Littérature et politique en Afrique : approche transdisciplinaire

Recension rédigée par Jean Nemo


            Si l’on s’en tient à la lecture de l’ouvrage et sauf étourderie, il faut attendre les quelques pages de conclusion pour découvrir en note de bas de page que ce pourraient être les actes d’un colloque ou les contributions audit. Mais la pratique de l’Internet aura permis au lecteur de déjà savoir que ce colloque, organisé par le CESTAF (Centre d’études africaines), s’est déroulé au printemps 2017, à Cluj-Napoca en Roumanie, selon le même schéma que celui reproduit dans l’ouvrage. Le CESTAF est un département de l’université de cette ville.

            Autre remarque éditoriale : contrairement à un usage répandu, aucune notice biographique concernant la petite quarantaine de contributeurs ne permet de savoir quels ils sont. Il faut donc parcourir le programme du colloque pour le découvrir ; on y trouve des universitaires d’Algérie, du Maroc et d’Afrique francophone subsaharienne, mais aussi de Pologne, du Canada, de France, des USA, du Botswana…et bien entendu, de Roumanie et notamment de l’université locale de Cluj-Napoca, Babeş-Bolyai.

            Dernières remarques éditoriales : l’appareil critique est restreint, une seule et courte bibliographie accompagne chaque contribution, aucun relevé de discussion. Le programme du colloque en annonçait pourtant.

            Ces remarques ne doivent pas décourager le lecteur quant au fond. Même si la Roumanie est membre de l’OIF, il paraît intéressant de disposer d’approches et d’organisateurs institutionnels ou individuels « excentrés ».

            Venons-en au fond : le colloque comme l’ouvrage est divisé en cinq parties : colonialisme et post colonialisme, systématisations historiques ; l’écriture migrante ; tyrannies et dictatures ; le statut de la femme ; représentations littéraires et questions de poétique.

            S’agissant d’une quarantaine de contributions, toutes en français, il ne peut être question de les commenter en détail. En revanche, tant le titre que l’énoncé des cinq parties appellent des commentaires.

            Tout d’abord, on peut prendre le titre Littérature et politique en Afrique, dans deux sens : l’un stricto sensu, comme s’il s’agissait d’une définition de la littérature africaine en langue française, selon laquelle la littérature de langue française en Afrique serait par essence liée à la politique ; l’autre plus relatif et se limitant aux rapports entre littérature et politique, soit la partie de la littérature africaine qui serait de nature politique. Dans la plupart des littératures mondiales il est aisé de trouver une littérature « engagée » politiquement et une littérature qui ne l’est pas. Alors qu’il n’existe pas, de  par le vaste monde, de littérature qui ne soit que politique. On pardonnera ces truismes car ils renvoient à la première acception, confirmée par la séquence en cinq grands thèmes : quels sont les rapports, fussent-ils limités, entre littérature africaine de langue française et la politique, éliminant ainsi et plus ou moins explicitement tout ce qui relève d’autres catégories de littérature, d’imagination, de narration, d’expression poétique…

            Sans vouloir être excessivement pédant, dans le cas de la littérature française hexagonale, les auteurs qui l’ont à un moment ou l’autre marquée d’une coloration politique évidente à travers certaines de leurs œuvres sont nombreux en ce XXe siècle : Maurras, Céline, Zola, Aymé, Montherlant, Camus (Renaud, pas Albert…), Jouhandeau, Giono, Fabre-Luce, Rebattet, Hermant…Les uns et les autres n’ont certes pas caché tout au long de leur vie ou plus épisodiquement leur place dans l’éventail politique de leurs temps. Certains ont « collaboré » ou à tout le moins se sont sans mal accommodés d’une Occupation de triste mémoire. Les mêmes ont parfois fait preuve d’un antisémitisme virulent. Beaucoup se retrouvent dans des collections de référence telles que « La Pléiade ».

            En fait, peuvent se côtoyer dans une même œuvre de purs chefs-d’œuvre qui ont marqué et parfois renouvelé la littérature de leur temps (le Céline du Voyage au bout de la nuit) et des œuvres moins recommandables (le Céline des Bagatelles pour un massacre), ce qui pose aux éditeurs des décennies suivantes des problèmes délicats de choix éditoriaux. Ils figurent, en bonne place, dans les ouvrages anciens ou récents d’histoire de la littérature française à destination des collégiens ou des lycéens.

            La « littérature » est forcément un reflet, parfois contestataire ou profondément novateur, de la société de son époque : les Fleurs du Mal, le « symbolisme », le « Nouveau Roman », le « dadaïsme », sans compter de nombreuses autres « écoles ». Elle provoque des réactions sociétales parfois brutales, tel les mauvais procès faits à Baudelaire (condamné en 1857, il ne sera réhabilité qu’en…1949)  ou, en Grande-Bretagne, à Oscar Wilde. Elle est aussi et souvent le reflet ou l’interprétation, à travers notamment des romans ou des nouvelles, de la société ou de familles sociales de leur temps.

            Nous voilà éloignés du colloque et de l’ouvrage sous revue.Replacer les littératures francophones africaines dans une problématique plus générale, certes abusivement sommaire, n’était pas tout à fait inutile. Deux ou trois des cinq parties du colloque et de l’ouvrage laissent supposer que ces littératures sont d’abord à vocation politique : « colonialisme et post colonialisme », « tyrannies et dictatures », « le statut de la femme ».

            Il est vrai qu’en ce qui concerne l’Afrique subsaharienne, les littératures de type « moderne » se sont substituées à d’autres formes de littérature plus orale et, le Nigéria faisant exception, à l’absence de grande langue écrite de communication autre que le français. Peut-être cet aspect des choses eût mérité d’être signalé, au moins dans la séance d’introduction du colloque et dans l’ouvrage. Il induit des différences significatives entre les littératures maghrébines et les littératures subsahariennes.

Certes, comme il est dit en conclusion de l’ouvrage, le « grand public » français de France et souvent les auteurs africains eux-mêmes ont estimé que cette littérature africaine de langue française était a priori « engagée ». « On a dû attendre la moitié des années 1980 et notamment le crépuscule du communisme pour…une remise en question de ses conséquences [i.e. de l’engagement] sur la capacité créatrice, sur la diversité thématique et sur la richesse d’expression de la littérature africaine francophone ».

            Une remarque générale qui ne semble pas avoir été traitée : à quel lectorat s’adressent les écrivains francophones africains ? Si, comme il n’est pas improbable, ils s’adressent d’abord au lectorat européen, cela n’influence-t-il pas le ou les types d’engagement auquel ce lectorat s’attend.

            Autre remarque, ici de fond, Frantz Fanon n’est jamais cité. Il est vrai qu’il était d’origine antillaise mais il semble que l’on ne peut l’exclure de la première partie de l’ouvrage étant donné son engagement aux côtés du FLN et de son adhésion sans détour à la nouvelle Algérie. Peau noire, masque blanc et Les damnés de la terre sont des ouvrages militants et profondément politiques qui eussent mérité d’être au moins évoqués – opinion toute personnelle et probablement subjective.

            À défaut d’avoir pu assister au colloque de 2017, le lecteur prendra connaissance avec intérêt de la petite quarantaine de courtes monographies consacrées à des ouvrages qui sont évidemment loin de couvrir la totalité de la « littérature africaine de langue française ».

            La littérature francophone africaine n’est pas de celles qui sont ignorées dans l’Hexagone. Elle a fait l’objet, surtout depuis le début des années 1990, d’une abondante bibliographie analytique ou critique. On y ajoutera volontiers cet ouvrage, malgré les remarques éditoriales ci-dessus.

                                                                                                                    



 
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