Un demi-siècle d'histoire du Burundi : à Émile Mworoha, un pionnier de l'histoire africaine

Recension rédigée par Jacques Legendre


 

En 1977 paraissait aux Nouvelles éditions africaines à Dakar le livre d’un historien burundais, Emile Mworoha, intitulé Peuples et Rois de l’Afrique des Lacs, préfacé par Yves Person, professeur à l’Université de Paris 1. Il reprenait la thèse de doctorat en histoire soutenue par l’auteur en 1975 à la Sorbonne.

Selon Emile Mworoha les anciens royaumes inter lacustres (une quinzaine, et pas seulement le Rwanda et le Burundi) occupent une place exemplaire dans l’histoire africaine. Véritables états, à l’organisation complexe, ils se sont développés en dehors de toute influence extérieure et ceci dès les XVe, XVIesiècles.

Fils du pays mais formé aux meilleures méthodes de l’histoire, Emile Mworoha entreprend d’élucider, selon leur propre logique, les jeux du pouvoir et de la culture dans ces ensembles jusqu’ici mal connus ou perçus à travers des constructions idéologiques datant de la période coloniale.

Mais Emile Mworoha n’est pas seulement un historien éminent, qui démontre que l’Afrique a une histoire longue et qu’une école d’historiens africains est apparue et qu’elle est brillante.

Il est aussi un acteur de la vie politique de son pays. En 1976 il est ministre. De 1978 à 1987 il est secrétaire général du parti Uprona, grand parti nationaliste « tutsi » alors au pouvoir. De 1982 à 1987 il est président de l’Assemblée nationale du Burundi, jusqu’au renversement du gouvernement du Général Bagaza. C’est d’ailleurs à cette époque, en avril 1987, que je le rencontre à Bujumbura où j’étais venu installer la section burundaise de l’association internationale des parlementaires francophones (AIPLF) et qu’il me dédicace son livre. J’étais accompagné d’un vice-président de l’Assemblée nationale du Cameroun, M. Mayi Matip, chef traditionnel camerounais fasciné par le travail du Président Mworoha sur les chefferies africaines.

 

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Trente ans après Melchior Mukuri, Jean-Marie Nduwayo, Nicodème Bugwabari, et une dizaine de leurs collègues de l’Université de Bujumbura mais aussi quelques historiens français, Jean-Pierre Chrétien, Claude Guillet, Christian Thibon, Alain Cazenave, Henri Médard, voire italien avec Carlo Carbone, se penchent sur Un demi-siècle d’histoire du Burundi et leur livre est un hommage à Emile Mworoha, pionnier de l’histoireafricaine.

Ce dernier avait souligné l’existence d’un ensemble culturel, historique, géographique, les pays de l’Afrique des lacs. Ses successeurs, tiennent, eux aussi, à élargir cette histoire du Burundi à l’Est africain. Pascal Niyonizigiye s’inscrit dans la ligne d’Emile Mworoha parce qu’il s’interroge sur les anciens royaumes des grands lacs, socle de l’intégration sous régionale. Joseph Gaham, décrit la réforme « Mortehan » entreprise au Rwanda entre 1926 et 1933 et qui a beaucoup pesé sur ce pays en privilégiant les élites tutsi aux dépens des Hutu sur recommandation de la hiérarchie catholique. Il faut à ce moment rappeler la dénonciation faite déjà par Emile Mworoha de la théorie de l’origine « hamitique » des tutsi et son rappel constant d’autres paramètres dont il faut tenir compte : l’enclos, le clan, le lignage. Mais l’historien met en garde aussi contre les rapprochements abusifs. Le Rwanda de la réforme et le Burundi n’ont pas la même histoire, ce sont deux Etats Nations qui ont des points de ressemblance mais aussi une personnalité propre et affirmée.

Ce livre est aussi un discours de la méthode. On lira avec émotion la biographie d’Emile Mwohoha Être jeune au Burundi au tournant de l’indépendance rédigée avec empathie par Jean-Pierre Chrétien tandis que Jean-Marie Nduwayo nous emmène à la découverte du patrimoine historique du Burundi sous forme d’un carnet de voyage sous la houlette d’Emile Mworoha, pionnier de la collecte des témoignages. Nizigiyimana de son coté évoque le patrimoine culturel immatériel et Juvénal Ngorwanubusa applique les nouvelles approches historiques à l’évocation du mythe de Mwezi Gisabo, ce Mwami (roi) du Burundi aux prises, au début du XXe siècle, avec la colonisation allemande qu’il tente de repousser.

La deuxième partie du livre est consacrée à l’histoire du temps présent. Courageusement Jean-Marie Nduwayo aborde l’histoire du conflit « politico ethnique » burundais et s’efforce de dresser l’état de la recherche. Après avoir rappelé les sources disponibles, il dresse la liste des différentes crises (1965-1966) très peu étudiée, alors qu’elle se termine par la chute et la mort du dernier roi du Nurundi, Ntare V, tentatives de coups d’Etat de 1969, 1971, crise sanglante de 1972, crise de 1988, analysé par une équipe de chercheurs français, dynamique de paix entre 1989 et 1993 puis retour de la violence après cette date jusqu’aux accords d’Arusha d’août 2000 et leur application difficile.

On comprend que Siméon Barumwete ait titré son article la démocratie au Burundi entre illusions et désillusion. « La démocratie au Burundi a une constitution libérale et unaccord de paix qui prônent la démocratie. Cependant on y observe… la survivance de pratiques autoritaires, dont la violation des droits de l’homme, le verrouillage de l’espace démocratique, la restriction des libertés publiques, la politisation des corps de défense et de sécurité ». On peut s’étonner toutefois de ne trouver aucune allusion au génocide rwandais et à son impact sur le Burundi. L’histoire doit encore s’accommoder de non-ditsUn demi-siècle d’histoire du Burundi est un véritable manifeste. Il témoigne del’existence d’une école africaine d’histoire, dont Emile Mworoha est un des fondateurs, qui libère l’Afrique de certains a priori occidentaux ou coloniaux. C’est aussi un manifeste burundais pour que ce pays, martyrisé par les conflits depuis un demi-siècle, trouve enfin l’équilibre qui lui permettra de s’affirmer dans la paix. Il invite à accorder à ce petit pays toute l’attention que mérite son histoire.