Léopold Sédar Senghor

Recension rédigée par Jean de La Guérivière


Quand on regarde, dans la bibliographie de cet ouvrage, les onze biographies déjà consacrées au premier président du Sénégal, plus les « témoignages », « colloques », « hommages » également recensés, on se dit qu’il fallait une sérieuse motivation à l’auteur pour se risquer à renouveler le genre. Sans doute, Jean-Pierre Langellier, couronné en 2017 par notre académie pour sa biographie de Mobutu, chez le même éditeur, était-il conforté dans son projet par le besoin de travailler sur un personnage plus attachant. Disons-le tout de suite, les 440 pages de ce livre montrent que le sujet Senghor n’était pas épuisé.

Cela commence par un petit rectificatif apporté aux dictionnaires. Non ! Senghor n’est pas né à Joal le 9 octobre 1906, mais à Djilor, modeste bourg rural situé à une vingtaine de kilomètres de la vieille cité océane, le 15 août de la même année 1906, comme en atteste un registre des baptêmes plus fiable que les registres de l’état civil de Gorée, commune dont dépendait administrativement Joal, où le père du baptisé le déclara avec retard à l’état-civil, lors d’un passage dans l’île. Langellier fait davantage confiance au « prêtre barbu et breton, le RP Jouan, qui versa l’eau bénite sur le front du bambin » qu’à la mémoire défaillante d’un « homme qui aura, avec cinq épouses, quarante et un enfants reconnus ». Ce rectificatif s’appuie sur un « entretien de l’auteur avec Djibi Diouf, guide et historien local, à Djilor, le 7 avril 2019 », comme le précise une des premières notes de bas de page dans son ouvrage toujours « sourcé » avec beaucoup de précision.

Langellier, ancien africaniste au Monde, est retourné au Sénégal pour écrire cette biographie. Il y a retrouvé l’esprit des lieux, cela se sent, et il y a rencontré quelques témoins de premier plan. Abdou Diouf, Moustapha Niasse, Abdoulaye Wade figurent parmi les dirigeants africains qu’il remercie de leur concours. Autres témoins interrogés : Jean-Claude Trichet, le futur gouverneur de la Banque de France, dont le père, Jean Trichet, condisciple de Senghor à Louis-le Grand, restait en relation avec lui ; Alain Pompidou, fils du Président de la République française qui fut le compagnon d’études et « l’ami affectueusement ironique » de son homologue sénégalais quand la célébrité et les honneurs risquaient de lui monter à la tête. 

Bien sûr, l’on retrouve dans ce livre, le parcours universitaire du premier agrégé d’Afrique, ses années d’enseignement en France, sa captivité en Allemagne pendant la guerre, ses débuts sur la scène politique française, quand, élu africain à l’Assemblée constituante de 1945, il prend une part active à l’élaboration de la première Loi fondamentale de la IVe République. « Sollicité pour améliorer la qualité stylistique du projet, écrit Langellier, voilà l’agrégé Senghor promu grammairien officiel de la Constitution. » Bien sûr, la vie de Senghor, c’est, retracé par une chronologie en annexe, le début de l’histoire du Sénégal indépendant, notamment le conflit entre le président de la République et Mamadou Dia, président du Conseil des ministres. « En politique, je ne suis pas si poète que vous le croyez », avait écrit Senghor à Janet G. Vaillant, une de ses biographes, citée par Langellier. Il s’agissait alors d’une réforme foncière. Il ne fut pas « poète », non plus, avec son rival Mamadou Dia, longtemps maintenu en détention après une condamnation contestable, au point que Langellier, sans indulgence quant à cet épisode, se demande si cette dureté ne lui coûta pas le Nobel de Littérature.

En dehors des étapes d’un destin personnel, le biographe s’est livré à une étude approfondie de la production littéraire de Senghor et de sa conception de la « négritude », contestée par d’autres Africains. Dans le rappel détaillé de la rivalité avec Houphouët-Boigny, il expose clairement deux visions opposées de l’Afrique indépendante :  celle « nationaliste » de l’Ivoirien ; celle, fédéraliste, du Sénégalais, dans la logique du mouvement de pensée qui l’avait fait lutter pour « une union des États confédérés de France et d’outre-mer » avant qu’on ne parlât d’indépendance pure et simple.

La vie sentimentale de Senghor, ses « fiançailles » avec la sœur de Claude Pompidou, ses deux mariages, sont évoqués avec discrétion mais précision. Tout comme ses relations avec ses fils ; Philippe-Maguilien, l’enfant de Colette, l’épouse française, tué dans un accident de voiture sur la route de l’aéroport de Dakar en 1981 ; Guy-Waly, suicidé à Paris en 1983 ; Francis Arfang, placé sous tutelle en raison de ses écarts, « aujourd’hui septuagénaire, dernier héritier direct du poète, depuis longtemps emmuré dans sa solitude ».

Quelques extraits de l’œuvre poétique illustrent parfois le propos du biographe ; nul n’est besoin d’être un admirateur éperdu de cette scansion africano-claudélienne pour trouver qu’ils ont parfaitement leur place au fil de ces pages.   


 Les recensions de l'Académie de Académie des sciences d'outre-mer sont mises à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Paternité - Pas d’Utilisation Commerciale - Pas de Modification 3.0 non transcrit.

Basé(e) sur une oeuvre à www.academieoutremer.fr.