Dans les laboratoires du développement : Proparco et le secteur privé, 40 ans d'histoire

Recension rédigée par Jean Nemo


            Il avait déjà été rendu compte, fin 2016, d’un précédent ouvrage du même auteur, Histoire de l’Agence française de développement en Côte d’Ivoire, paru en 2015. Cela avait alors permis de replacer la chronique d’une agence africaine dans le cadre plus large de la longue histoire et des évolutions de l’institution elle-même. On rappellera à ce sujet que l’ouvrage collectif de l’Académie des Sciences d’Outre-mer, Présences françaises Outre-mer, avait assez abondamment traité de cette histoire.

            Entretemps, l’auteur dorénavant affecté à Paris, chargé de mission « Histoire et Réflexion stratégique à l’AFD », devenu récemment membre de l’Académie, s’est intéressé à une filiale de ladite AFD, relativement peu connue du grand public : Proparco (en toutes lettres, Société de Promotion et de Participation pour la Coopération économique) dont l’histoire est dorénavant quarantenaire, puisqu’elle fut créée en 1977.

            Le titre, double comme très souvent aujourd’hui, cerne l’objet de l’ouvrage. Interprétons-le : en quoi une institution à première vue destinée à apporter un appui au secteur privé (sous-entendu celui qui est en œuvre dans les pays dits encore de nos jours « en développement ») participe-t-il de l’expérience en « laboratoires » du développement ?

            L’AFD, notamment depuis les réformes de la gestion de l’aide publique au développement de la fin du siècle dernier, est l’instrument français majeur non seulement du financement de cette aide mais également un pôle de réflexion, d’évaluations et d’expériences pilotes. On trouve dans ses publications, ses revues, ses analyses et monographies l’essentiel des principes qui guident cette aide publique et des modalités de leur mise en œuvre. Et pour qui a ou a eu le loisir ou l’obligation de les suivre dans le temps ou de se pencher sur leur histoire, un bon moyen de constater que la réflexion n’a jamais été figée.

            Il n’est donc guère étonnant qu’au sein de cette quasi galaxie, l’on s’intéressât à l’un de ses satellites, moins ou peu connu. L’auteur l’a fréquentée de l’extérieur à l’occasion de ses précédentes fonctions. Dans son actuelle fonction, il a constaté que Proparco non seulement était mal connue du grand public mais qu’en outre, la documentation historique, thématique et archivistique était difficile à retrouver et qu’elle n’avait en tout cas pas été suffisamment exploitée. Encouragé par ses collègues et d’anciens directeurs de Proparco, il a donc tenté de rétablir la mémoire et de resituer la filiale de l’AFD à la fois dans la stratégie globale de la maison mère et dans ses objectifs particuliers.

            Le site Internet de Proparco fournit déjà une bonne documentation, statutaire, historique, thématique, à qui veut bien s’en informer. Le défi de l’ouvrage sous revue consiste donc en général à apprendre à son lecteur ce qu’il ne trouvera pas sur le site et en particulier la chronique des quatre décennies écoulées.

            François Pacquement combine un exposé de fond et, à travers notamment des encadrés illustrés, des textes anciens ou récents, statutaires ou de circonstance, des interviews d’acteurs et de témoins, de brèves biographies qui parleront à ceux des lecteurs qui peu ou prou ont connu les personnalités citées et qui rappelleront aux autres ce qu’il faut en retenir.

            En dépit du parti-pris éditorial, entremêlant le fond et le plus anecdotique, parsemant de nombreuses images le texte, celui-ci est rigoureusement construit. Le lecteur qui aurait eu l’occasion de connaître institutions et acteurs, notamment pour des raisons professionnelles, retrouvera dans l’anecdotique des textes ou des personnes qu’il a eu l’occasion de connaître. Mais il se rappellera aussi les débats anciens, les réflexions menées, les échanges de notes, de ceux qui concernent le fond.

            Quant à celui-ci, le cheminement retrace bien l’histoire et les problématiques qui l’ont accompagnée.

            Après une introduction sur laquelle nous reviendrons, une première partie, en bonne logique, rappelle le « giron » au sein duquel Proparco est née. Nous n’y reviendrons pas ici car il en fut traité dans le précédent ouvrage de F. Pacquement et dans notre ouvrage collectif Présences françaises Outre-mer.

            On relèvera cependant que comme durant la période coloniale, il existait, en France, dans les deux ou trois premières décennies ayant suivi les indépendances africaines, de la part de bien des administrations concernées et des organismes d’État sous leur tutelle, une certaine méfiance à l’égard du secteur privé alors même que l’on considérait depuis au moins la Libération que l’État et un certain nombre d’organismes qui en dépendaient avaient un rôle majeur dans la « mise en valeur » bientôt suivie du « développement ».

            La création de la Proparco annonce un changement de paradigme, très partiel au départ. Filiale de ce qui était encore à l’époque la CCCE (Caisse centrale de Coopération économique), l’actuelle AFD, cet encore modeste organisme est dans un premier temps destiné à apporter « son aide pour la réunion des fonds propres de certaines entreprises…sous forme de participations minoritaires et temporaires dans des entreprises de taille moyenne ». Soit rendre viable en fonds propres des entreprises autrement trop fragiles. Et, en tout cas, ne pas concurrencer les organismes prêteurs (telle la CCCE, maison mère, ou d’autres organismes actifs dans l’appui aux financements privés, tels la  Coface, les « protocoles » du Trésor hors zone de compétence de la CCCE).

            Ce n’est pas explicitement dit par François. Pacquement mais on le comprend, on est encore loin de l’ambition d’autres grandes filiales de banques vouées au développement, telle la Banque Mondiale et sa SFI (Société financière internationale), créée dès 1956 et déjà en 1977, au moment de la création de la Proparco, présente dans plus de cent pays dits « en voie de développement » et bientôt, pour certains, « émergents ». Portant, cette SFI poursuit mais à bien plus grande échelle, le même objectif : promouvoir des acteurs privés du développement.

            D’autres initiatives ont déjà été prises ailleurs, en Allemagne par exemple ou dans d’autres organismes multilatéraux européens, tels la BEI.

            François Pacquement rappelle que les agents de la CCCE, souvent à des rangs élevés de responsabilité, restèrent longtemps très réservés à l’égard de la Proparco. Ce n’est que dans le courant des années 1980 qu’un directeur de Proparco convainc le DG de la CCCE de faire rentrer des représentants du secteur privé dans ce qui était alors le « conseil de surveillance » de cet organisme, de fait son conseil d’administration.

            On suivra avec intérêt le cheminement des réflexions, souvent reprises dans de nombreux rapports internes, des administrations de tutelle ou de bureaux d’étude. À l’origine conçue pour encourager les entreprises françaises à s’implanter en Afrique, puis également à s’associer à des investisseurs locaux (ou, comme le dit l’un de ces rapports, à une ou des « notabilités »), les résultats peu convaincants de cette approche sont constatés : insuffisance des projets, peu ou pas de formation des partenaires locaux aux règles élémentaires de la gestion d’entreprise.

            Dans le même temps, les approches des différentes administrations de tutelle (ou qui participent à leurs conseils d’administration) des principaux établissements qui contribuent au financement de l’aide publique (dite APD) au développement sont loin d’être cohérentes. La Direction du Trésor ne partage pas forcément, il s’en faut, celles d’autres administrations (jusqu’en 1998, le ministère de la Coopération, celui des Affaires étrangères).

            Pour les lecteurs encore trop jeunes à l’époque pour être acteurs ils découvriront les péripéties franco-françaises liées à l’idée de soutenir le secteur privé lorsqu’il contribue au développement : un projet qui aurait pu être concurrent de celui de la CCCE, un moment baptisé « Propardex », initié par la BFCE, de compétence mondiale. Pour les lecteurs plus âgés qui furent peu ou prou acteurs ou observateurs, ils auront l’occasion de confronter leurs souvenirs à la revue proposée par l’ouvrage ici recensé : comment et pourquoi passa-t-on d’un début modeste, au moins implicitement observé avec méfiance par beaucoup de responsables de la CCCE, à des ambitions et des modalités d’interventions plus ambitieuses ?

            D’autre part, les politiques des grands organismes multilatéraux de financement de l’APD (Banque mondiale, FMI, FED, BEI, Banques africaines de développement) évoluent elles aussi. Enfin, des évènements tels la chute du Mur de Berlin changent la donne géopolitique.

            Proparco quant à elle élargit son champ d’intervention, limité à l’origine au « pré carré », comme on le disait alors, soit pour l’essentiel les pays africains indépendants, autrefois Territoires de la France d’Outre-mer. Son siège est assez tôt distinct de celui de la maison mère.

            L’étude de F. Pacquement rappelle opportunément les évolutions des approches internationales et multilatérales au tournant des années 2000, avec les huit « Objectifs du Millénaire pour le Développement », l’émergence des « BRICS », cinq pays sortis des problématiques anciennes du sous-développement, dorénavant dits « intermédiaires », la création d’un G20 qui élargit dans bien des domaines ce qui était auparavant réservé à un G7 ou G8 des pays les plus riches. En 2012, le PIB total du « monde en développement » dépassait celui des « pays industriels », comprendre ici par ce terme celui des pays anciennement dits « développés ».

            Ayant ainsi replacé dans une « mondialisation » renouvelée le cadre dans lequel doivent s’inscrire objectifs et institutions d’aide au développement en France, l’auteur revient à l’échelle de la Proparco et décrit dans un certain détail ses récentes adaptations illustrées par diverses déclarations, notamment celle d’un ancien DG de l’AFD, Jean-Michel Severino, dans un rapport d’activité de 2007.

            On l’aura compris, cet ouvrage est un bon manuel ou plutôt un excellent aide-mémoire de l’action évolutive dans le temps d’un organisme particulier de financement du développement, remis en perspective dans un cadre beaucoup plus général, lui-même évolutif, tant au niveau de l’Hexagone qu’à celui de l’international et du multilatéral.

            Ces termes de « manuel » ou d’ « aide-mémoire » ne doivent pas être interprétés comme une ou des restrictions. Mais la littérature générale et les nombreux rapports concernant le développement et l’aide au développement méritent de temps à autres des documents plus ramassés. Proparco et son histoire peuvent bien être qualifiés, dans une voie précise, de « laboratoire du développement », parmi d’autres nombreux où s’élaborent doctrines, objectifs et pratiques dudit développement. Et l’on attend avec curiosité de possibles résultats encore à venir des recherches annoncées par François Pacquement.