Tshombé à Alger : une certaine histoire de la décolonisation africaine

Recension rédigée par Raoul Delcorde


C’est un ouvrage très consistant que nous livre ici Florent Sené, original à plus d’un égard. Ainsi que l’indique l’auteur dans son avant-propos, il ne s’agit pas d’une biographie de Moïse Tshombé. L’ouvrage se concentre sur le rapt et l’emprisonnement du leader katangais à Alger. Et une des trames de ce livre consiste à développer l’analogie entre le Congo et l’Algérie, au moment de leur indépendance respective.

Pour citer l’auteur (p.108) : “ Avant son indépendance, on craignait que le Congo belge ne devienne une autre Algérie, c’est-à-dire un conflit colonial impitoyable et interminable. Après, le raisonnement contraire s’impose : l’Algérie, un second Congo, c’est à dire un pays “ congolisé ? ” Florent Sené ajoute que de Gaulle suivait de près la sécession congolaise. “ Pour éviter que la province minière ne tombe dans les bras de Britanniques, il va soutenir très discrètement Tshombé ”.

Plus de 400 pages plus loin, Sené résume ainsi la mort de Tshombé et la fin du tshombisme : “ Beaucoup de personnes sont soulagées par le décès du Katangais : Mobutu, Boumediene, les Américains, des Belges… Avec Tshombe disparaît un grand africain dont l’action traverse toute une décennie, de son invention (sic) en 1960 comme adversaire des Nations Unies à sa mort obscure dans une prison arabe dix ans plus tard. Mais pour certains Africains et pour la gauche occidentale, fidèles à une analyse simpliste, Tshombé reste le “ white man’s black man ” qui protégeait les intérêts capitalistes au Katanga avec ses mercenaires blancs ”.

Condamné à mort par contumace pour haute trahison le 13 mars 1967, son arrestation est une aubaine pour Mobutu. A partir du 2 juillet 1967, le Congo-Kinshasa demande à trois reprises l’extradition du captif auprès du gouvernement algérien. Boumediene pose des conditions inacceptables pour Kinshasa.

Lorsque l’affaire Tshombé démarre alors qu’il croupit en prison, sa famille sollicite d’abord l’avocat Vergès, inscrit au barreau d’Alger, pour empêcher son extradition demandée par Mobutu. Le procès de Tshombé a lieu le 14 juillet 1967 à Alger. Il se passe à huis clos devant la Cour suprême de justice. Le 21 juillet, les magistrats algériens prononcent l’acquittement mais acceptent l’extradition du leader katangais vers Kinshasa. Boumediene, de qui dépend le sort de Tshombé, est embarrassé par ce prisonnier indésirable et gênant. Il refuse de signer le décret. Il ordonne sa remise en prison dans un autre lieu carcéral dans des meilleures conditions.

En ne donnant pas suite à l'avis de la Cour suprême d'Alger, favorable à l'extradition de l'ancien premier ministre congolais au Congo-Kinshasa, le président Boumediene s'était rendu, semble-t-il, à deux arguments principaux. Le premier relève du droit international : il était difficile à l'Algérie d'extrader quelqu'un qui ne s'était pas rendu de plein gré sur son territoire, la demande d'extradition ayant par surcroît un caractère politique. Le second argument est que l'enlèvement de l'ancien premier ministre congolais par le Français Francis Bodenan aurait été organisé par des agents de la C.I.A.

Après le procès, le clan Tshombé est persuadé que l’ancien dirigeant katangais ne sortira pas vivant de sa prison. D’où l’idée de le faire évader. Lorsque Tshombé meurt dans la nuit du 29 juin 1969, une "autopsie officielle" est aussitôt demandée par les autorités algériennes pour déterminer la nature et la cause de sa mort. On conclut à une insuffisance cardiaque.

Ce livre fait défiler un nombre impressionnant d’individus mêlés de près ou de loin tant à la sécession du Katanga qu’à la victoire du FLN en Algérie. On en a presque le tournis, d’autant que l’on passe de Vergès à tel mercenaire ou tel barbouze, ou de Che Guevara (qui passa quelques mois dans le maquis congolais, au Sud Kivu, en 1965, en appui de la rébellion de Laurent-Désiré Kabila) à tel agent double ou triple dans l’entourage de Tshombé…

L’auteur a manifestement consulté de nombreuses sources, sans qu’il soit toujours aisé de s’assurer de la fiabilité des sources utilisées.

Le style de Florent Sené est parfois un peu trop cursif. Hormis ce bémol, c’est un ouvrage qui brasse une abondante et riche information.