Les secrets de l'expédition de Suez, 1956

Auteur Denis Lefebvre
Editeur CNRS
Date 2019
Pages 275
Sujets Relations internationales
1955-1962

Égypte

1956 (Intervention étrangère)
Cote In-12 2524 (MSS)
Recension rédigée par Jean Nemo


Il s’agit ici de la réédition d’un ouvrage initialement paru en 2010, lequel, vu l’ancienneté de l’évènement, ne devrait pas différer de cet ouvrage initial. Encore que la 4ème de couverture signale « des documents inédits », sans bien préciser s’il est fait référence à la présente édition ou à l’initiale de 2010. L’on acceptera, en l’absence de précisions dans le volume de 2019, la bibliographie ne mentionnant, à peu d’exceptions près, aucune source postérieure à 2010, que les deux éditions sont équivalentes.

Il était utile de vérifier ce point car entre 2010 et 2019, il est possible sinon probable que des archives nouvelles aient été exploitées ou que des ouvrages d’auteurs aient paru, ayant vécu ou été témoins de l’aventure. Mais cette vérification ne devrait pas détourner le lecteur intéressé par l’histoire récente de se plonger dans ces « secrets ».

L’auteur est un journaliste bien connu dans les milieux dits « de gauche », probablement et également par un public plus large. Comme le signale la 4ème de couverture, il a notamment publié des biographies de leaders socialistes et un « Socialisme pour les Nuls », écrit à deux. Mais aussi et à plusieurs reprises, depuis 1956, soit dès l’expédition franco-britannique, à propos de celle-ci. Ce n’est qu’assez récemment (vers 2010) que ses écrits ou ouvrages sur cette malheureuse expédition sont adornés du qualificatif « secrets ». Une lecture attentive et un coup d’œil sur la précédente édition permet toutefois de comprendre qu’elle a été significativement enrichie…  

En huit chapitres, Denis Lefebvre rappelle tout d’abord la « préhistoire » du canal, celle de l’époque de sa construction. Puis vient une histoire plus récente, les personnages et l’histoire des « diplomates et des politiques » qui préparèrent « l’affaire » puis l’expédition militaire proprement dite. Sous le sceau du « secret » bien évidemment.

On rappellera aux lecteurs les plus jeunes qu’en ces temps lointains étaient au pouvoir, en France, la SFIO et Guy Mollet, promoteurs d’idées que l’on qualifierait aujourd’hui, après le Brexit, de « farfelues » : pour répondre au coup de force de Nasser, faire de la France un dominion, ou comme le préconisait Gaston Defferre, détourner le cours du Nil.

S’il y eut des « vaincus », ils le furent sur le plan local, à commencer par Nasser dans des conditions humiliantes, ainsi que la coalition franco-britannique qui malgré une courte mais brillante campagne dut plier devant les injonctions notamment des Russes et des Américains, qui ne souhaitaient pas que d’anciennes puissances coloniales reconstituent par les mêmes méthodes un nouvel « empire ». Il y eut des « vainqueurs », les Israéliens, tant sur le plan militaire que sur le plan politique. 

Mais plus généralement, ces « vaincus » ou « vainqueurs » sur le terrain ne le sont pas forcément sur le plan géopolitique : Nasser impose un nouvel ordre postcolonial, il fait la promotion d’un « Tiers-Monde » qui s’impose comme un acteur majeur des prochaines décennies, la France surtout et l’Angleterre à un moindre degré doivent  comprendre que le monde est en train de changer, dès cette même année 1956, la France adopte la « Loi cadre Defferre », qui prépare au moins pour l’Afrique Noire une proche autonomie et annonce par là-même les futures indépendances.

Plus précisément, l’ouvrage de Denis Lefebvre rappelle la collusion franco-israélienne qui prépare à la maîtrise d’une filière nucléaire par Tel-Aviv… Le tout, de façon synthétique mais sans oublier les nuances d’une chronique complexe.

Reste que « les secrets » n’en sont plus depuis longtemps mais il est bon de rappeler ce qu’ils furent dans cette chronique très vivante. En effet, l’ouvrage est richement illustré, sa bibliographie est abondante et bienvenue. On notera cependant qu’elle est pauvre en ce qui concerne la littérature anglo-saxonne sur le sujet et dans la référence à des colloques sur le sujet qui furent probablement assez nombreux. Mais plus dans les cadres anglo-saxons que dans le cadre français ?

Reste que ce pan d’histoire contemporaine (à peine soixante-cinq ans passés) est largement oublié du « public raisonnablement informé ». De ce point de vue, cette synthèse-chronique intelligente mérite la lecture.