L'Algérie catholique : une histoire de l'Église catholique en Algérie, XIXe - XXIe siècles

Recension rédigée par Annie Krieger-Krynicki


 Agrégée de l’Université, licenciée en arabe, professeur des Universités en histoire contemporaine, directrice de l’institut de recherche sur le Maghreb contemporain de Tunis, après L’Algérie coloniale en 2005, Oissila Saadia présente une fresque très complète et originale sur l’état du catholicisme en Algérie depuis sa fondation jusqu’à nos jours. Cette étude touche à la fois à « la France méditerranéenne, colonie et terre de mission » ainsi que la présente Jacques Frémeaux, professeur à Paris-Sorbonne et membre de l’Académie des Sciences d’outre-mer, lui-même auteur d’ouvrage sur l’Algérie et dont le dernier s’intitule La dernière campagne d’Abd el-Kader. A son avis, le livre fait revivre une communauté religieuse oubliée « et éclaire l’histoire de cette collectivité humaine sur laquelle on sait réellement très peu de choses ». 

L’objectif de l’historienne est en effet « d’étudier le catholicisme dans un contexte colonial à l’échelle de l’empire qu’est l’Algérie : Cela veut être « une histoire de l’Algérie dans la mesure où le catholicisme a été partie prenante de bien des réalités de la domination coloniale pendant toute la durée de la colonisation. Le projet colonial en Algérie ne repose que sur la fondation d’une autre France, l’Eglise porte ce dessein ».

 Dans le premier chapitre : l’Église coloniale de l’Algérie française, l’édification du catholicisme pose le problème de la place réservée aux autres communautés confessionnelles d’Européens, dans la construction d’une conscience collective avec l’émergence d’un antisémitisme, d’un antijudaïsme tandis qu’un catéchisme prône la conversion des protestants. Les pasteurs étaient jugés trop favorablement traités à l’époque du Concordat. Autre problème : la loi du 9 décembre 1905 de séparation de l’Église et de l’État appliquée moins rigoureusement qu’en France métropolitaine, même si l’expulsion des congrégations reste la  règle : «  Le clergé reste concordataire », « Conscient de sa situation en terre coloniale et de la nature de l’apostolat lié au prestige de la France. » « Comment être catholique ? » fait l’objet d’observations des pratiques du culte, tirées des Semaines religieuses d’Alger et d’Oran et de périodiques, propres à chaque communauté : espagnole à Oran, italienne à Alger ou à celle des immigrés des Baléares ou de Malte. L’extériorisation des manifestations est la règle avec ses cultes privilégiés : la dévotion mariale avec ses pèlerinages à Santa- Cruz, à Oran, à Notre-Dame d’Afrique à Alger, Saint-Augustin et ses reliques à Bône, Saint-Michel pour les confréries des pêcheurs italiens à Alger ou à Castiglione. Avec une prolifération d’ex-voto, des bénédictions de la mer et des « pratiques superstitieuses » auxquelles l’Église mettra fin en 1914. Même si le particularisme va jusqu’à des prêches en italien, espagnol ou maltais, il ne s’agit pas d’une ingérence politique étrangère. Les corps constitués, voire l’armée, avec leur participation, aux fêtes religieuses traditionnelles, confirment l’adhésion à la France. La question est posée : «  S’agit-il d’un catholicisme européen en terre d’islam ou d’un catholicisme algérien en terre française » ? Le syncrétisme catholique s’impose à tous en fin de compte.

 Un autre chapitre pose le problème combien délicat de l’Église catholique face à l’islam. Si certains catholiques se structurèrent en France contre la société moderne, en Algérie, le repoussoir « fut constitué par l’islam ». Nostalgie de l’Age d’or, de l’heure de gloire du christianisme avec Tertullien Cyprien, Augustin puis de l’empire byzantin ; certes abondamment évoqués avec un retour à la réalité : notamment l’échec de cette revivification ; la réintroduction d’une sainte locale, Marcienne, martyrisée pour avoir renversé et détruit une statue de la déesse Diane, ne servit qu’au patronage d’une œuvre formant les jeunes filles à l’emploi de bonnes mères de famille chrétiennes. Le constat s’est imposé «  L’évangélisation des musulmans est mission impossible ». Certes elle ne fut pas expressément interdite mais cantonnée dans les villes dans les années 1840. La réaction des populations était redoutée et il n’était pas dans l’esprit des autorités de les réveiller, surtout ensuite à l’époque du Second Empire. Une exception fut faite à l’égard de la Kabylie, jugée plus ouverte dans « l’imaginaire des catholiques car s’y serait maintenu un patrimoine chrétien ». Aussi l’ambiguïté se manifeste-t-elle avec la création de la mission des Pères Blancs du futur cardinal Charles Lavigerie (1825-1892) alors même que toutes les congrégations dont celle de Jésuites, étaient expulsées et que l’enseignement catholique laissait place à des écoles laïques et républicaines. La mission avait pour but, selon les instructions du célèbre ecclésiastique, de « créer des villages chrétiens ». Mais cela s’avéra trop coûteux et utopique. Le but devint celui « de gagner des cœurs » et une orientation vers l’Afrique saharienne et Sud-saharienne. « La mission autrement » fut celle du père Charles de Foucauld (1858-1916), « figure la plus populaire et la plus controversée dans cette démarche missionnaire ». D’ailleurs la situation des convertis musulmans restait, elle aussi, ambiguë : tout converti au regard de la loi française, restait un musulman doté d’un statut personnel. Les efforts de rapprochement entre chrétiens et musulmans lancés en 1907 par Marc Sangnier, avec le Sillon, n’eurent pas le même succès qu’en Tunisie. « Peut- être parce qu’il y avait plus de liberté sous le Protectorat pour les élites musulmanes qu’en Algérie »  car, selon l’auteur, « l’Algérie seule est une véritable colonie de peuplement ».Toutefois « le catholicisme ne risquait pas de s’acculturer ». Après l’union sacrée de 14-18 et, en dépit de la rareté des éléments de référence, Oissila Saadia a eu le souci de ne pas bloquer sa recherche mais d’aller au-delà de l’apogée des années 30. Car vient le temps de la remise en cause 1945 et 1962 d’où le titre pessimiste et l’interrogation : « Vers la fin de l’histoire ? » Si l’État a poursuivi sa politique de collaboration avec l’Église pendant l’entre-deux guerres et au-delà, « Marie et Marianne », selon l’expression évocatrice et originale de l’auteur, ont contribué à l’édification de la plus grande France avec en 1954, la création de l’Évêché de Laghouat. Mais le temps des remises en cause arrive, avec la période 1945-1962.

La Papauté ne consacre pas d’encyclique à la décolonisation, mais le pape Pie XII lance un message très clair à Noël 1955 : « Qu’une liberté juste et progressive ne soit pas refusée à ces peuples et qu’on n’y mette pas d’obstacle ». Face à la guerre et à l’indépendance, hésitations et divisions affleurent. Mais les Pères Blancs, dans l’embarras, laissent à la hiérarchie le soin de faire connaitre sa position. La division traverse les catholiques en Algérie comme en métropole. Certes dans le Monde de 1964, Mgr Duval affirme : « En Algérie, l’Église n’a pas choisi d’être étrangère mais algérienne ». Qu’en est-il advenu de cette aspiration à l’enracinement ? Les évolutions des gouvernements algériens successifs, en particulier avec la Charte de 1976 et la réaffirmation de l’islamisation du pays, ont signé la fin de certaines espérances, après l’orientation socialiste des débuts et la rupture brutale avec le passé colonial. Cela s’est poursuivi en 2006 avec l’interdiction du prosélytisme religieux, visant d’ailleurs les mouvements évangélistes protestants, autre obstacle pour la propagation du catholicisme. Alors « L’Église catholique en Algérie est-elle devenue l’Église de l’enfouissement ? » L’Église catholique va-t-elle borner son activité à la gestion des bibliothèques religieuses  ouvertes aux chercheurs et à offrir des lieux de culte aux expatriés : Polonais des chantiers navals de Mers El Kébir, coopérants français, étudiants d’Afrique sub-saharienne et quelques Algériens convertis : 15 personnes dans l’église du Saint-Esprit à Oran en 1990. Qu’y fera le lancement d’une revue Pax et Concordia par l’évêché d’Alger ?

 Bien documenté, s’appuyant sur des archives retrouvées à Lyon ou Aix-en-Provence, ce monument d’érudition ne doit pas décourager le lecteur. On peut regretter que dans la bibliographie ne soient pas mentionnés « Les Souvenirs d’un voyage en Algérie en 1841 » de Louis Veuillot : il était alors le secrétaire du général Bugeaud et, en pleine utopie, rêvait de convertir tous les musulmans ! (in Ch XII). Une telle somme était nécessaire car les études, sur le sujet, étaient fragmentaires et éparpillées. Elle est servie par une présentation très claire. La fluidité du style, la multiplication des exemples en rendent agréable la lecture. Laissons à l’auteur sa conclusion : « L’histoire du christianisme se poursuit en Algérie ».