Ahmed Boumendjel (1908-1982) : de la "conquête morale" coloniale à la reconquête de la souveraineté nationale : parcours politique et documents, syndicalisme étudiant, nationalisme fédéraliste et diplomatie de guerre

Recension rédigée par Christian Lochon


Les ouvrages de Monsieur Sellam, professeur à l'Institut Ghazali de la Grande Mosquée de Paris, sont consacrés à la situation de l'islam en France comme L'islam et les Musulmans de France, Paris Tougui 1987, préfacé par Jacques Berque. Il en reprendra d'ailleurs dans ce nouvel ouvrage des informations comme le retrait massif en 1948 des Maghrébins de la CGT lors de son soutien à l’État d'Israël. L'auteur a voulu écrire cette biographie parce qu’ « en raison du manque de liberté, les grandes figures du mouvement national disparaissent dans une indifférence presque totale … La presse algérienne leur consacrait de laconiques nécrologies rédigées conformément aux normes de l’historiquement correct du moment. » (p.8). Les Algériens sont donc privés des connaissances sur l’histoire contemporaine de leur pays. L'auteur nous laisse entrevoir combien il a rencontré de difficultés dans sa tentative d’approche de l’histoire de la guerre de libération (p.12). C'est pourquoi, il lui semble que la connaissance de l’histoire de l’Algérie contemporaine peut être améliorée par la multiplication des biographies des acteurs de cette guerre (p.19), qui nourriront la réflexion nécessaire à l’élaboration de la pensée politique dont une vraie démocratie a besoin » (p.498).

Ahmed Boumendjel est né en 1908 en Grande Kabylie, d'un père instituteur à Relizane (p.23-24). Ahmed devient instituteur comme son père en 1926 (p.33). Il va à Paris pour étudier le droit (p.45) tout en étant surveillant au collège parisien Sainte-Barbe (p.49) puis maître d’internat à Arcueil-Cachan (p.52). En Juillet 1936, il représente à Alger les Algériens de France au Congrès Musulman Algérien. La Charte politique du Congrès se prononce pour le rattachement de l’Algérie à la France, la représentation des musulmans au Parlement tout en conservant le statut personnel (p.56). En 1936, devenu avocat au barreau de Paris, il défend Messali Hadj, (p.59) malgré sa compétition avec F. Abbas qui marqua pour longtemps l’histoire du nationalisme algérien. En 1937, il épouse une enseignante parisienne. En 1938, il est élu Conseiller Municipal d’Alger (p.61). Il participe à la guerre de 1939-1945 et reçoit la médaille militaire (p.69). En 1946, Boumendjel se voit proposer d’entrer au Conseil d’État. Il refusa du fait de l’obligation de réserve qui lui aurait été imposée (p.211). En 1956, il est avocat de Ben Bella (p. 272). Ahmed est bouleversé par l’assassinat de son frère Ali le 23 mars 1957 (p.274) et, craignant son arrestation en France, il se rend à Tunis en juillet 1957 ; il y devient directeur des Services de presse du CCE (p.302). Il sera chargé des contacts avec le State Department américain. Devenu directeur politique au Ministère algérien de l’Information, il participe aux conférences de Tanger, Florence, Accra mais son Ministre Mohamed Yazid le considère comme « un adjoint-rival » (p.329). Il sera l'un des négociateurs d'Evian I et II.

Son ami Ferhat Abbas, qui se disait « kabyle et docteur en pharmacie », avait refusé de soutenir l’insurrection du 1er novembre 1954 et mettait en garde contre : « le Collège unique en Algérie qui amènera 80 à 90 députés algériens à l’Assemblée nationale devenant les arbitres. Et la France finirait par être islamisée » (p.235). En avril 1956, Abbas part au Caire. En août 1963, il devra démissionner de la présidence de l’Assemblée Constituante (p.7), devenant persona non grata du temps de Ben Bella et de Boumedienne, Il sera réhabilité par Chadli (p.8).  Abbas était assimilationniste tout en restant attaché à l’islam et à la langue arabe (p.65). Abbas, Boumedienne et Jean Amrouche jouèrent un rôle important dans la négociation franco-FLN (p.248). Les contacts de Gaulle-Abbas se faisaient aussi par l’intermédiaire de l’ambassadeur libyen à Paris Mostefa Ben Halim (p.337).

L'auteur souligne le respect du pluralisme de la République Algérienne, journal de l'UDMA, fondé par F. Abbas, « qui n’avait pas son équivalent ailleurs et n'en aura jamais plus par la suite » (p.168). Il cite dans ce cadre Ali El Hammami, avocat au Caire (m. en 1949), qui soutient le projet d’État algérien de l'UDMA tout en précisant que « le colonialisme n’est pas le seul responsable de nos maux… Il faut condamner une poignée de trublions dont le seul but est de se faire une petite réclame gratuite au nom d’un tas d’idéologies contradictoires en attendant le jour béni où ils pourront remplacer le colon pour faire suer les burnous » (R.A.17/12/1948).  Malek Bennabi (p.173), sans appartenir à l’UDMA, publie également dans la République Algérienne de 1948 à 1955 une centaine d’articles parfois sans accord de vue avec la rédaction, contestant les « boulitiques » : « Il y a bel et bien un problème culturel dans le monde arabe ». Bennabi aborda le difficile problème de l’émancipation de la femme algérienne (R.A.29 mai 1953).

De la situation en Algérie, M.Sellam rappelle que l’application de la loi de 1905 pour assurer l’indépendance du culte musulman promise depuis 1907 (p.195) sera refusée par l’administration (p.202). De ce fait, Augustin Berque, directeur des Affaires Musulmanes, admit dans la revue Méditerranée (s. d..) que « l’Ulémisme, nous le transformâmes en néo-wahhabisme. Du religieux qu’il était, le mouvement devint politique » (p.207). Pour Ben Badis « Les Français ont célébré le premier Centenaire de l’Algérie (en 1930) ; ils ne célébreront pas le second » (p.43). L'insurrection algérienne (p.423) du 11 décembre 1960 écourta le dernier voyage de de Gaulle en Algérie. Les nationalistes se divisèrent en Groupe de Tlemcen avec Ben Bella contre le Groupe de Tizi-Ouzou avec Boudiaf et Krim. Des affrontements sanglants eurent lieu entre l'armée des frontières et les wilayas 3 et 4 (p.487).

De la situation en France, M.Sellam retient qu'en 1949, un million de Nord Africains vit  en France ; Maurice Vaussard voit déjà (p.138) dans l’immigration incontrôlée des travailleurs nord-africains un péril national (Le Monde du 8 décembre 1948) tandis que Ferhat Abbas envisageait la création d’un Ministère de l’Immigration qui pourrait former les futurs cadres algériens. De Gaulle ne souhaitera pas que la 4e République règle la question algérienne (p.287). Revenu aux Affaires, il multiplie les contacts avec les Algériens dissidents de septembre 1958 à février 1960 (p.331). Il confiait à Marc Lauriol le 19 janvier 1960. « Les musulmans ne seront jamais français ; ils me font confiance parce qu’ils attendent de moi que je leur ramène Ferhat Abbas ». Le 15 décembre 1960, la résolution afro-asiatique sur le droit du peuple algérien à l’indépendance est adoptée à l'ONU (p.420). Les négociations entre le GPRA et la France dureront deux ans. M.Sellam pense que l'écrasement de l'A.L.N. n'avait jamais été le but du côté français. Ben Bella reçut de l’Élysée deux milliards de francs. Son arrivée au pouvoir fut appuyée par l’armée des frontières, l'ANP, la France et l’Égypte (p.486).

Parmi les 18 documents annexes (p.499 à 563), on consultera avec intérêt les activités diplomatiques de Boumendjel, les programmes politiques de l’UDMA et de Messali Hadj, la solidarité algérienne avec la Palestine, les contacts secrets entre personnalités algériennes, les conférences internationales de Tanger de 1958 et de Tunis de 1960, la question du rattachement du Sahara à l’Algérie, contesté par Hamza Boubakeur ainsi que la bibliographie (p.565 à 569).

On regrettera cependant les trop nombreuses erreurs typographiques, fautes d’orthographe, d’accord, les phrases interrompues (p.15, 31, 73 ,153, 164, 185, 186, 201, 204, 2 17, 223, 239, 259, 273, 334, 408, 428 etc...) surprenantes chez un éditeur de cette qualité.

Le texte donne l'impression de n'avoir pas été relu. D’autre part, si les notes de bas de page sont en général bien rédigées, une certaine confusion règne dans plusieurs chapitres et on ne distingue pas les citations du texte de l’auteur même.

Une réédition est nécessaire pour permettre d’apprécier la richesse de ces informations sur une période très peu connue, volontairement ignorée, des publics français et algérien.