L'empire du politiquement correct : essai sur la respectabilité politico-médiatique

Recension rédigée par Patrick Forestier


Cousin de la Belle Province, le sociologue québécois Mathieu Bock-Côté connaît les travers et les dérives de la politique, des médias et des courants d’opinion mieux que les Français. Son livre sur la bien-pensance qui corsète le débat démocratique, décrypte ce mal qui alimenterait, au-delà des crises sociales, la contestation populaire comme on l’a vu avec les Gilets jaunes. Selon lui, les silences, les non-dits qu’une minorité impose à la majorité, « les lois explicites et implicites », les critères de la respectabilité politique qui régentent la vie publique alimente « la révolte populiste ». « Un grand malaise démocratique » qu’il passe au crible avec brio. Pour lui, le politiquement correct a aujourd’hui remplacé la censure d’hier. Sa démonstration appuie là où ça fait mal et ses exemples sont tellement justes qu’ils prêtent parfois à sourire.  « La démocratie contemporaine se veut désormais inséparable du déploiement de l’entreprise diversitaire qui se présente comme sa seule traduction possible écrit-il. La diversité présentée comme une richesse est le « grand inquestionnable du moment ».  « En douter est un péché » ajoute l’auteur qui poursuit:« de la déconstruction des appartenances traditionnelles à l’indifférenciation entre les sexes, de la désincarnation du père et de la mère à leur transformation en interchangeables parent 1 et 2, elle ébauche un programme qui est celui d’un changement de civilisation ».

 Plus loin, cet observateur de notre société estime que «la philosophie de la déconstruction est celle qui est connectée le plus intimement au noyau existentiel de la modernité, puisqu’elle vient disqualifier toute forme d’appartenance historique ou naturelle. L’homme est sommé de devenir un nomade : sa seule liberté serait celle de se dépouiller de ses appartenances et de se jeter dans le vaste monde ». Autre phénomène de société analysé par le sociologue : Les luttes trans.  « Aux États-Unis, on se passionnera pour la cause des toilettes mixtes alors que dans de nombreux pays, on a reconnu administrativement le troisième sexe… La déconstruction de l’identité sexuelle devient ainsi la nouvelle étape de la déconstruction du privilège de l’homme occidental, et il se pourrait bien que l’antispécisme soit la suivante. On parle maintenant de l’atténuation, de la relativisation et de la neutralisation de la différence entre les animaux humains et les animaux non humains ».

 Ethnologue des démocraties qui donnent parfois l’impression de marcher sur la tête, Mathieu Bock-Côté constate que « dans la deuxième moitié du XXe siècle, une bonne partie de l’effort des intellectuels de gauche a consisté à maintenir coûte que coûte leur adhésion au socialisme, même s’ils devaient pour cela multiplier les contorsions mentales pour sauver à tout prix une théorie en faillite. Il en est de même aujourd’hui, notamment quand vient le temps de sauver le multiculturalisme ». Le déni du réel est un sujet qui n’a pas échappé à la perspicacité de l’écrivain : « la négation obstinée et soutenue par un usage militant des statistiques de la grande mutation démographique occidentale est sidérante » écrit-il. Ajoutant : « les nations occidentales seraient depuis toujours des nations d’immigration. Nous serions tous des immigrants et il n’y aurait aucun noyau démographique et culturel, et fondateur dans aucune d’entre elles ». Il résume en quelques mots la pensée des partisans de cette théorie. Selon eux « il serait illogique de s’inquiéter de l’immigration massive puisqu’elle serait constante au fil de l’histoire. L’identité nationale elle-même n’existerait pas vraiment et le passé auquel se référeraient ceux qui se montrent attachés au roman collectif serait fantasmé ».

 Le système médiatique n’est pas épargné, en particulier à la télévision où il dissèque les comportements et les propos à l’emporte-pièce. « Un homme politique se fera questionner sur le tabou du moment. Par exemple, on lui demandera s’il adhère à la thèse du racisme systémique. S’il s’y oppose cela suffira à en faire une personnalité « controversée ». Idem s’il ose critiquer l’immigration massive. « On lui reprochera de s’aventurer sur le terrain de l’extrême droite, ce qui justifiera ensuite un article sur les rapprochements possibles entre la droite républicaine et la droite populiste. Il s’agira, en fait, de le situer sur l’échelle de la fréquentabilité, ou plus exactement, de l’infréquentabilité».

 Le débat politique est évidemment analysé à la loupe par cet entomologiste de la pensée contemporaine qui décrypte finement les automatismes idéologiques. Pour la gauche, « la droite décomplexée serait une droite désinhibée, ensauvagée et prête à franchir la ligne rouge la distinguant de « l’extrême droite », sans qu’on ne prenne la peine de savoir qui trace cette ligne rouge... ». En fait, estime l’auteur, « la gauche reconnaît implicitement qu’elle ne reconnaissait de droite légitime que sous sa tutelle. Une droite ne se définissant plus dans les paramètres de la gauche est dès lors considérée par la gauche comme une extrême-droite. La gauche a besoin d’affronter moralement l’extrême-droite ou ceux qui font son jeu » estime Mathieu Bock-Côté dans son livre.

 Un essai brillant, cohérent et salutaire où apparaissent les contradictions, la naïveté, et les abandons des démocraties occidentales qui, au fil des pages, semblent se déliter, pour le plus grand bonheur de ceux qui ne partagent pas leurs valeurs.