Sainte-Anne-de-Goyave : histoire d'une paroisse de Guadeloupe

Auteur Daniel-Édouard Marie-Sainte
Editeur Société d'histoire de la Guadeloupe
Date 2021
Pages 464
Sujets Paroisses
Guadeloupe
Cote 65.971
Recension rédigée par Jean-Marie Breton


Dans de nombreux territoires, villes et villages français, l’histoire locale fait partie in-tégrante du patrimoine culturel et identitaire des populations et de leur mémoire collective. Elle est avec opportunité fréquemment redécouverte, étudiée et diffusée par des chercheurs et/ou des érudits passionnés, sans le travail acharné, parfois méconnu et souvent ingrat, desquels elle serait à jamais perdue dans la nuit des temps au profit de la seule « grande » Histoire.

            Mais celle-ci, dont l’évocation et, surtout, l’interprétation ne cessent d’être soumises à controverses, lorsqu’elles ne sont pas purement et simplement dévoyées au profit d’intérêts ou dans des desseins équivoques ou contestables, ne saurait avoir le monopole de la préservation et du partage d’un passé qu’il appartient à tous et à chacun de s’approprier, ou de se ré-approprier.

            La relation savante, documentée, approfondie, parfois anecdotique que, dans cet ouvrage, D.E Marie-Sainte fait de celle de la paroisse de Sainte-Anne-de Goyave, en Guadeloupe, n’échappe pas à ce souci. Cette relation a été encouragée et soutenue par la société d’histoire locale, comme il en va un peu partout en France métropolitaine et dans les outre mers. Enseignant retraité, féru de l’histoire de sa commune, celui-ci nous en livre un récit aussi riche que captivant, éclairé par de nombreuses photos et illustrations, ainsi que par d’utiles annexes et une bibliographie.

               La conduite de l’étude et la structure de l’ouvrage se situent délibérément dans une démarche diachronique, le découpage retenu distinguant la situation et l’histoire de la paroisse en sept chapitres, correspondant respectivement aux XVIIè et XVIIIè, puis XIXè (en quatre parties), et enfin aux deux moitiés du XXè siècle.

            Sont abordées, au fil des années et au gré des circonstances, les évolutions successives qu’a connues la paroisse, dans sa structure administrative et dans sa dimension religieuse, ain-si qu’à travers les aléas qui ont marqué l’histoire de la Guadeloupe durant cette période. Cet archipel a en effet connu, entre autres, les vicissitudes et les atermoiements de l’abolition de l’esclavage, de la monarchie à l’empire napoléonien ; mais aussi les drames et les effets par-fois catastrophiques de phénomènes sismiques plus ou moins graves, récurrents dans la région, notamment, pour Sainte-Anne-de-Goyave, quant aux destructions et reconstructions, à différentes époques, de l’église de la commune.

            Sont également décrits les impacts d’une situation sanitaire souvent dégradée, ainsi que les relations chaotiques du clergé et des autorités administratives, inévitablement impactées par les petits et grands « événements » d’une vie locale largement fermée sur elle-même. L’évolution et les transformations de la paroisse se sont en l’occurrence effectuées dans un milieu rural traditionnel, situation accentuée par l’originalité et l’endogamie d’un environnement insulaire marqué par l’histoire politico-militaire des Antilles françaises, comme, dans une mesure comparable, toutes choses étant égales, dans les Antilles britanniques ou néerlandaises.

            On s’intéressera, en filigrane, mais avec une portée tout aussi déterminante, à l’histoire sous-jacente du clergé local, de ses missions, de ses difficultés, de ses relations socio-confessionnelles avec des populations longtemps éloignées, jusqu’à l’aube du XXè siècle, de la « modernité ». La petite paroisse de Sainte-Anne-de-Goyave n’a pas eu à cet égard grand-chose à envier aux multiples petites communes et paroisses métropolitaines, confrontées à des situations, des difficultés ou des succès, largement comparables, tributaires d’une ruralité éloignée des réalités urbaines, des mutations technologiques et du progrès économique, et durablement imprégnées par des solidarités spatio-culturelles ancrées dans les mentalités et les comporte-ments individuels et collectifs.

            Chronique d’un temps (presque) révolu, autopsie d’un microcosme humain « exemplaire », narration historique parfois par le petit bout de la lorgnette (ce qui n’est en rien péjoratif, mais s’avère au contraire fertile en connaissances et en enseignements), le livre de D. E. Marie-Sainte est tout cela à la fois. Et certainement bien plus encore pour qui prendra le temps de le lire au rythme auquel cette histoire s’est écoulée pour des populations pour lesquelles le vivre, sinon le survivre, a longtemps pris le pas sur l’être et, a fortiori, sur l’avoir. Le lecteur aura plaisir à en découvrir et à en apprécier les multiples facettes, auxquelles l’érudition criti-que et l’aisance de plume de l’auteur apportent des éclairages, parfois surprenants, souvent édifiants.

            C’est la vie d’une petite cité guadeloupéenne, à la traversée des derniers siècles, et, au-delà de celle-ci, celle, plus large mais tout aussi remarquable, d’une île française d’outre at-lantique, et, partant, de tout un pan de notre histoire, qu’il nous est ainsi donné de pénétrer et de partager. Il est précieux, à l’aune du nouveau millénaire, de verser un tel document à la connaissance d’une histoire - autre que sommairement événementielle - sans doute méconnue parce que trop éloignée, dans le temps comme dans l’espace. Il vient opportunément nous rappeler, sinon nous enseigner, que les préoccupations ou les tropismes qui sont aujourd’hui les nôtres, entre course au progrès et fuite en avant d’une consommation effrénée, justifient plus que jamais la quête alternative d’une vie apaisée et gratifiante, dans un environnement naturel et communautaire (à l’opposé d’un « communautarisme » exclusif) dans lequel la convivialité, le partage et les solidarités l’emporteraient sur l’individualisme, l’indifférence et la rupture du lien social.

            On saura gré à D. E. Marie-Sainte, à travers cet ouvrage, qui va bien au-delà de la simple chronique d’une petite paroisse antillaise, de nous proposer, serait-ce implicitement, par la richesse de son propos et la vivacité de son récit, l’opportunité et le prétexte d’une telle réflexion, à de nombreux égards aussi bienvenue que salutaire.

            On souhaitera pour cette raison que sa diffusion s’étende bien au-delà des rivages de l’archipel guadeloupéen, afin que le témoignage dont il est porteur puisse susciter l’intérêt de tous ceux pour qui notre histoire, petite et grande, à la fois une et plurielle, ne saurait s’arrêter aux frontières de l’hexagone.