Ici Saint-Pierre-et-Miquelon

Auteur Jean Lebrun
Editeur Bleu autour
Date 2021
Pages
Sujets France libre
Saint-Pierre-et-Miquelon

1900-1945
Cote In-12 2569 (MSS)
Recension rédigée par François Bellec


Ce petit livre rose dont le titre évoque le sujet principal : le ralliement de Saint-Pierre-et-Miquelon à la France libre, est aussi une histoire moderne de cette « colonie sans indigènes à coloniser » selon l’auteur, agrégé d’’histoire, journaliste de presse écrite et de radio, et auteur honoré d’un Goncourt de la biographie. Autant de qualités qui se révèlent dans cet ouvrage historique savoureux qui se lit comme un roman.

Une population de caractère trempé, comme son climat venteux, imprévisible sinon quant à la continuité de sa malveillance. Des insulaire de la mer, imprégnés du grand métier de la pêche à la morue en doris dans la brume, sur le trajet des paquebots. Au temps bien sûr où il y avait encore de la morue et des paquebots transatlantiques. Quand la morue ne revint pas, au début du siècle dernier, la prohibition instaurée aux États-Unis offrit dans les années 1920 une chance inespérée de reconversion à cette terre étrangère accrochée à Terre-Neuve aux atterrages de l’Amérique. Elle devint la plaque tournante d’un fabuleux trafic d’alcools, sous le regard transparent de ses fonctionnaires. Whisky canadien, cognac, rhum des Antilles convergeaient vers les entrepôts des bootleggers de Saint-Pierre, d’où ils étaient transportés en doris vers des criques discrètes ou des rendez-vous secrets en mer. Puis, fortunes faites ou dilapidées, l’abolition de la prohibition ramena le marasme des mauvaises campagnes de pêche et le chômage. Les Saint-Pierrais gardent la nostalgie des « années fioles. »  

Saint-Pierre, l’île-aux-Marins, Miquelon et sa sœur siamoise Langlade. De minuscules parcelles de France, qui ont constitué une grande partie de la France libre, parce que ce petit peuple non conformiste, indépendant d’esprit, aventureux et débrouillard avait appris au péril de la mer l’esprit de résistance. De l’autre côté de l’Atlantique, l’île de Sein a répondu aussitôt elle aussi à l’appel du général de Gaulle.  L’auteur fait revivre l’enchaînement des événements qui firent basculer Saint-Pierre dans la fronde au régime de Vichy, les tensions diplomatiques et les oppositions de légitimité qui ont reproduit, à l’échelle du microcosme de l’archipel, le grand chambardement moral, diplomatique et militaire de l’entrée dans la Seconde Guerre mondiale. L’émetteur radio de Saint-Pierre était un enjeu potentiel dans la lutte anti sous-marine à venir en Atlantique. La menace d’une intervention militaire canadienne imminente sur cette terre française pour le détruire mit en transe le général de Gaulle.

Luttant contre le blizzard, l’amiral Muselier arriva à Saint-Pierre la veille de Noël 1941, à la tête des Forces Navales Françaises Libres (FNFL) arborant le pavillon français à croix de Lorraine. Alors que l’attaque de Pearl Harbour faisait basculer dans le conflit toute la puissance américaine, la flotte d’affirmation de la souveraineté de la France outre-Atlantique se résumait à trois corvettes dont deux sans valeur militaire, et au croiseur sous-marin Surcouf, trop grand pour franchir les passes. Les bras-de-fer entre le général de Gaulle encore contestable, le maréchal Pétain, Churchill et Roosevelt, la disparité des forces et des enjeux en présence, l’ambiguïté des engagements et les conflits des intérêts, furent vécus à micro-échelle dans cette parcelle de France. L’amiral Museler, l’administrateur et le préfet apostolique jouèrent à Saint-Pierre et à Miquelon le drame français du déchirement des idéaux entre renoncement et reconquête, du choix entre la France libre aventureuse ou la tranquillité de Vichy. L’annonce d’un référendum fut placardée dans la nuit de Noël, convoqua pour le lendemain les hommes de plus de 18 ans. C’était déjà un signe de dissidence, l’archipel colonial n’ayant pas le droit d’élire ni député ni sénateur. Saint-Pierre et l’île-aux-Marins donnèrent une large majorité au ralliement à la France libre. Miquelon la sauvageonne s’abstint en majorité, mais le référendum avait légitimé le coup de force de l’amiral.

En janvier 1942, les réticences des fournisseurs nord-américains à ravitailler l’archipel français désargenté fit germer l’idée de vendre aux philatélistes des États-Unis - dont le président Roosevelt - des timbres déjà appréciés pour leur rareté, encore enrichis d’une surcharge de la France libre. Les philatélistes sont en effet friands de ces anomalies. Le commerce des timbres eut un tel succès, qu’il perdura. SP&M - comme on dit dans l’archipel - est aujourd’hui un grand émetteur de timbres de collection.

L’amiral Muselier - qui allait se brouiller avec le général de Gaulle - quitta Saint-Pierre le 13 février 1943, laissant l’archipel à la garde de son jeune administrateur. Alain Savary multiplia les enrôlements de volontaires féminines et d’hommes qui renforcèrent les équipages des FNFL. Quand en juin 1942, la corvette Mimosa fut torpillée au large de Terre-Neuve, disparaissant avec presque tout son équipage dont 17 Saint-Pierrais, Savary sollicita son incorporation dans une unité combattante et quitta Saint-Pierre au mois de janvier suivant. 

En matière d’épilogue :

Le 20 juillet 1967, le général de Galle est venu remercier l’archipel de la France libre, érigé en Territoire d’Outre-mer depuis la conférence de Brazzaville en 1944. Il a débarqué à Saint-Pierre du croiseur Colbert, couvert par l’extraterritorialité des navires de guerre. Attaché à la valeur des symboles, le général matérialisait ainsi la continuité territoriale de la France, en gagnant l’archipel sans transiter par un aéroport en terre étrangère. Après une mémorable journée dans l’enthousiasme, il reprit la mer vers Québec, pour une visite d’État au Canada.

Deux souvenirs personnels me relient accidentellement à ce livre témoin.

J’étais officier à bord de l’escorteur d’escadre Bouvet qui accompagnait le croiseur Colbert lors de la visite du général de Gaulle à Saint-Pierre en 1967. Après le débarquement du général à Québec, le Colbert est rentré en France, et nous avons remonté le Saint-Laurent jusqu’à Montréal, pour participer à la semaine de la France de son exposition universelle. Nous avons vécu en direct les effets du fameux « Vive le Québec libre ! » 

Je suis revenu à SP&M en 2011, en mission du ministère des Outre-mer, qui envoya les Peintres officiels de la Marine en reportage dans les DOM/TOM pour célébrer l’Année des Outre-mer. L’un de mes tableaux a été reproduit sur un timbre d’une des émissions philatéliques qui font la réputation de Saint-Pierre-et-Miquelon depuis la bonne idée de 1942.