La Côte d'Ivoire et la Grande Guerre

Recension rédigée par Philippe David


            Professeur honoraire à Montpellier-3, l’auteur s’appuie essentiellement sur les recherches déjà anciennes de son époque abidjanaise et ses deux volumineuses thèses de 1974 et 1986. Honoré d’une préface plus qu’élogieuse de l’historien sénégalais Iba Der Thiam, le meilleur spécialiste de la question, son ouvrage s’agrémente d’une « bibliographie sélective » de sept pages, d’une soixantaine de « tableaux » statistiques économiques et militaires, d’une douzaine d’illustrations nommées « figures », de onze cartes géographiques et de six « annexes » disparates dont une courte biographie du gouverneur général Angoulvant déjà publiée - mais plus fouillée - dans le volume IV de la série « Hommes & Destins » de l’ASOM.

            Nul ne peut le contester : la Côte d’Ivoire, tout au long d’une domination coloniale, qui, pourtant, n’aura même pas duré trois quarts de siècle, a beaucoup souffert et l’auteure tient à honorer les Indigènes d’une majuscule chaque fois qu’elle les évoque. Le pays n’est encore qu’incomplètement « pacifié », et de manière plus ou moins « forte », lorsqu’éclate la Grande Guerre. 549 Européens parmi presque un million et demi d’habitants vont d’abord, d’octobre 1914 jusqu’au début de 1917, infliger à des populations partout réticentes - de surcroît entre deux pays, Liberia et Gold Coast britannique, où rien de tel ne se passe - jusqu’à cinq campagnes de recrutement militaire. On nous en donne ici tous les détails, toutes les phases, toutes les hypocrisies, toutes les violences. Au total, environ 15.000 hommes  (10 % de la population) sont arrachés à la Côte d’Ivoire, rassemblés dans des camps de transit à Dimbokro ou Bouaké puis au Sénégal et, amalgamés aux autres recrues de toute l’AOF, incorporés, avant envoi au front, dans plusieurs des “B.T.S.” de l’ “Armée noire” où il était difficile de retrouver leurs traces.

            On commémore actuellement (printemps 2018) le dernier effort de recrutement exigé par Clemenceau en novembre 1917 et confié au député Blaise Diagne doté à cet effet des pleins pouvoirs face au gouverneur général Van Vollenhoven qui s’en indigne et préfère démissionner. Contre toute attente, cet ultime recrutement de 1918 est relativement plus facile. Diagne n’arrive en Côte d’Ivoire qu’en juillet, règle un différend avec les Agni du Sanwi, toujours agités, mais on ne nous en dit pas plus sur son séjour et c’est dommage.

            On sait désormais tout ou presque sur les soldats ivoiriens de la Grande Guerre. La Côte d’Ivoire aura fourni 22.944 hommes, recrues volontaires ou forcées, soit 15,3 % de sa population et 14,6 % de l’effort total de l’AOF (tableau 15, p. 146). Après quoi, une ultime phase de « pacification » soumet, en 1919-1920, les irréductibles Lobi de l’extrême nord-est, abandonnés d’ailleurs pour moitié à la Haute-Volta nouvellement créée. Mais les années de guerre ont évidemment secoué, et partiellement renouvelé, les données à la fois politiques et économiques de la colonie. L’ouvrage accumule donc ensuite les statistiques, parfois inévitablement fastidieuses, relatives aux principaux produits d’exportation de 1914 jusqu’au début des années 1920, en évoquant aussi l’essor des routes, la reprise générale de l’agriculture et du commerce. Le premier effort de recensement de la population en 1921, une toute première législation du travail adoptée en 1925 et la création d’un service militaire général de trois ans viennent marquer un timide et prudent effort d’assouplissement de l’ordre colonial. Pour autant, la Côte d’Ivoire n’a pas fini de souffrir. L’auteur confirme d’ailleurs par une conclusion rapide et plutôt péremptoire l’acte d’accusation qui, en phrases souvent courtes et sèches, a marqué tout son ouvrage d’un bout à l’autre.