La France ciblée : terrorisme et contre-terrorisme pendant la guerre d'Algérie

Recension rédigée par Jean Martin


            La guerre d'Algérie a déjà fait l'objet de très nombreux travaux: citons entre autres les ouvrages de notre regretté confrère Charles-Robert Ageron, de Gilbert Meynier, de Guy Pervillé, de J. C. Jauffret. Le sujet est donc loin d'être vierge. Mais la France métropolitaine fut aussi un théâtre d'opérations de cette guerre. Après d'autres chercheurs, (Linda Amiri,
J. P. Brunet, Yves Frey et bien sûr notre confrère le général Faivre), Gregor Mathias, docteur en histoire, a entrepris de retracer dans cette étude les péripéties de la lutte menée sur le sol français par le FLN et par les forces de police auxiliaires mises en place pour combattre l'action de ce dernier. Ce prolongement de la guerre d'Algérie en métropole fit environ
4.000 morts (en majorité des Algériens membres ou sympathisants du MNA et coûta également la vie à une soixantaine de policiers parmi lesquels 25 auxiliaires algériens).

            Le FLN avait procédé depuis 1956 à diverses opérations ponctuelles dirigées contre les militants du MNA, et des Algériens francophiles, considérés comme des collaborateurs, mais dans l'été 1958, une série de sabotages et d'attentats, souvent dirigés contre la police, mais aussi contre des personnalités politiques comme Soustelle, était venue démontrer aux Parisiens que la guerre avait franchi la Méditerranée : la France était bien la 7e wilaya du FLN mais celle-ci allait bientôt être subdivisée en quatre régions avec une organisation clandestine très élaborée. La situation de l'ALN en Algérie était devenue difficile en raison de l'efficacité du dispositif militaire français, notamment des regroupements de populations et surtout des barrages aux frontières. Il lui fallait intensifier le combat et ouvrir un front en métropole.

            Pour lutter contre cette situation, la réponse du pouvoir avait consisté dès juillet 1958 en l'organisation d'un service d'assistance technique (SAT), inspiré par le modèle des SAS et dotée d'équipes médico-sociales veillant aux intérêts de la population algérienne immigrée et cherchant à infiltrer les réseaux du FLN. Le commandant Henri Pillot assisté de deux capitaines, supervisait le fonctionnement de ce service. Les travailleurs algériens vivaient le plus souvent dans des conditions lamentables, entassés dans des taudis tenus par des marchands de sommeil ou parqués dans des bidonvilles, notamment à Nanterre. La réaction des pouvoirs publics consista également, en 1959, en la mise sur pied d'une force de police auxiliaire  (FPA) recrutée parmi des moghaznis des SAS d'Algérie et qui avait pour mission de prévenir ou de réprimer les attentats du FLN, d'infiltrer son dispositif et de recueillir des renseignements. Le capitaine Raymond Montaner, un officier des affaires indigènes natif de Boufarik et arabisant, qui avait servi au Maroc, fut placé à la tête de cette force armée pour un vaste secteur comprenant le bidonville de Nanterre. Après environ cinq mois d'instruction, la FPA ne fut opérationnelle qu'en mars 1960, ce qui revient à dire qu'elle ne servit que pendant deux ans. Logés dans des hôtels réquisitionnés du XIIIe arrondissement, les membres de la FPA étaient affectés dans des postes situés dans les arrondissements et banlieues à fort peuplement algérien, mais en mai 1961, les personnels de certains postes parisiens  (XIIIe et XVIIIe arrondissements) furent repliés sur le Fort de Noisy à Romainville[2], à la suite de plaintes des commerçants du voisinage, las de voir leurs rues devenir le théâtre de fréquentes fusillades...

            Les forces auxiliaires de police ont certes remporté d'indéniables succès dans la lutte contre la fédération de France du FLN et lui ont infligé des coups sévères. Me Mourad Oussedik, avocat du FLN, l'a reconnu ouvertement. Nous apprenons p. 128 que pour la seule période du 20 mars au 30 avril 1961, 333 militants du FLN furent arrêtés (dont 141 membres des équipes de choc). Les collecteurs de fonds, qui opéraient surtout le samedi et le dimanche, étaient traqués, ce qui entraîna une chute des cotisations (impôt révolutionnaire).  Mais à cette époque le sort de l'Algérie était déjà scellé et le destin de ce pays ne pouvait se régler dans le bidonville de Nanterre. Ces succès furent des victoires à la Pyrrhus car la fédération du FLN avait tôt fait de reconstituer ses structures  (p. 90 l'auteur nous apprend que la plupart des « kasmas »décapitées se reformaient en quelques semaines). Bien qu'éprouvée, la fédération n'était nullement démantelée au début de 1962 et elle avait, dans l'ensemble, atteint ses buts : elle avait marginalisé le MNA et était parvenue à réduire la formation messaliste à un rang résiduel, elle avait collecté au profit du FLN des fonds considérables, qui représentaient, selon une information donnée p. 37 80% des ressources du GPRA, et surtout elle a fait régner en métropole un climat d'insécurité qui rendait les Français de plus en plus impatients de voir la guerre prendre fin. Le gouvernement devait en tenir compte. Dans ce domaine de l'impopularité, le terrorisme européen de l'OAS allait, à  partir de 1961, faire le reste.

            Les évènements tragiques du 17 octobre 1961 (octobre noir) sont évoqués
pp. 136-144. La chronologie des faits est bien restituée et l'auteur estime que les victimes de la répression étaient au nombre d'une trentaine, très loin des chiffres donnés par le FLN.

            On aperçoit à l'arrière-plan les figures marquantes de la vie politique de ce temps-là : le profil balzacien de Maurice Papon, celui du Premier ministre Debré, féal de De Gaulle s'il en fut, mais qui entravait en sous-main la politique d'autodétermination voulue par le Général et, perdant tout sang-froid, poussera d'aigres cris d'orfraie lors de la tentative de putsch militaire d'avril 1961. Il aurait préconisé le meurtre de quatre avocats du FLN mais se heurta au refus du général Grossin, patron du SDECE (p. 152). On ne saurait oublier le sulfureux Constantin Melnik, conseiller " technique " à Matignon pour le renseignement et la sécurité  en relations étroites avec le SDECE, personnage que l'on croirait tout droit sorti d'un roman de la série Coplan, tout comme Raymond Muelle, chef du service " action " du contre-espionnage. Nous apprenons, toujours  à propos du SDECE, qu'un des agents de cette maison, le capitaine Géronimi avait tenté de mettre sur pied en 1960 une organisation nationaliste fictive, le FAAD (Fédération algérienne d'action démocratique) destinée à concurrencer le FLN. Les sbires de Géronimi commirent quelques meurtres, abattant notamment des collecteurs de fonds, mais l'action de ce mouvement qui n'exista guère que sur le papier, n'alla pas plus loin.

            La FPA allait être finalement dissoute à la fin de l'année 1962. 304 de ses membres furent reclassés dans la police municipale de Paris (où quelques uns firent de belles carrières), une cinquantaine d'autres, d'un niveau d'instruction très bas, durent se contenter de modestes emplois contractuels de surveillance. D'autres trouvèrent, avec l'aide des services sociaux, à s'employer dans l'industrie et on en vit quelques-uns prendre le risque de rentrer au pays natal, ce qui leur coûta souvent la vie. En revanche, le SAT continua de fonctionner et d'assister les populations immigrées jusqu'à sa dissolution en 1967. Les officiers qui avaient encadré la FPA ne tairont pas leur amertume en constatant la vanité de leurs efforts. Promu lieutenant-colonel, Raymond Montaner quittera l'armée en 1967. Un de ses collaborateurs, le commandant Cunibile ancien d'Indochine, avait démissionné dès 1962 en exhalant ouvertement sa rancœur au sujet de toutes les causes perdues au service desquelles on l'avait employé.

            Le plan, un peu décousu, n'apparaît pas toujours avec clarté. L'étude est centrée sur la région parisienne et les opérations dans le reste du pays (régions de Lyon Saint-Etienne, de Marseille, nord de la France) ne sont évoquées que par allusions ou très succinctement. Qu'il nous soit permis de signaler à l'auteur quelques erreurs provenant sans doute d'une relecture un peu hâtive. p. 33 : le 5 juillet 1830 n'est pas le jour du débarquement de Sidi Ferruch (qui avait eu lieu à la fin juin), c'est celui de la prise d'Alger. Pp. 72, 104 et 114 : il n'existait pas, à l'époque, de  « préfecture de Paris » mais une préfecture de la Seine et une préfecture de Police. P. 94 : le journal « El Moujahid » (et non El Moujahidin) est un quotidien porte-parole du FLN, donc du gouvernement, mais ne peut être qualifié de« Journal Officiel » de la République  algérienne.

            P. 152 : il est question des « arrondissements à majorité algérienne de Paris ». Les Algériens n'ont jamais été majoritaires dans aucun arrondissement de Paris ! P. 161: les policiers auxiliaires algériens n'ont pas été « réintégrés » dans la police municipale, ils y ont tout simplement été « intégrés »puisqu'ils n'en avaient jamais fait partie antérieurement.

            Une bibliographie détaillée et des plans des secteurs d'implantation de la FPA à Paris complètent heureusement cet ouvrage, mais l'absence d'un index est regrettable.                                                                                                 



[2] Et non à Noisy le Sec. Le Fort de Noisy est  situé sur la commune de Romainville.