La Cour d'appel de l'AOF

Recension rédigée par Jean Nemo


Voici aujourd’hui éditée une thèse datant de presque quatre décennies ; une sorte de record. Son auteur, prématurément disparu en 1988, revient aujourd’hui sur le devant de la scène grâce aux initiatives de forts nombreux amis. Ils ont fait paraître, en 2019, chez le même éditeur, un livre d’hommages (ou des « mélanges ») à Dominique Sarr.

Celui-ci fut le « premier agrégé africain en histoire du droit et enseignant-chercheur à l’université de Dakar de 1974 » à sa disparition (selon la 4ème de couverture, les autres informations quant à cet auteur manquant malheureusement de fiabilité).

Sous cette réserve, on relèvera que dans sa courte bibliographie figurent également quelques ouvrages de récits ou romans.

On ne sera pas surpris s’il est dit ici que l’ouvrage sous revue s’adresse à un public déjà averti du ou des droits coloniaux français en Afrique occidentale. À ne pas prendre pour une réserve de fond, s’agissant d’une version dite « grand public » d’une thèse fort ancienne. Mais originale par bien de ses aspects.

En première partie, Dominique Sarr remonte dans l’histoire aux instances judiciaires françaises présentes au Sénégal dès le début du 19ème siècle, d’abord dans un vide institutionnel et juridique, à Saint-Louis, avec l’arrivée de magistrats français confirmés et la création d’une Cour d’appel nouvellement créée. Lesquels traitent tout d’abord et pour l’essentiel des « affaires de traite ». Selon un droit inspiré des « usages », commerciaux et indigènes. 

Cette première partie traite également de la deuxième moitié du 19ème siècle, avec l’apparition d’éléments qui deviendront plus tard l’AOF, voire certains pans de la future AEF. Saint-Louis et ses institutions judicaires anciennes céderont leur monopole d’origine à d’autres cours d’appel, dans « les Rivières du Sud », voire au « Gabon-Congo », avant une « réunification » parallèle à la constitution de l’AOF. Conduisant à « un ordre juridictionnel de domination », avec le rôle prépondérant de l’administration et une priorité au pénal.

En seconde partie, Dominique Sarr s’intéresse au personnel de cette Cour, relevant et décrivant « une magistrature sous tutelle ». Ici sont abordés quelques cas particuliers, tels « les conflits du Dahomey » ou certains personnages qui ont compté. Le trait le plus important ici est que « la magistrature concourt à la politique coloniale.

Puis sont traités les « défenseurs », le plus souvent des « officiers ministériels », soit une mainmise de l’administration sur les moyens de la défense.

Dans une troisième partie, sont examinées successivement la Cour d’appel, ses procédures, les délais. Son rôle également dans les pourvois en cassation et dans la mise en œuvre de la « stratégie coloniale », notamment à l’encontre des tribunaux coutumiers musulmans et autres juridictions locales et coutumières. Sujet plus délicat, l’intervention dans « la transformation des droits fonciers coutumiers » et le rôle progressivement dévastateur de la mainmise du « domaine public » sur le ou les droits coutumiers.

Si l’on permet à l’auteur de la présente note de lecture de rappeler ce qu’il apprit sur le terrain au tournant du milieu des années 1950, l’instrumentalisation par les sociétés locales du droit colonial était souvent fort astucieuse.

Une vieille querelle régnait entre cantons voisins, dans le futur Togoland, avant la mainmise coloniale de la fin du 19ème siècle, l’un occupant un vaste plateau, l’autre les contrebas dudit plateau, les deux pratiquant des cultures de café et de cacao plus ou moins familiales mais destinées à l’exportation vers l’Europe. Cette querelle concernait les limites de ces cantons densément peuplés. Avant la colonisation par l’Allemagne elle s’était réglée par des conflits meurtriers. La « paix coloniale » ayant limité le recours à la confrontation armée, les deux cantons utilisèrent les tribunaux coloniaux allemands et remontèrent jusqu’à l’équivalent de d’une cour de cassation en Allemagne.

Puis celle-ci vaincue et le Togo ayant été partagé en deux mandats de la SDN, la zone en question, d’abord sous mandat britannique, avant un remaniement de 1921, les cantons s’orientèrent d’abord vers les tribunaux britanniques qui se gardèrent bien de trancher. Après 1921, le cycle des tribunaux coloniaux français, puis de la Cour d’appel de l’AOF, puis de la Cour de Cassation française finit par aboutir en 1956 et donna raison, une nouvelle et dernière fois, au canton des contrebas. D’où, du cercle de Kpalimé, partit une petite mission chargée de retrouver les stèles érigées quarante-cinq ans auparavant, après le cycle judiciaire allemand, par le colonisateur allemand qui avait donné raison aux prétentions de ce canton et de les remettre en place. Des incidents armés furent évités de justesse entre les deux cantons…

Dans sa conclusion, Dominique Sarr déclare à peu près le contraire : « …un processus d’imitation a fait oublier, à cette élite acquise à la mentalité et aux conceptions occidentales, son devoir de chercher les institutions les meilleures pour les peuples qu’elle gouverne… ». Soit la recommandation à peu près à l’opposé de l’expérience relatée ci-dessus, la mainmise par des colonisés sur les subtilités des parcours contentieux du colonisateur.

Ceci étant dit, Dominique Sarr argumente de façon approfondie les insuffisances de la justice pénale et privée de la période coloniale, son ouvrage est raisonnablement documenté, son appareil critique est de bonne qualité, étant donné les conditions de sa « récupération », telle que rappelée ci-dessus.