Étudiants africains en mouvements : contribution à une histoire des années 1968

Recension rédigée par Jean Nemo


            Écrit à dix-neuf plumes, cet ouvrage collectif vient compléter une littérature à ce jour déjà assez fournie, mais probablement peu connue du grand public, fût-il intéressé par l’actualité récente ou passée des Afriques indépendantes.

            Il est vrai que la situation des étudiants africains et malgaches, à la veille des indépendances (leur porte-parole est à cette époque la remuante FEANF, Fédération des Étudiants d’Afrique Noire en France), est pour beaucoup de nos contemporains tombée aux oubliettes. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, ce syndicat étudiant n’a pas eu de rôle déterminant dans les processus qui, à partir de la loi cadre Defferre en 1956 ont rapidement conduit aux indépendances de 1960. Certes contestataire et anticolonialiste, il se préoccupait d’abord de la situation matérielle et morale de ses adhérents, guère plus que deux ou trois milliers au moment de sa création (début des années 1950). Avant de se politiser au point d’appeler une étroite surveillance de la part du gouvernement français.

            Rappelons qu’à de très rares exceptions près (Dakar et Tananarive), aucune faculté, encore moins aucune université n’existait en Afrique subsaharienne française. Les étudiants africains et malgaches, boursiers (rares jusque vers 1955) ou non, n’avaient pas d’autre choix que de faire leurs études universitaires en France métropolitaine. Rappelons également qu’il a fallu attendre les années 1955-1960 pour que soit organisé de façon institutionnelle, par le gouvernement français, l’accueil des étudiants africains et malgaches.

            Notons encore que la FEANF a survécu quelques années aux indépendances mais toujours contestataire, son influence, réelle au début des années 1960, a diminué en raison de la création des universités africaines et de nouveaux enjeux politiques et syndicaux en Afrique subsaharienne.

            Certes l’ouvrage sous revue traite des étudiants africains par rapport aux vents contestataires de l’année 1968, en France et dans le monde. Il était bon de rappeler cette première expérience, ce d’autant plus que l’une des codirectrices du présent ouvrage, Françoise Blum, vient d’y consacrer un article dans lequel elle conclut au maintien d’une certaine influence « panafricaine » de la FEANF, jusqu’à la fin des années 1960, sur l’ensemble des mouvements étudiants africains. Lequel article est d’ailleurs ici repris.

            Cet ouvrage ne semble pas être une sorte de compte-rendu d’un colloque quelconque mais résulte, comme l’indique l’introduction des trois co-directeurs, « d’une aventure collective initiée à Paris I Panthéon-Sorbonne lorsque des historiens et historiennes de l’Afrique (IMAF) et des mouvements sociaux en France principalement (CHS) ont décidé de croiser leurs recherches ». D’où un séminaire « Circulation des cultures d’opposition : mouvements politiques en Afrique (années 1960-1970) » puis un colloque, en 2014, « Mouvements étudiants en Afrique francophone, des indépendances à nos jours ».

            L’ouvrage sous revue s’efforce donc de situer, dans ce cadre général de rencontres et de regards croisés entre historiographes de l’Afrique contemporaine et celle des années 1968 dans le monde, l’insertion et les spécificités des mouvements étudiants africains.

            Il se structure en trois parties : la fabrique de la Nation ; transformer la société, imaginer l’école, réinventer les luttes ; diasporas, connexions et circulations.

            Comme il est d’usage dans ce type d’ouvrage, il est proposé au lecteur un certain nombre de monographies (dont trois en anglais) traitant de cas spécifiques, tels les enjeux du « complot des enseignants » en Guinée Conakry (1961) ou le « mai dahoméen » ou encore « les engagements politiques et mobilisations des étudiants africains en URSS (1960-1974) ». On constate, avec ces quelques exemples, que contrairement à ce que pourrait laisser entendre le titre, il est bien traité ici d’une histoire qui commence un peu avant les indépendances des années 1960 et se termine au milieu de la décennie 1970.

            Comme il est dit en conclusion, l’historiographie des mouvements d’étudiants africains est encore loin d’être exhaustive. Mais il y est proposé « trois âges » : celui de l’anticolonialisme, avant et jusqu’aux indépendances ; un âge anti-impérialiste, juste après, dans lequel la FEANF joue un rôle pilote, en harmonie avec les mouvements étudiants ou d’une certaine opinion publique sur d’autres continents ou sous-régions et un âge des luttes contre l’ajustement structurel et le monopartisme.

            Pour le lecteur qui aurait un peu perdu de vue ce que fut, à partir des années 1980, « l’ajustement structurel », on rappellera que ce fut une sorte de doctrine inspirée par les institutions de Brettons Woods, banque mondiale et FMI, qui exigeait des États africains surendettés de l’époque des mesures drastiques, budgétaires et économiques, plus une certaine forme de privatisation, en contrepartie d’annulations de dettes et de nouveaux prêts à conditions avantageuses (en terme de durée et de taux d’intérêts). Cet « ajustement structurel » exigeait en particulier des réductions d’effectifs dans la fonction publique (d’où, entre autres, l’impossibilité de proposer des postes aux étudiants en fin d’études).

            Quant à la lutte contre le monopartisme, on sait qu’elle ne pouvait être qu’une revendication évidente de jeunes gens en butte à des régimes en grande majorité autoritaires et au demeurant méfiants à l’égard de leurs jeunes. L’on sait également que cette revendication finit par aboutir, au tournant des années 1990, et avec le discours de La Baule, non en raison d’une quelconque action militante étudiante, mais d’évidentes et pressantes invitations venues de l’extérieur du sous-continent.

            Cet ouvrage parlera surtout à ceux de ses lecteurs qui ont eu des raisons de connaître en temps réel des évolutions sociologiques et politiques de l’époque et appellera maintes réflexions de leur part, voire des contestations de détail.

            Sa structure et sa conception dérouteront sans doute plus les lecteurs qui n’ont pas eu de raisons de connaître ces questions, ni factuellement ni sur le fond.

            Mais ni les codirecteurs ni les contributeurs ne contesteront qu’il s’agit ici d’une étape dans l’élaboration de l’histoire des mouvements étudiants africains, ses spécificités et sa participation à des mouvements étudiants et d’opinion plus généraux.

            On notera un appareil critique élaboré, avant de conclure à l’intérêt de ce type de démarche historiographique.