Le Moyen-Orient syriaque : la face méconnue des Chrétiens d'Orient

Recension rédigée par Christian Lochon


Depuis les années 1990, le Professeur Joseph Yacoub nous livre avec son épouse Claire des ouvrages très documentés sur les Chrétiens syriaques du Proche Orient. Ce nouveau livre est un plaidoyer pour les études syriaques «  afin qu’elles soient diffusées auprès d’un public averti et qu’elles occupent le statut qu’elles méritent dans l’enseignement, car les Syriaques sont détenteurs d’un héritage considérable et à l’origine d’une brillante civilisation » (p.271 et 272). L’auteur nous fait prendre conscience que le Moyen-Orient arabo-musulman est aussi chrétien-syriaque (p.13).

Une première partie porte sur l’aspect proprement religieux. Le Concile de Constantinople en 381 place le Patriarcat de la ville impériale en deuxième position après Rome et avant Antioche, Alexandrie, Jérusalem, du fait que l’empereur y résidait. Celui de Babylone de l’Église d’Orient (assyrienne) sera le cinquième patriarcat oriental. Plus tard, le Concile d’Ephèse (431) sera antinestorien et le Concile de Chalcédoine (451) antimonophysite contre les Patriarcats syriaque d’Antioche et copte d’Alexandrie.  

L’Église syriaque d’Antioche adhère au Concile d’Ephèse  mais pas à celui de Chalcédoine. Au début du VIe siècle, elle abandonne le grec dans la liturgie. Le Patriarche Ignace III David en 1237 professera la foi catholique. Le Maphrien syriaque en résidence alors à Mr Behnam près de Mossoul et qui dirigeait l’Église syriaque de l’Asie aussi. Mais l’union ne se formalisera qu’en 1763. Eutychès (378-454) insiste sur l’importance exclusive de la nature divine au détriment de la nature humaine. Le moine Jacques Baradée organisera l’Église syriaque, aidée par Théodora épouse de l’Empereur byzantin Justinien.

L’Église d’Orient, sous la pression du Régime sassanide (226-651) dont la religion officielle est le mazdéisme, ne reconnaît plus l’Église d’Antioche en 424 et la papauté de Rome en 497. Ebedjesus de Nisibe (1250-1318) définit la doctrine nestorienne « Deux natures (abstraite et concrète) et deux hypostases unies dans l’unique personne du Christ Fils de Dieu » (p.90).  Cette Église insiste sur l’humanité du Christ, mettant l’accent sur la Theotokos : « Sainte-Marie est la mère du Christ notre Dieu ». Le siège du Patriarcat sera déplacé de Séleucie-Ctesiphon, proche de Babylone, à Bagdad, capitale des califes abbassides en 780. Le christianisme nestorien s’étendra tout le long de la Route de la Soie jusqu’en Chine. On a retrouvé des lectionnaires syriaques traduits en hunnique, ouïghour, turc, mongol, chinois, sogdien. La dynastie Ming proscrira l’Église d’Orient en 1368 de même que les Mongols devenus musulmans ; les fidèles se réfugieront alors au Kurdistan. Par contre, au Kerala, cette Église est encore présente. Des prélats se rendront à Rome en 1553. En 1994 le Patriarche Mar Dinkha IV et le Pape Jean-Paul II signèrent une Déclaration de convergence reconnaissant que « les divisions reposaient en grande partie sur des malentendus. » (p.129)

Une deuxième partie concerne langue et littérature syriaques. L’araméen prit naissance à Edesse (aujourd’hui Ourfa). Le syriaque est la langue la plus importante des idiomes araméens. A l’origine, l’écriture estranghelo se différenciera au VIe siècle entre graphies occidentale (Syrie, Palestine) et orientale (Mésopotamie). Jacques d’Edesse fixe la langue littéraire syriaque occidentale et son orthographe en recourant aux voyelles grecques et en utilisant des points diacritiques pour fixer la prononciation des Écritures. La première grammaire du syriaque est de Yoseph Al Ahwazi (m.580). L’arabe, langue cousine de l’araméen, lui empruntera une partie de son vocabulaire religieux comme salat (prière),sadaqa (aumône), haj (pèlerinage), furqan (Salut), baraka (bénédiction), rahman (miséricordieux). Le syriaque, sous sa forme dialectale de « soureth » est toujours parlé par les Chrétiens du Nord de l’Irak et à Qamechlié en Syrie orientale depuis 1930 avec l’exode des chrétiens assyriens persécutés en Irak. La toponymie montre au Liban, en Syrie, en Irak, en Jordanie, les nombreux emprunts à l’araméen.

L’auteur montre ensuite que la production syriaque porte sur tous les genres littéraires religieux et profanes (p.16). L’Ancien Testament en version Pshytta  (simple) fut traduit de l’hébreu par des judéo-chrétiens dans le Nord de l’Irak à la fin du Ier siècle. Le Diatessaron, les Quatre Évangiles mis en harmonie, est traduit en syriaque et en grec par Tatien (120-180). Le lexique philosophique syriaque (p.201, 202, 203) montre la richesse de la langue « faite de poésie et de rationalité et qui s’est autoconstitué un vocabulaire de termes abstraits ». La littérature indienne a été révélée au Moyen-Orient par les auteurs syriaques, notamment le livre du fabuliste BidpaÏ (Ve siècle avant J.C.) devenu Kalila ou Dimna, qui, traduit en français au XVIIe siècle, inspirera La Fontaine. En 1549, le moine Moshé de Mardine fait imprimer à Rome les Évangiles en syriaque.L’Histoire ecclésiastique et civile de l’encyclopédiste Bar Haebraus (1226-1286) sera imprimée en latin et en arabe à Oxforden 1663. L’Ordre Antonin maronite a constitué à Antelias (Liban) le Centre d’Études et de Recherches Orientales (p.265), confié au syriaquisant P. Maroun Atallah et qui publie la collection Études Syriaques, mondialement appréciée. Une pléiade d’auteurs syriaques, cités p. 267, réactive le patrimoine religieux et séculier. En Irak, une Académie de la langue syriaque fut fondée en 1972 à Bagdad puis intégrée à l’Académie irakienne en 1981.

Ce livre est précieux car il met en relief l’apport linguistique, littéraire, culturel des Chrétiens syriaques à l’époque florissante de la civilisation arabo-musulmane.


Quelques coquilles disparaîtront dans une nouvelle édition ; p.39, note 3, « ce texte découvert à la LIBRAIRIE de l’évêché syriaque en 1905 », il s’agit sans doute de la bibliothèque (le nom est un doublet en arabe) ; p.74 « Ebedjésus dont SON livre est un résumé remarquable », autre exemple d’interférence de l’arabe, on dirait : « Ebedjésus dont LE livre » ; p.87, « la ponctuation de l’araméen cursif s’est faite au VIe siècle », le lecteur non sémitisant pourrait ne pas comprendre qu’il s’agit ici de mettre un signe diacritique sur certaines lettres afin de les prononcer différemment. On regrettera que l’ouvrage n’ait pas de bibliographie qui rassemblerait tous les ouvrages cités dans le texte et en notes ni d’index car la liste des auteurs orientaux et occidentaux cités est considérable.