La révolution des esclaves : Haïti, 1763-1803

Auteur Bernard Gainot
Editeur Vendémiaire
Date 2017
Pages 285
Sujets Haïti Jusqu'à 1791 Haïti 1791-1804 (Révolution)
Cote 61.387
Recension rédigée par Jean Martin


            D'assez nombreuses études ont été consacrées à Saint Domingue au cours de la période révolutionnaire. Qu'il nous suffise de faire mention des travaux de Thomas Madiou, Philippe Haudrère et Pierre Pluchon. Nous avons ici même recensé une biographie de Toussaint Louverture due à la plume de Jean-Louis Donnadieu.

            Maître de conférences honoraire à la Sorbonne (Paris I Panthéon Sorbonne), Bernard Gainot est un spécialiste reconnu de la colonisation sous l'Ancien Régime et de la révolution à Saint Domingue et dans les petites Antilles. Il a entrepris de nous retracer le film des événements qui allaient faire passer l'île du statut de prospère colonie sucrière à esclaves à celui d'Etat nation noir indépendant, le premier de l'histoire moderne.

            L'ouvrage est articulé en neuf chapitres (déduction faite de l'introduction et de l'épilogue). On peut y glaner quelques affirmations qui paraîtront singulières. Peut-on dire que les navigateurs sont naturellement hommes de guerre, comme il est écrit p. 22 ? Beaucoup de marins marchands sont ou ont été des gens foncièrement pacifiques qui oncques de leur vie n'ont touché un fusil. C'est par sa flotte de commerce que l'Angleterre s'est rendue, pour un temps, maîtresse du monde, même si la « Royal Navy » lui avait ouvert les voies. Le deuxième chapitre (La Force Noire) met en évidence le rôle majeur de la puissante communauté des Noirs libres du Cap, ancienne capitale de l'île, qui, le 21 juin 1793, infligèrent une cuisante défaite aux partisans de la suprématie blanche. Le troisième nous montre comment Port au Prince, devenu Port de Paix, favorisée par sa situation géographique, a détrôné le Cap pour s'imposer rapidement comme siège du pouvoir. La carrière - militaire et politique - du général de Laveaux, issu de la petite noblesse bourguignonne est bien retracée pp. 93-103.

            Un autre chef charismatique va s'imposer : l'affranchi Toussaint Breda auquel ses succès vaudront le surnom puis le nom de Toussaint Louverture. Il se dira bientôt d'ascendance royale africaine et se ralliera à la République en mai 1794. Sa carrière est bien connue. (Elle est retracée au sixième chapitre pp. 141-161). Il fut beaucoup plus qu'un Spartacus noir, il fut le fondateur d'une nation.

            Saint Domingue fut-elle sous le Directoire une " Vendée républicaine " menée par des paysans noirs contre un pouvoir blanc ? La question est posée p. 176. Toussaint s'était débarrassé de Sonthonax et aspirait comme la majeure partie de ses compatriotes, à l'indépendance.

            Le huitième chapitre (L'universalité des citoyens) nous donne d'intéressantes informations sur les cinq départements institués dans l'île par la loi du 12 nivôse An VI
(1er janvier 1798). " Départements d'outre-mer " soumis à un régime administratif spécial. Des voix réticentes s'élevèrent quand il fut question d'octroyer la pleine citoyenneté aux nouveaux affranchis. On lira dans ce même chapitre de bonnes pages sur le métissage, seul moyen d'extirper les préjugés de couleur et les tensions raciales, et sur l'influence de Rousseau sur certains représentants du Directoire (mais on voit mal ce que recouvre la notion de « nominalisme des Idéologues » employée par l'auteur ?). Le souci de classification existe dans toutes les écoles de pensée et n'est pas propre aux séides de Volney et de Destutt de Tracy, influents sous le Directoire et le Consulat.

            Au neuvième chapitre " Le nouvel Etat haïtien " l'auteur nous donne une très bonne description de cette guerre de vingt mois (mars1802 – novembre 1803) qui allait aboutir à l'indépendance d'Haïti et à la naissance d'une nation. L'armée " coloniale " forgée par Toussaint Louverture était tombée en déliquescence et connut plusieurs revers devant le corps expéditionnaire du général Leclerc qui parvint à s'emparer du Fort de la Crête à Pierrot, position stratégique à la jonction de deux chaines de mornes. Toussaint se rend et est arrêté au mépris de la parole donnée, tandis que ses adjoints Dessalines et Christophe ne tardent pas à se rallier. Rapidement reconstituée sous le nom étrange d'" armée des Incas " (peut être emprunté au roman de Marmontel) puis sous celui d'" armée des indigènes ", cette armée
" coloniale " allait conduire la guerre de libération jusqu'à la victoire. Selon l'auteur, cet objectif n'a pu être atteint qu'au prix de trois facteurs : le premier est l'affaiblissement du corps expéditionnaire, très éprouvé par la fièvre jeune et accessoirement par les désertions. Les insurgés étaient parvenus à contenir les troupes de Leclerc dans les plaines littorales infestées par la fièvre et à les empêcher de s'emparer des hauteurs, plus salubres.

            Le deuxième facteur est la réussite de l'amalgame qui avait fait défaut pendant la première phase de la guerre. Les militaires de couleur ralliés au corps expéditionnaire, notamment Rigaud et Pétion, y étaient victimes de mauvais traitements et humiliés à l'envi, en vertu d'instructions secrètes qui ne tardèrent pas à être divulguées. Le projet de Toussaint avait échoué et le ralliement à la métropole était de toute évidence impossible. Dans de telles conditions, il n'existait d'autre issue que la lutte pour l'indépendance, ce qui impliquait l'intégration des " bandes africaines " qui s'étaient donné pour mot d'ordre le massacre général des Blancs. Le troisième facteur expliquant le succès final des indépendantistes haïtiens est à rechercher dans l'appui qu'ils ont reçu des puissances anglo-saxonnes : le blocus britannique rendant très difficiles les relations avec la métropole, et la fourniture d'armes, de munitions et de vivres par les corsaires américains.

            Trois épisodes ont caractérisé le déroulement de cette guerre révolutionnaire : le premier est la défection des généraux Pétion et Clervaux au Haut-du-Cap le 12 octobre 1802, suivis de leurs troupes qui rejoignirent le camp indépendantiste. Le deuxième est la constitution par Dessalines d'un gouvernement militaire provisoire, le 17 octobre, à la Petite rivière de l'Artibonite. La troisième phase de la lutte, celle du soulèvement de masse, s'ouvrait à la fin de l'année 1802. Bernard Gainot observe que ce soulèvement n'aurait pu être victorieux sans l'action du gouvernement militaire qui sut veiller au soutien logistique, maintenir la discipline et définir la stratégie. Nous apprenons p. 225, que les deux plus proches conseillers de Dessalines étaient un ancien représentant du peuple au conseil des Cinq-Cents, l'adjudant général noir Etienne Mentor, originaire de la Martinique, et l'avocat métis Louis Boisrond (dit Boisrond Tonnerre) neveu d'un autre représentant aux Cinq-Cents et ancien élève de collège de la Marche, qui rédigea l'acte d'indépendance du nouvel Etat. La révolution haïtienne était bien fille de la révolution française.

            La conclusion (p. 227-239) est présentée sous la forme d'un épilogue sur la défaite du corps expéditionnaire. Celle-ci a déjà donné lieu à de nombreux commentaires. Il peut paraître surprenant qu'une armée de 45.000 hommes (compte tenu des renforts) c'est-à-dire l'équivalent de celle avec laquelle Bonaparte avait conquis l'Italie, ait été mise en échec par une armée " indigène " dont les effectifs n'atteignaient pas le tiers de ce chiffre. Mais il s'agissait d'une armée populaire soutenue par le sentiment national et devant un tel adversaire, une victoire de ceux qui faisaient figure d'envahisseurs venus rétablir l'esclavage était des plus hypothétiques. (Ce point avait déjà été très clairement exposé dans l'introduction p. 11). L'affrontement militaire en Haïti était bien une " guerre des couleurs " autrement dit une guerre raciale, comportant une volonté d'éradication (de la minorité blanche). Un passage d'une lettre du général Kerverseau cité p. 222, est à cet égard très édifiant. Et l'ouvrage s'achève sur une question de fond, posée en annexe pp. 251-257) : " Quand s'achève la révolution de Saint Domingue ? " Il est difficile de trouver une réponse satisfaisante. L'auteur, qui considère que la révolution américaine ne s'achève véritablement qu'avec la guerre de Sécession et que la révolution française ne se termine qu'avec la consolidation de la
IIIe république en 1879, établit un parallèle entre le jeune Etat Haïtien et l'Amérique du sud en lutte pour son indépendance qui a longtemps subi le contrecoup de ses révolutions, et où l'on retrouve une autorité longtemps exercée par des chefs de guerre plus ou moins charismatiques (" caudillos").

            Des cartes des opérations militaires et une chronologie rendront les plus grands services au lecteur. Les notes infra paginales aident à la compréhension du texte mais on peut regretter l'absence d'une bibliographie et d'un index.                                                                                              



 
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