datant de la présence
suédoise) : c'est le type du caboteur « paragraphe »[2] de 499 tx construit à Hambourg vers 1950 (appelé aussi en Allemagne caboteur  « quirataire »[3]). Acquis à Granville en 1976 et affecté à la ligne Pointe à Pitre - Saint Barthélémy, Saint Martin, assurant un départ hebdomadaire (sous le commandement de Lacascade), ce petit navire fut après avoir été endommagé  par le cyclone Hugo (septembre 1989), déclassé et immergé en  mai 1991. Le même chapitre nous apprend que MM. Lacascade  (d'une famille très connue en Guadeloupe) avaient passé commande d'un bâtiment porte-conteneurs de dimensions analogues aux chantiers Bréhéret d'Ingrandes sur Loire (sans être dans une ignorance complète  des choses de la mer nous ignorions que des navires de mer de ce gabarit pussent être construits dans cette petite ville du Maine-et-Loire à plus de 50 km. en amont de Nantes) mais le projet fut annulé  et ils acquirent le navire roulier « Galisbay ».

            Pour le transport des passagers, des conflits de concurrence entre armateurs entraînaient parfois des situations embarrassantes : tel fut de cas de la vedette « Atlante » (une ancienne embarcation de promenade de l'Odet, armée par la société Hydrojet Caraïbes) qui, en juin 1995,  ne put débarquer ses 60 passagers à la Désirade, les bateaux concurrents lui ayant barré l'accostage au débarcadère, et fut contrainte de retourner à Saint François.

            La cinquième partie (8 chapitres) est consacrée aux liaisons hors de l'archipel guadeloupéen, effectuées par des catamarans rapides, le plus souvent à destination de la Martinique. Celles-ci ont été assurées par de petites et moyennes compagnies disposant en général de capitaux plus importants que les petits armements familiaux locaux : Caribia Ferries, Ramaye, Ferrymar, Groupe Viking, et même la Navigation Mixte, jadis bien connue à Marseille.

            Une sixième et dernière partie (chapitres 36 à 42, pp. 385 à 352) traite des activités de service et présente quelques portraits et descriptions techniques de navires de servitude, presque tous basés à Basse-Terre ou à Pointe à Pitre: bateaux « margats » (selon le langage des marins) affectés au service des ports et des rades, au lamanage, etc, remorqueurs, chalands et barges, dragues et maries-salopes, vedettes pilotines, ravitailleurs du service des phares etc…

            Aucune embarcation à moteur, fut-elle du plus infime tonnage, ayant évolué dans les eaux de la Guadeloupe, n'a apparemment échappé aux investigations de l'administrateur général Jaffray, pas même la barge « Maréchal Pétain », lancée en 1942 et jaugeant 3 tonneaux! (a-t-elle porté longtemps ce nom ?). Cet ouvrage, agrémenté d'une riche iconographie, qui n'est pas un catalogue, peut être considéré comme une somme.

                                                                                                             


[2] Sont réputés caboteurs "paragraphe" les navires de moins de 500 tx. navigant à courte distance des côtes et bénéficiant de dérogations en matière d'équipage et d'équipement qui font l'objet d'un paragraphe du texte de loi.

[3] Les caboteurs quirataires sont la propriété de plusieurs personnes, souvent d'une même famille ou d'une même profession, qui en possèdent des parts. En Allemagne, la corporation des dentistes est bien connue pour ce type de placement. (quirat dentaire).