Charles de Foucauld à Tamanrasset : un nouveau regard

Recension rédigée par Christian Lochon


Petit Frère de Jésus, arrivé à Tamanrasset en 1954 pour partager la vie des habitants du Hoggar durant 50 ans, l’auteur a écouté les Touaregs lui parler du « Marabout » (Charles de Foucauld), qui vécut à Tamanrasset de 1905 à 1916. Ce livre est le troisième qu’il lui consacre, mais sur la courte période de 1911 à 1914.

Le Père Charles veut rencontrer ces Touaregs que le désert isole du monde, mais, pour des raisons de sécurité, il attend le passage de missions militaires (p.17). Ainsi va-t-il à In Salah, puis à Beni Abbès et Alger en 1906 (p.19) ; en 1907 dans l’Adrar des Ifoghas (p.20). Il songe à s’installer dans la montagne de Asekroum. En 1909, il sollicite sa cousine pour l’aider à construire un ermitage de deux pièces, une chambre et une chapelle (p.26), que des ouvriers d’In Salah édifieront (p.30). En 1911, il s’y installe du 6 juillet au 14 décembre (p.38). Il y continue la rédaction de son lexique tamahaq, éparpillant sur son lit de camp des milliers de feuillets ; il procède également à des relevés quotidiens de températures, premières observations faites au Sahara à cette altitude (p.40). Il y reçoit des officiers et des touaregs locaux (p .41). Il avoue à ses correspondants : « J’ai peine à détacher mes yeux de cette vue admirable dont la beauté et l’impression d’infini rapprochent tant du Créateur » (p.47). En choisissant cet emplacement, il aura révélé au monde un lieu unique, un sommet de l’Algérie (p.53.), que le Pr. Ali Merad décrivait poétiquement comme « la lampe du moine chère aux poètes arabes, annonce joyeuse d’une fraternelle présence » (p55). Aujourd’hui, des frères accueillent ceux qui passent par ce sommet et visitent la maison.

En 1912, le P. Charles réside à Tamanrasset, se rendant au Fort Motylinski qu’il décrit (p.59) ou à d’autres endroits du Ahaggar à dos de chameau, totalisant 700 à 800 kilomètres (p.61). Il aura écrit durant l’année 368 lettres destinées à 124 correspondants (p.62). Il poursuit les travaux du lexique tout en se préoccupant de la situation économique de la région (p.64) où la sécheresse règne depuis 18 mois ; la population y souffre de la faim. Sa correspondance relate son sens de la justice sociale et du bien public (p.68). Il est très intéressé par la mission d’exploration du Transsaharien dont le tracé « est une nécessité absolue pour la conservation des deux parties Nord et Sud de notre Empire » (p.69). Il suit également les événements du Maroc et il se réjouit de la nomination de Lyautey, auquel il envoie ses voeux. Depuis son exploration menée en 1901, Charles est resté attaché au Maroc (p.71). Au sujet de l’Algérie, il regrette « combien peu nous connaissons nos populations algériennes… leur connaissance est une condition sine qua non pour les bien administrer » (p.75). A Laperrine, il adresse sa Note sur la réorganisation de l’annexe d’In Salah, qui montre « son sens de l’organisation militaro-administrative », comme le souligne André Bourgeot (p.80). Charles fait sienne la recommandation de Saint Augustin : « Vous aurez d’autant plus progressé dans la perfection que vous aurez plus recherché l’intérêt général que votre intérêt particulier » (p.81). Cette correspondance annonce une décolonisation brutale « dans 50 ans » et sa conception essentiellement dialectique de la colonisation (p.86). Ses voisins touaregs sont « de plus en plus confiants et affectueux » (p.88). Laperrine, en 1913, souligne « l’extraordinaire emprise que cet ancien officier de cavalerie exerçait sur tous ceux qui l’approchaient par les seules vertus du renoncement et de la pauvreté volontaire » (p.129). « C’est en aimant les hommes qu’on apprend à aimer Dieu » (p.96) pourrait être le résumé de son action à Tamanrasset.

Charles emmène durant son dernier voyage en France, de juin à septembre 1913, un jeune touareg Ouksem ag Chikât. A Marseille, ils descendent à la procure des Pères Blancs mais prennent leurs repas chez le duc de Fitz-James, compagnon militaire de Charles (p.11) auquel il avait décrit « les Touaregs, de race et langue berbères, de mœurs très proches des nôtres. Ils sont musulmans de foi et avec fort peu de pratique » (p.113). Au sujet d’éventuelles conversions, Charles avait précisé « Il n’y a pas encore de chrétiens parmi eux ; je ne désire pas qu’il y en ait avant quelques années. Il faut les mettre en confiance et en amitié » (p.114). Il regrette que sa conception de l’assimilation : « Faire qu’ils deviennent des frères égaux à nous » ne soit pas mise en pratique par le système colonial français (p.119). Charles emmène Ouksem à Toulon pour rencontrer sa famille. L’auteur s’interroge sur les motivations de cette invitation coûteuse qui évite de montrer les situations de pauvreté ou de misère (p.137). Plus tard, Ouksem sera blessé en combattant les Senoussis (p.140).

Dans son agenda, à la date du 1er décembre 1913, Charles note un long temps de prière de 3h30 à 6h avec une interruption à 5h pour le petit déjeuner. De 6h à 11h30, il poursuit la copie du lexique abrégé touareg-français et reçoit sept visiteurs locaux (p.156). Un temps de repos, de méditation, de restauration suit. De 12h30 à 18h, il reprend normalement son travail linguistique, puis rejoint le campement proche d’Ouksem Senior, chef des Dag Ghali. Pour l’auteur « c’est grâce à ces relations personnelles et familiales que Charles a pu devenir plus humainement fraternel » (p.161). A 18h, il prie dans sa chapelle jusqu’à 20h. Il se couchera sans tarder respectant les sept heures et demie de sommeil programmées. Le marabout rayonne ainsi d’une vie quotidienne exposée à tous les regards et tous les dangers. (p.175). En 1908, il était devenu le seul prêtre autorisé à dire la messe sans assistant, seul au milieu d’un peuple qui ne partage pas sa foi.

Une deuxième édition devrait introduire des cartes pour suivre les déplacements de Charles dans cette région deux fois plus grande que la France.

L’index des personnes et des toponymes (p.181 à 188) est bien utile.