Méhariste et diplomate : un parcours insolite

Recension rédigée par Christian Lochon


L’auteur de cette autobiographie décrit en dix étapes les pays où il a résidé d’abord comme officier méhariste puis comme diplomate.

L’Algérie « où je suis né a compté pour moi » (p.37). Il rappelle la guerre de libération parce que « les Algériens voulaient à tout prix leur indépendance » (p.37) et qu’ils n’avaient jamais accepté cette colonisation (p.38). Dans son précédent ouvrage Boutilimit, l’Harmattan 2015 (p.40), il évoquait cependant les paysans algériens réclamant des armes pour se défendre contre le FLN et la mise en place de 600 SAS en mai 1958 pour stabiliser la situation. Il admire le Général de Gaulle pour ses prises de position (p.33). Il le reçoit alors qu’il était en poste lors de sa visite d’inspection à Tindouf sur les confins algéro-mauritano-marocains (p.17).

Le premier poste diplomatique de l’auteur est celui d’Attaché militaire à Saint-Louis du Sénégal auprès de la nouvelle ambassade de France en Mauritanie (p.49). Il résume la biographie du Président Mokhtar Ould Dahdah (p.49 à 55) jusqu’au putsch militaire soutenu par l’Algérie, qui lui reprochait de ne pas avoir reconnu le Polisario.

Attaché de presse à l’ambassade de France à Ankara de novembre 1965 à décembre 1967 (p.57), il reprend des éléments de l’accord de commerce connu sous le nom de « Capitulations » (au sens latin  de « chapitres » d’un traité) entre François Ier et Soliman en 1536 , qui sera renouvelé sept fois et maintiendra une entente entre les deux États, permettant à la France de soutenir les chrétiens ottomans (p.66) notamment en créant à leur intention un réseau d’établissements scolaires francophones, encore présent aujourd’hui.

M. Laugel servira au Koweït à deux reprises comme Premier Secrétaire (en 1962) puis comme Ambassadeur vingt ans plus tard (p.69). L’auteur décrit ce petit État (18.000 km2), indépendant en 1961, où règne depuis 230 ans la famille tribale des Sabbah de manière démocratique bédouine, s’appuyant sur la « choura » formée des notables commerçants (p.77). La communauté iranienne dans l’émirat demeure loyale à l’État, participant au développement du pays (p.78).

De même, l’auteur servira au Soudan comme Premier Conseiller en 1971 puis comme Ambassadeur en 1989 (p.81). Parmi les personnalités rencontrées, il a été impressionné par Sadek Al Mahdi, petit-fils du Grand Mahdi qui fut Premier Ministre et souvent astreint à la résidence surveillée. M.Laugel, au cours de son deuxième séjour (p.85), le retrouve à nouveau Premier Ministre, toujours trop nuancé dans ses opinions mais éminemment sympathique. Une autre personnalité politique rencontrée fut Hassan Al Tourabi, beau-frère de Sadeq Al Mahdi, leader des Frères Musulmans dont « l’hypocrisie atteint de tels sommets qu’il est difficile de ne pas ressentir de l’admiration devant tant d’habileté » (p.57). Recevant le directeur de l’émission Thalassa, M. GeorgesPernoud, l’auteur le conduit à Suakin qui fut un des ports célèbres de la Mer Rouge conduisant les pèlerins à La Mecque. Les murs construits en blocs de corail avec des avancées de moucharabiehs, l’intérieur confortable de ces maisons de riches commerçants du Hijaz en faisaient une ville raffinée que Port-Soudan remplaça en 1922 (p.93).

En 1990, missionné pour deux mois à Zakho, Kurdistan irakien, pour aider les Kurdes irakiens réfugiés en Turquie à rentrer chez eux après l’interdiction à l’aviation irakienne de survoler la région, il est impressionné par les très beaux paysages de montagne (p.97) et les Pechmergas, miliciens kurdes (p.102) partisans de Massoud Barzani qui deviendra Président de la Région autonome du Kurdistan ou de Jalal Talabani, futur Président fédéral de l’Irak. Les Kurdes pratiquent l’islam sunnite sans ostentation (p.104). Aujourd’hui, le Kurdistan est la seule région de l’Irak pacifiée.

De 1974 à 1979, M.Laugel est Deuxième Conseiller à l’ambassade de France au Caire. Il décrit les émouvantes funérailles de la diva du monde arabe, Umm Kalthoum, née en 1889 en Basse Égypte ; sa maîtrise de la psalmodie coranique puis son interprétation dans sa jeunesse des chants religieux l’avaient fait devenir la grande dame de la chanson arabe, adulée par les monarques et le petit peuple. Citant des articles du grand journaliste Lutfi Al Kholi,consacrés  à la misère des petites gens, M.Laugel nous fait  connaître leurs conditions de vie poignantes en 1976. L’Université d’Al Azhar, déjà évoquée dans son Sur le vif (l’Harmattan 2008), il en rappelle l’histoire et le rôle que son Recteur actuel le Cheikh Ahmed El Tayeb a joué dans le dialogue interreligieux et la notion de citoyenneté dans le monde musulman (p.140). Une autre personnalité, évoquée plus haut au Soudan, est Sœur Emmanuelle qui, pendant vingt ans, dirigea dans le bidonville des chrétiens spécialisés dans le ramassage des détritus du Grand Caire, des écoles et un hôpital de qualité. Le Président Moubarak lui offrit la nationalité égyptienne en reconnaissance de ce travail mené dans des conditions d’inconfort et d’hygiène inimaginables (p.142).                                                                                                                                                                                     

En 1979, M.Laugel rejoint la Mission permanente de la France à New York où il est chargé des relations avec les délégations arabes de l’ONU. Il y fait la connaissance des représentants égyptien Ahmed Esmat Abdelmajid « vieux routier de la diplomatie » (p.155) et libanais Ghassan Tuéni, brillant diplomate rédacteur de plusieurs résolutions onusiennes.

71 pages (p.165 à 236) sont consacrées au Liban, où M. Laugel, nommé Premier Conseiller en 1983, avoue : « Au même titre que l’Algérie, le Liban aura beaucoup compté pour moi ». Dans ce pays de sa deuxième épouse, il choisira de résider à partir de 1997 pour sa retraite. Il aime ce pays « démocratique qui n’a jamais connu de dictature » (p.169). L’histoire du Liban, rappelée au lecteur, fait mieux comprendre que les locaux de l’ambassade de France durant la guerre civile (1975-1990) avaient été implantés en zones musulmane (Beyrouth Ouest) et chrétienne (Beyrouth-Est), créant de grandes difficultés de communication au personnel diplomatique (p.188). Les personnalités libanaises maronites, Pierre Gemayel décédé en 1984, ses fils Bechir puis Amine, sunnite Salim Hoss, chiite Nabih Berri, druze Walid Joumblatt, montrent la complexité de la vie politique du pays du Cèdre. Les enlèvements, décidés par l’Iran et confiés à des séides libanais, des diplomates français Marcel Carton, Marcel Fontaine, du chercheur Michel Seurat qui mourra faute de soins, du journaliste M.Kaufmann, imposent à M.Laugel de nombreuses démarches auprès de responsables religieux comme Cheikh Fadlallah ou politiques, sans succès malheureusement (p.217).

Sa mission d’ambassadeur à Sanaa, où il résida cinq ans avait été évoquée dans Arabie heureuse, (l’Harmattan, 2007). En 1992, la réunification des deux Yémen paraît fragile, écartelé entre deux leaders ennemis (p.240), le prétendu communiste Ali Salem El Bidh d’une famille de sayids, descendants du Prophète, rapidement assassiné et de Ali Abdallah Saleh, le tribaliste issu du rang et qui tiendra comme Chef d’État en sursis jusqu’en 2017 lorsqu’il sera assassiné par ses alliés occasionnels, les Houthis (p 299).  Le 18 octobre 1993, le Président Mitterand, de retour de l’Ile Maurice, fait une visite officielle au Yémen (p.246). Le Président Saleh lui facilitera la visite de Thoula, haut lieu touristique du pays et lui offrira un déjeuner exceptionnel. Mais la guerre civile va se déclencher avec le bombardement de Sanaa, forçant la communauté française à fuir vers Aden où 1813 étrangers dont 204 Français seront évacués en bon ordre vers Djibouti. A Aden, en 1994, sera inaugurée la Maison Rimbaud rappelant le séjour du poète dans cette ville où il dirigeait un atelier de confection de café (p.291).

Pendant 48 ans de services militaire et civil, l’auteur estime qu’il a eu la chance d’exercer son métier « d’apprenti-sorcier, appliquant l’adage appris des Reguibat de Tindouf « la connaissance des hommes est un trésor » (p.197) ; il faut lui reconnaître une grande empathie pour ses interlocuteurs et les portraits qu’il en trace sont particulièrement bien dessinés.