Mourir pour Buenos Aires : Jacques de Liniers (1753-1810) le chevalier du Nouveau Monde : biographie

Auteur Jacques Marzac
Editeur La Découvrance
Date 2016
Pages 204
Sujets Liniers , Santiago Antonio María de
1753-1810
Cote 61.348
Recension rédigée par Michel David


            Un vrai roman de cape et d’épée, telle est la vie hors du commun d’un « chevalier d’un autre monde » racontée par Jacques Marzac dans Mourir à Buenos Aires.

            Né à Niort en 1753, Jacques de Liniers appartient à une famille de la très ancienne noblesse du Poitou. Son père est capitaine de frégate. Après quelques années au collège de l’Oratoire à Niort, à douze ans l’enfant est envoyé selon la tradition familiale dans une école militaire de l’Ordre de Saint Jean de Jérusalem dans l’île de Malte. Au bout de trois ans il rentre en France avec la croix et le titre prestigieux de chevalier de l’Ordre célèbre. Il est intégré dans un régiment de cavalerie en garnison à Carcassonne.

             En 1775, il démissionne de l’armée et s’engage dans la marine espagnole en vertu du pacte de famille signé jadis entre les branches de la Maison royale de Bourbon et de l’aide mutuelle dans la lutte contre les Turcs et les Barbaresques. Il rejoint Cadix et embarque en juin à Carthagène sur un vaisseau commandé par le prince de Rohan, Français comme lui et membre de l’Ordre de Malte. Il participe alors à la désastreuse campagne de l’Armada contre Alger en juillet 1775. L’expédition est un échec notoire.

            Au lieu de regagner la France comme le prince de Rohan, Liniers intègre la marine espagnole. En novembre il est admis au collège des gardes de la marine à Cadix. Après une première mission en Méditerranée il embarque en novembre 1776 comme second sur le « Hope ». Ce navire fait partie de la puissante escadre qui va défendre les colonies espagnoles d’Amérique du sud menacées par les Portugais et les Anglais. Après une escale à l’île d’Ascension en janvier 1777, le « Hope » atteint l’île de Santa Catarina sur la côte brésilienne, s’en empare facilement ainsi que d’une petite ville au nord de Montevideo et arrive à Buenos Aires. Liniers en fait une description idyllique. En octobre le vice-roi d’Espagne y est installé. Liniers est de retour à Cadix en octobre 1778.

            De 1779 à 1783, Liniers se trouve engagé sur le théâtre européen de la guerre d’indépendance des Etats-Unis. Il y réalise ses premiers faits d’armes. Entre la Manche et le golfe de Gascogne, il mate une mutinerie sur le bateau qu’il commande. En face du cap de Santa Maria, au sud du Portugal, il capture une frégate d’un convoi anglais faisant route vers l’Inde et la conduit à Cadix. Son premier grand exploit est la reconquête de l’île de Minorque, enlevée aux Anglais après un siège et leur reddition. Enfin, nouvel exploit, devant Gibraltar la capture d’un brick anglais de ravitaillement pour la forteresse. Liniers est alors promu capitaine de frégate, progression de carrière exceptionnelle après sept ans seulement de service dans la marine espagnole.

            En février 1783 Liniers se marie. Il effectue avec succès en 1784 une mission diplomatique à Tripoli. Il s’intéresse aussi à des recherches scientifiques. En 1786 survient un incident fâcheux. Ayant quitté sans autorisation pendant quelques jours son navire en réparation à Carthagène, il passe en conseil de guerre et est mis en prison. Après avoir effectué sa peine, il est nommé commandant en second de la frégate Santa Sabina en partance outre Atlantique. En septembre 1788 il quitte Cadix avec sa famille à destination de Buenos Aire.

            A peine plus d’un an après Liniers perd sa femme. Il se remarie en 1791 et s’associe à son frère dans une affaire, la Fabrique royale de cachets. La faillite de la société le contraint à reprendre du service au port de Montevideo puis comme commandant des chaloupes de surveillance de l’estuaire du Rio de la Plata. De 1802 à 1805 Il est gouverneur des Missions guaranis et, à son retour à Buenos Aires reprend le commandement des chaloupes.

            Un chef d’escadre anglais, Sir Home Riggs Popham, lance en 1806 une offensive et avec le concours d’une troupe conduite par Sir William Beresford s’empare de Buenos Aires. Jacques de Liniers prépare aussitôt la riposte et reprend la ville, infligeant aux Anglais une humiliante défaite. Ce succès lui vaut d’être nommé commandant militaire de la ville. Il s’attend cependant à devoir affronter une riposte anglaise.

            Effectivement durant toute l’année 1807 Liniers va devoir assurer la défense de Buenos Aires contre un retour en force des Anglais. Ceux-ci s’emparent de Montevideo mais sont stoppés ; une guerre de position s’installe pendant six mois. Reprenant l’offensive ils atteignent Buenos Aires et se heurtent à une défense sans merci allant jusqu’au corps à corps au cœur même de la cité. Liniers amène le commandant anglais Whitelocke à capituler et à signer un traité. Cette nouvelle victoire fait du Français Jacques de Liniers un héros célébré par toute l’Amérique espagnole, par les poètes notamment. Il est promu chef d’escadre, le plus haut grade de la hiérarchie de la marine espagnole. Il est nommé vice-roi par acclamations du peuple. Une fête religieuse est instituée pour commémorer cette reconquête.

            Devenu veuf pour la seconde fois, le chevalier tombe sous le charme d’une jolie créole originaire de La Réunion. Ce nouvel amour va lui être fatal. En février 1807 deux coups de feu sont tirés contre lui alors qu’il sort de chez sa maîtresse. On est en plein romantisme. Mais cette liaison passe très mal auprès de la société catholique de Buenos Aires. La conduite de la jeune femme et ses relations douteuses scandalisent les habitants et la font passer pour une sulfureuse Périchole. La révolte gronde contre Liniers. En 1808 il remet sa démission et choisit le titre de Comte de Buenos Aires.

            A la suite de la destitution du roi d’Espagne Ferdinand VII, Napoléon envoie un émissaire à Liniers mais celui-ci refuse toute collaboration qui serait contraire à son engagement et à son honneur. Il se retire à Cordoba. Des troubles révolutionnaires éclatent alors après l’arrivée du nouveau vice-roi, Cisneros. Liniers veut lui apporter son concours, n’acceptant pas de se mettre au service des partisans de l’indépendance. Ceux-ci marchent sur Cordoba et font prisonnier Liniers. Le 26 août 1810 ils l’abattent au Mont des Perroquets.

            Ainsi s’est achevée en tragédie la vie épique de ce chevalier de la Vieille Europe et du Nouveau Monde. En 1862 ses cendres ont été transférées à Cadix au Panthéon de la marine espagnole sur l’île de Léon. En France un hommage lui a été rendu en 1904 par sa ville natale Niort et un buste inauguré en 1910. Jacques de Liniers a laissé une nombreuse descendance évaluée à cinq mille personnes dont une grande partie a été recensée par l’association « Mémoire de Jacques de Liniers » en 2005. En 2007 Buenos Aires a commémoré la Défense héroïque de la ville par Liniers. Le bicentenaire de sa mort a été célébré en 2010 à la fois en Espagne et en France ; à cette occasion une journée d’étude lui a été consacrée.

L’ouvrage de Jacques Marzac nous permet ainsi de découvrir un extraordinaire destin mais aussi l’histoire peu connue et pleine de péripéties de Buenos Aires avant l’indépendance de l’Argentine.