Construire l'ethnologie en Afrique coloniale : politiques, collections et médiations africaines

Recension rédigée par Roland Pourtier


 Cet ouvrage, aboutissement d’un programme de recherche franco-allemand, « Anthropos », regroupe les textes de 13 chercheurs, ethnologues, historiens, muséologues, dont cinq travaillant dans des universités françaises, deux dans des universités allemandes et les 6 autres respectivement dans des universités suisse, portugaise, sénégalaise, burkinabé, états-unienne et brésilienne. Il s’agit donc d’un programme très international, centré sur un sujet précisément défini : la construction de l’ethnologie en Afrique coloniale. Les études de cas concernent exclusivement l’Afrique noire, et pour l’essentiel l’Afrique occidentale et centrale dans des pays majoritairement francophones. La comparaison entre l’ethnologie dans le domaine colonial français et dans les anciennes colonies allemandes apporte un surcroît d’intérêt à la réflexion.

            Les articles sont regroupés, en fonction de leur thématique, en quatre parties. La première, « ethnologie et colonialisme », consiste en une relecture de l’œuvre de grands voyageurs, pionniers de l’ethnologie africaniste : Heinrich Barth et les frères d’Abbadie qui en quelque sorte préparent la voie à l’entreprise impérialiste ; Richard Thurnwald, au début des années 1930, lequel s’intéresse aux changements induits par le contact colonial ; Léo Frobenius enfin, dont l’œuvre foisonnante consacrée au Congo belge et aux colonies françaises et anglaises d’Afrique remet en cause les fondements idéologiques de la colonisation.

            La deuxième partie, « images et collections africaines », s’intéresse aux conditions dans lesquelles se sont constituées les collections ethnographiques, tant dans des établissements publics que parmi les collectionneurs privés. Côté allemand, ces collections ont contribué à l’affirmation de l’identité politique des royaumes du sud de l’Allemagne, Bavière et Bade Wurtemberg : plus tard, les images de l’Afrique dans les revues familiales et les albums pour enfants contribuèrent à glorifier le Reich dans les années 1900-1918. La grande perméabilité entre les galeristes et les collectionneurs, l’ethnologie et le monde des arts est par ailleurs soulignée.

            La troisième partie, « médiateurs africains » est consacrée au rôle joué par les informateurs locaux dans l’élaboration du savoir ethnologique, la perception des ethnies notamment. Trois intellectuels d’exception sont mis à l’honneur, Henrique de Carvalho, ethnographe des Lunda, préoccupé par le dialogue entre Européens et Africains, Amadou Hampâté Bâ, passeur entre la tradition orale et la littérature, et Boubou Hama, longtemps Président de l’Assemblée nationale du Niger dont le parcours, depuis l’École normale supérieur William Ponty à Gorée et la carrière d’enseignant, jusqu’à la sphère politique au tournant des indépendances, est exemplaire de celui de nombreux intellectuels formés dans les institutions coloniales et qui accèderont aux premières loges avec les indépendances.

            La quatrième partie, « post-colonialisme et décolonisation des savoirs » ouvre le débat sur la critique des savoirs ethnologiques élaborés pendant la période coloniale. La question des ethnies est à nouveau visitée, de même que le rôle de l’IFAN et de Théodore Monod dans la transformation de l’Institut « français » en institut « fondamental » d’Afrique noire. Un dernier article enfin s’intéresse à l’ethnomusicologie et à la constitution d’archives sonores africaines, en rappelant l’importance des travaux d’Herbert Pepper.

            Au total, les questions abordées ne sont pas véritablement nouvelles, mais traitées sous un angle nouveau. Le regroupement d’études de cas diversifiées autour d’une perspective commune révèle tout l’intérêt d’une réflexion pluridisciplinaire sur la construction de l’ethnologie, sans tomber dans les travers à la mode de la déconstruction.