La conquête du Sahara, 1885-1905 /

Recension rédigée par Jean Nemo


            Le recenseur soussigné, pour avoir fréquenté, arpenté le Hoggar, visité des « centres de culture » péniblement exploités par des Harratins, noirs par définition, de nombreux campements de familles touarègues nobles ou vassales, procédé à des recensements démographiques contre tout usage administratif établi, parlé l’arabe dialectal de la région et suffisamment le tamasheq, ce recenseur a une double lecture de ce curieux ouvrage, à mi-parcours (entre 1958 et 1961) entre la période de conquête étudiée et de la date d’édition de l’ouvrage.

            Curieux : un certain nombre de remarques éditoriales et de fond qui suivent en font en effet un ouvrage curieux. Au moins un chapitre est la reprise d’un article paru ailleurs. Contrairement à ce qu’affirme la quatrième de couverture, la littérature historique ancienne ou plus récente sur les étapes de la conquête du Sahara central est abondante et pas forcément erronée ou marquée d’a priori. Il paraît douteux que les archives d’Aix-en-Provence relatives à cette conquête  n’aient jamais été exploitées, mais admettons-le.

            Quelques remarques éditoriales mais aussi de fond : plusieurs chapitres semblent être des reprises d’articles parus pour l’un au moins d’entre eux il y a des années. Plus grave pour un ouvrage d’histoire : une seule carte de l’époque de l’exploration et de la conquête du Sahara central, aucune qui eût permis au lecteur d’aujourd’hui de situer les tribus et les clans en ces temps ; aucun index des noms de lieux, de personnes, d’institutions ou confréries, dont la graphie varie au fil des pages, voire dans la même phrase ; des incertitudes, au moins dans le présent ouvrage, quant aux rôles respectifs de deux missions de nature différente.

            Celui du « raid » effectué par le tout jeune lieutenant Cottenest en 1902, parcourant l’Atakor (massif central du Hoggar) pour lui et ses hommes pratiquement inconnu, surprenant campements et centres de culture, non sans pertes humaines pour ceux-ci ; « raid » qui indigna tellement les Kel Hoggar que ceux-ci, oubliant momentanément leurs querelles regroupèrent environ six-cents jeunes guerriers, soit l’effectif mobilisable ; « raid » qui aboutit à la bataille de Tit, cinglante et sanglante défaite des Kel Ahaggar (deux morts côté « français » - troupes régulières, moghazni et supplétifs venus du Touat, près d’une centaine côté touareg du Hoggar, soit un sixième des jeunes combattants disponibles). « Raid » qui convainquit l’amenokal Moussa Ag Amastane qu’il valait mieux trouver un terrain d’entente avec les Français.

            Et celui de la « tournée » du moins jeune lieutenant Guillo-Lohan en 1903 pour recueillir les fruits du « raid » ou plutôt du contre-rezzou de Cottenest, après la création fin 1902 d’une compagnie des oasis sahariennes « tournée » guère moins brutale su lors du « raid » Cottenest.

            Incertitudes encore sur ce que l’on connaissait déjà à travers livres et articles de l’époque et les plus récents (dont ceux de l’auteur lui-même), en d’autres termes sur la part novatrice (évènements et jugements ou interprétations à leur propos) des recherches de P. Pandolfi.

            Pour celui qui connut bien de l’intérieur le pays et son histoire et qui ne peut lire un livre d’histoire sans le croiser avec ses propres souvenirs, il y a risque en partie subjectif, de mixer ses connaissances, mêmes anciennes, à ce qu’apporte de nouveau depuis un demi-siècle la recherche.

            Ceci pour dire que l’ouvrage sous revue est difficilement compréhensible au lecteur généraliste mais déjà et pourtant suffisamment connaisseur de l’histoire coloniale française. Il y trouvera cependant des éléments des étapes de cette conquête du Sahara mais devra les recouper avec d’autres lectures. Le lecteur mieux informé au préalable pourra parcourir cet ouvrage et y recueillir des informations qu’il ignorait.

            Les travaux (dont une thèse de 1995 à propos de la parenté dans une tribu targui vassale du Hoggar) ont indubitablement apporté des éléments nouveaux et intéressants de chronique et de jugement sur ladite chronique. On s’interroge donc sur la nature du présent ouvrage qui relève plus du carnet de notes que d’un ouvrage de fond.

            Signalons cependant les dernières pages, relatives à l’installation de Charles de Foucauld à Tamanrasset, d’abord dans les années suivant 1904, date de la première intention d’installation, jusqu’en 1905 où elle devint effective, après des hésitations à la fois de Laperrine et de Moussa Ag Amastane, lesquels « jouaient au plus fin ». Pour le premier, considérer que le second devait se soumettre et non s’allier, le second jouant en quelque sorte la montre.
« c’est par les militaires français qui signifient fermement aux Kel-Ahaggar leur état de sujets politiquement soumis que Foucauld est introduit et installé dans l’Ahaggar ». Le Père de Foucauld ne sera d’ailleurs pas dupe de cette manœuvre. Notation toute personnelle : cela n’enlève rien à l’œuvre qu’il y développera : ni dupe, ni complice (contrairement à ce que laissaient entendre récemment quelques historiens ou romanciers, d’une part, d’autre part aux hagiographes inconditionnels.                                                                                                               



 
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