Régime et système politiques en Algérie : des prémices coloniales aux perspectives libérées ...

Recension rédigée par Christian Lochon


Mouloud Hamai, docteur d’État en sciences politiques de l’Université de Paris II, diplomate et universitaire algérien, nous livre dans son Essai l’histoire de la République algérienne de 1962 à 2019, qui n’aura été qu’une suite de Régimes dictatoriaux, dirigés par une poignée d’hommes appelée « Le Clan d’Oujda ». Pour l’auteur, le Régime ne respecte pas ses propres normes constitutionnelles et législatives (p.296). En amont, les Accords d’Evian (18 mars 1962) auront été ratifiés le 8 avril 1962 puis par le référendum d’autodétermination du 1er juillet 1962 (p.37). L’Exécutif Provisoire, présidé par Abderrahmane Farès aura reçu de la France les attributs de la souveraineté le 3 juillet 1962 qu’il transmettra le 25 septembre 1962 à l’Assemblée nationale constituante (p.47), laquelle proclamera la République Algérienne Démocratique et Populaire le 25 septembre 1962. Le Pouvoir algérien, l’auteur le souligne, sera désormais limité à la Présidence de la République, à l’Armée et au FLN.

Le Régime algérien est basé sur une hégémonie présidentielle reposant sur une armée fidèle et un parti unique docile (p.158). Le Président est omnipotent dans l’État, le Parti, l’Armée (p.140). Il est rééligible indéfiniment par le peuple sur proposition du Parti ; Ben Bella est élu en 1963 avec 99% de suffrages ; Boumedienne en 1976 avec 96% ; Chadli en 1979 avec 94%, en 1984 (p.120). Le Régime algérien est semblable à celui des pays socialistes de l’époque soviétique (p.137). Boumedienne promeut Ben Bella en s’appuyant sur ses fidèles du Clan d’Oujda, devenus les cadres de la sécurité militaire (p.64). Il remplace Ben Bella en 1965 (p.22). Au décès de Boumedienne en 1978, l’Armée impose le Colonel Chadli Bendjedid (p.110). A la victoire du FIS au premier tour des législatives de 1991, Chadli annule le 2e tour et démissionne le 11 janvier 1992. L’Armée fait nommer Président Mohamed Boudiaf, chef historique respecté de la révolution ; il est assassiné le 29 juin 1992 en direct à la télévision (p.185). La hiérarchie militaire choisit alors le Général Liamine Zeroual comme Chef d’État en 1993, confirmé dans ses fonctions jusqu’en 1999 (p.201). En 1996, un référendum interdit tout parti religieux, adopte la pluralité des partis politiques mais renforce les pouvoirs du Président de la République. Adoubé par les généraux, Bouteflika est élu en 1999 avec 74% des voix (p.202). Il proclame la réinsertion civile des terroristes, approuvée par référendum (99% !). Il est réélu quatre fois malgré sa maladie (p.217). L’État-Major (Gaïd Salah), Said, frère du Président et une mafia politico-financière se substituent au Président de 2013 à 2019 (p.227). Successeur de Bouteflika, Abdelmadjid Tabboune, obtient en 2019 58% des suffrages. (p.273). La presse algérienne souligne que cette élection aura été la première depuis l’indépendance où le peuple a choisi son président (p.380).

Les Constitutions seront ratifiées par les Assemblées nationales successives sans discussion. Le Régime légitime le FLN, Parti unique, titulaire exclusif du pouvoir politique de 1962 à 1989 (p.17). En 1976, une nouvelle Constitution, adoptée par référendum au score brejnévien de 98%, est révisée en 1979, 1980, 1988. En 1989, le multipartisme est adopté. D’autres révisions en 1996, 2002, 2008, 2016 et 2020 (p.8) ne supprimeront pas la prépondérance exorbitante des pouvoirs du Président de la République non responsable devant les chambres et qui nomme à tous les emplois civils et militaires, le Premier Ministre n’ayant qu’un statut de coordonnateur des activités gouvernementales (p.311). Le Régime algérien ne peut être qualifié que de présidentialiste (p.320).

L’Algérie est caractérisée par l’omnipotence de son armée. L’État-Major Général, créé en 1960 fut davantage un acteur politique qu’un organe militaire opérationnel (p.21). Le Groupe d’Oujda s’est imposé à la tête de l’armée des frontières et, en 1962, s’insurge contre le GPRA, tire sur les moudjahidines, les soldats des wilayas III et IV, provoquant des milliers de morts. L’omniprésence occulte de l’armée sera consacrée dans la Constitution de 1962 (p.69). Chaque crise politique trouvera son dénouement dans des arrangements extraconstitutionnels dus à l’armée (p.297). Le Conseil de la Révolution se proclame détenteur de tous les pouvoirs, y compris constituant (p.93) puis Boumedienne transforme le Régime collégial en un régime normatif présidentiel autonome sans base juridique (p.98). Mais la Constitution de 2020 établira que « la consolidation et le développement du potentiel de défense de la Nation s’organisent autour de l’Armée Nationale Populaire » sans référence au Président de la République pourtant « Chef Suprême des forces armées de la République et responsable de la défense nationale ». Il semble donc que le système politique algérien refuse toujours de séparer l’armée de la politique et refuse le principe d’une gouvernance à 100% civile (p.346).

Le 1er novembre 1954, le FLN fusionne tous les courants nationalistes (p.31), à l’exception des Messalistes ; néanmoins, le Parti est sorti de la guerre, divisé et inexistant (p.57). L’article 94 de la Constitution précise son rôle : « le système institutionnel algérien repose sur le principe du Parti unique » (p.119). L’auteur explique paradoxalement que « tout se faisait au nom du FLN qui n’existait pas » (p.68). La Constitution faisait du Parti le symbole de l’unité du Pouvoir mais, en même temps elle intronisait le Président en titulaire réel de ce Pouvoir (p.155). Les sièges de députés seront attribués jusqu’en 1989 aux membres du FLN (p.116). L’Assemblée nationale constituante élue le 20 septembre 1962 désigne le 26 septembre Ben Bella comme Chef du Gouvernement qui nomme les ministres (p.53) ; puis l’Assemblée fut effacée et les décisions législatives (contrairement à la Loi) imposées par Ben Bella (p.54). L’Assemblée populaire nationale qui lui succéda, n’était chargée que de donner une valeur législative à des décisions dont elle n’avait jamais été la source (p.127) et ne votait même pas le budget. En 1996 est créé le « Conseil de la Nation » dont un tiers des membres est désigné par le Président de la République pour filtrer d’éventuelles réformes de l’APN (p.197). Sous Bouteflika, des techniques d’arrangement des résultats électoraux ont abouti à une pratique éhontée de l’achat des sièges de député ou de toute autre charge élective (p.389).

Ce Régime autocratique algérien n’a pas laissé se développer une société civile. C’est pourquoi, la religion fut choisie par certains citoyens pour avoir accès aux débats politiques. La Charte Nationale version 1986 affirme ostensiblement la concordance entre l’islam et le socialisme (p.162). En 1989, pour les partis islamistes autorisés, FIS, Nahda, HAMAS, la démocratie importée du monde des infidèles est impie. Les élections législatives de décembre 1991 eurent un taux d’abstention record. Le total des voix des élections en faveur du FIS représentait en fait 24% du nombre d’électeurs, 48% de ceux qui avaient voté. (p.177). Comme dit l’auteur, c’était un non au FLN (p.178). Les Algériens subirent en 1997 et 1998 des massacres effectués par le Groupe Islamique Armé provoquant 200.000 morts (p.211) ; les actions terroristes se poursuivront de 2007 à 2013 (p.211). Il faut attendre la Constitution de 2020 pour que l’article 10 dispose que « l’État veille à promouvoir le rôle de la société civile en vue de sa participation à la gestion des affaires publiques » (p.370) ; mais la liberté de la presse ou l’utilisation du tamazight bénéficient de dispositions cosmétiques alors que la Constitution de 1989 avait reconnu l’amazighité comme « composante fondamentale de l’identité algérienne » (p.174). Quant à l’égalité Homme /Femme, elle est ignorée par l’islamique Code de la Famille (p.315). Sur un plan civique, le Mouvement « Barakat » (ça suffit), formé en mars 2014 s’était essoufflé (p.244) comme la Coordination Nationale pour les libertés et la transition démocratique par l’absence d’un leader (p.244). Le Hirak du 22 février 2019 (p.9) réclama dans toutes les régions du pays (p.256) « un État qui assure les conditions et les mécanismes d’une compétition pacifique entre différents courants politiques et idéologiques sous l’arbitrage des électeurs-citoyens » (p.375).

La manifestation massive du 19 juin fut réprimée par des mesures musclées contre les manifestants qui scandaient « Un État civil, pas militaire » (p.286) et « Le peuple est la source véritable du Pouvoir » (p.289). Les membres du Hirak arrêtés furent torturés. Des poursuites judiciaires furent engagées contre Karim Tabbou (p.282), leader du Hirak, du parti « Union Démocratique et Sociale » (p.367), qui demandait une Assemblée constituante, une presse et une justice libres (p.428). Le Hirak put obtenir la renonciation de Bouteflika à un 5e mandat, la condamnation d’une partie de l’oligarchie politico-affairiste du Clan Bouteflika et à se faire admettre comme mouvement populaire proposant pacifiquement (« silmiya ») à l’Algérie la transition vers un régime démocratique (p.409) puis le Covid surgit à point pour interdire les manifestations (p.282). En tout cas, la révision constitutionnelle de 2020 ne répond pas aux attentes légitimes du peuple algérien, exprimées par le Hirak (p.326). Le Porte-Parole aux Droits de l’Homme a déclaré à Genève le 5 mars 2021 « Nous sommes très préoccupés par la situation des droits de l’homme en Algérie et par la répression continue contre les membres du Hirak » (p.430). En 2020, l’Algérie a été classée « régime autoritaire » (p.323) à la 151e place sur 167 pays évalués. Une résolution du Parlement européen critiquant la situation des droits de l’homme en Algérie fut adoptée le 26 novembre 2020 à la quasi-unanimité de ses membres (p.11).  

On retiendra le résumé de ce livre qu’en donne le Pr. Ahmed Mahiou : « Le problème du pays est qu’il y a un grave déficit de légitimité des institutions du pays depuis l’indépendance puisque aucune élection n’a été démocratique, loyale et transparente » (p.377). Le Pr. Hamai estime que « 60 ans après l’indépendance, il est nécessaire de passer la main au peuple algérien pour le laisser définir le projet de société qu’il souhaite (p.435) ». 

Comme le livre est très dense, l’auteur, pour le rendre plus didactique, aura intérêt pour une seconde édition, de rajouter une chronologie des Présidents algériens, un index des noms des personnes citées, un tableau des Constitutions successives.