Les francophonies littéraires

Recension rédigée par Jean Nemo


            Dans l’abondante production d’écrits, d’essais et autres analyses que suscitent la Francophonie et les francophonies, ce court ouvrage se situe comme une sorte de manuel « aide-mémoire ». Non pas à l’usage des « Nuls », mais à celui du lecteur intéressé par une bonne synthèse et curieux des présences du français de par le vaste monde.

            Quelques mots sur l’auteure pour bien situer ce manuel (soulignons que ce terme n’est pas ici péjoratif) dans sa trajectoire universitaire et bibliographique.

            Née en Algérie encore française, Christiane Chaulet Achour y a longuement vécu puisqu’elle a enseigné à l’université d’Alger de 1967 à 1993, à partir de 1982 Professeure au département de français. Puis elle a rejoint des universités françaises (Caen puis Cergy Pontoise) où elle anime notamment un Centre de Recherche Textes et Francophonies (CRTT). Elle a également été coordinatrice de l'équipe de recherche FMGS, Féminin-masculin de l'Université de Cergy-Pontoise.

            Sauf erreurs dans la recherche bibliographique, elle a publié plus en France qu’elle ne l’avait fait en Algérie. Depuis, sa bibliographie (ouvrages, articles, seule ou en co-directrice), est abondante. Ce qui lui a récemment valu, sous le titre de «Littératures plein Sud » un ouvrage de Mélanges en son honneur, sous la forme d’un numéro spécial de la revue Algérie Littérature/Action. Elle avait à peu près au même moment, en Algérie, fait l’objet d’un autre hommage, « Hommages croisés – Naget Khadda, Christiane Chaulet Achour ». Il est vrai qu’en Algérie, avec laquelle elle n’a pas rompu les liens, elle a contribué autrefois, en participant à maintes commissions, à définir la nature et les objectifs de la formation supérieure en français dans un contexte que l’on sait n’avoir pas été facile.

            Il ne peut ici, à propos de ces « francophonies littéraires », être traité des grandes orientations de l’auteure. Il est néanmoins utile, pour situer le présent ouvrage, d’en dire quelques mots. Elles se déclinent comme suit : analyse et vulgarisation auprès d’un public d’abord collégien et étudiant des littératures nées dans les anciennes colonies ; des littératures de l’exil et de l’immigration en France ; celles plus particulièrement des femmes ; les littératures postcoloniales ; et les littératures de genre. Ceci, avec le souci clairement explicité de faire connaître à un large public, en priorité un public jeune, des littératures selon elle trop méconnues.

            Excellente connaisseuse de la littérature algérienne, elle a consacré plusieurs ouvrages et articles à Frantz Fanon, (« l’importun »), au genre mais aussi aux autres littératures francophones, notamment caribéennes, aux littératures coloniales et postcoloniales. Bref, de quoi légitimer s’il en était besoin l’ouvrage sous revue.

            Celui-ci commence par définir la Francophonie, l’institutionnelle, dont il est rappelé qu’à l’origine elle est issue de l’initiative de Diori Hamani, Bourguiba et Senghor mais que depuis, elle a sensiblement évolué ; les francophonies, notamment littéraires et leurs spécificités dans la longue durée, en situation de « langue universelle » en Europe, notamment vantée par Rivarol, celle qui dénie le droit à l’existence des langues régionales, puis de langue de la colonisation et de la post colonisation.

            Après avoir ainsi rappelé l’histoire et la situation actuelle de la Francophonie, il est proposé au lecteur une définition des francophonies d’auteurs : elles seraient le fait d’écrivains dont le français n’est pas la langue maternelle. Définition évidemment incomplète puisqu’elle écarte les écrivains dont la langue maternelle est le français ou l’un de ses dérivés. D’où une évolution récente vers une approche plus complexe. Les francophonies littéraires seraient le fait de tous ceux qui écrivent en français mais qui ne sont pas Français, soit d’abord une francophonie des suds, fortement marquée par l’histoire coloniale et post coloniale, la francophonie des pays du nord de l’Amérique et d’Europe, soit une séquence complexe d’auteurs qui ont choisi, contraints ou pas, de s’exprimer en français et de ceux qui écrivent dans une langue qui leur appartient de naissance. À l’appui de cette analyse, il est fait appel à plusieurs témoignages significatifs d’écrivains qui ont traité de ces problématiques (Alain Mabanckou, Henri Lopès, Marie Desplechin, Mohammed Dibb…) soit pour les analyser, soit pour les contester.   

Après ces considérations plus riches qu’elles ne sont ici résumées, l’auteure développe son propos en trois parties.

De la période coloniale avec un accent particulier sur l’esclavage, à la période postcoloniale, la littérature française de France telle qu’elle est illustrée par le colonisateur ou l’ex colonisateur : des échos littéraires de l’économie de plantation au voyage en Orient et, naturellement, du roman dit colonial ou, dans une certaine continuité d’esprit, à des prix littéraires des années 1960 à nos jours (le prix Goncourt en 1964 pour « L’État sauvage » de Georges Conchon ou « Les flamboyants » de Patrick Grainville…).

Puis sont passés en revue « les écrivains sous colonisation et en postcolonies », ici encore l’on reste dans les approches coloniales ou postcoloniales, pour l’essentiel dans des pays du Sud qui furent à un moment ou l’autre des colonies françaises.

Viennent enfin, en troisième et dernière partie, de brèves monographies relatives à quelques littératures de langue française, haïtienne, algérienne, vietnamienne, mauricienne. Brèves mais riches en informations sur des écrivains la plupart sinon inconnus mais probablement mal connus d’un lectorat hexagonal.

Comme on l’aura compris, le titre retenu est plus général que le contenu même, bien plus centré sur un panorama de la littérature française à propos des colonies et sur les littératures en français des pays anciennement colonisés, de l’époque coloniale à celle qui a suivi.

On comprendra également que pour ambitieuse que soit l’entreprise, et malgré des informations précieuses, l’ouvrage sous revue relève essentiellement d’un objectif
majeur : faire connaître à un certain public des littératures des Sud(s) qu’il ne connaît pas. D’où le terme, pris au bon sens, de « manuel » employé plus haut.

Christiane Chaulet Achour poursuit ici son parcours étroitement lié au souci de faire connaître une certaine francophonie des littératures.