Le Corps diplomatique et consulaire français aux États-Unis (1815-1904)

Recension rédigée par Jean-François Valette


L’ouvrage, de nature universitaire, se présente comme une approche « micro analytique » des relations franco-américaines sur une période inhabituelle (1815-1904), afin d’échapper aux bornes chronologiques trop réductrices.

La période choisie est en effet d’autant plus intéressante que, mal connue du public français, elle apporte un éclairage inédit sur les grands enjeux internationaux de l’époque et sur les changements progressifs, mais radicaux, des objectifs de la France qui, d’abord concentrée sur l’endiguement d’un impérialisme américain qui profite sans scrupule de la décomposition des colonies espagnoles, se fixe à la fin de la période étudiée, comme but principal de se faire un allié des États-Unis dans la perspective d’un nouveau conflit avec l’Allemagne.

Même si ce changement est principalement la conséquence de l’Entente cordiale franco-britannique de 1904, l’ouvrage montre que certains diplomates français, comme Jules Cambon et Jules Jusserand, qui dirigèrent l’ambassade à Washington respectivement de 1897 à 1902 et de 1902 à 1924, contribuèrent, avant tout par leur capacité à influencer les élites américaines et les présidents eux-mêmes, à s’assurer une bienveillance qui se transformera en un soutien actif en 1917.

Mais les autres épisodes de cette relation n’en sont pas moins significatifs, dans la mesure où ils illustrent bien des incompréhensions transatlantiques qui se manifestent encore aujourd’hui.

Tout d’abord le ressentiment français à l’égard de ce qui est perçu comme une ingratitude américaine, dès la fin de la guerre d’indépendance, qui est conclue, contre les dispositions du traité franco-américain de 1778, par une paix séparée avec le Royaume-Uni. Ensuite, la neutralité américaine annoncée en 1792, en dépit de la transformation de la monarchie en république à priori proche des idéaux américains, enfin le traité de commerce entre les États-Unis et le Royaume-Uni de 1794.

Ces incompréhensions vont se prolonger après la Restauration en France, avec le refus par les États-Unis d’un traité de commerce : leur but étant de protéger par des tarifs élevés leur industrie naissante. Les tensions qui s’ensuivent seront largement apaisées par le Ministre (à une époque où l’ambassade n’existait pas encore) Hyde de Neuville qui négocia une convention de navigation signée en 1822 et qui fut choisi comme médiateur dans le conflit sur les Florides entre les États-Unis et l’Espagne, preuve de la confiance que lui témoignaient les autorités américaines. Ce personnage, dont la famille était écossaise, grand ami de Chateaubriand, était également un esprit perspicace qui se rendit vite compte des menaces que l’esclavage faisait peser sur l’unité américaine.

Les dépêches de la représentation française à Washington sont pendant un temps focalisées sur le comportement des bonapartistes qui se sont exilés aux États-Unis. Là-aussi, Hyde de Neuville, malgré son attachement à la monarchie, sait faire preuve de réalisme et d’humanité en jugeant que ces Français exilés sont susceptibles d’aider au rayonnement de la France ou de revenir au pays et que les diplomates ne doivent pas trop les tenir à distance.

Une autre priorité vient rapidement s’imposer à ces derniers : le maintien de l’influence française en Amérique du Nord, notamment aux Antilles. Saint-Domingue est à cet égard emblématique, puisque la partie occidentale de cette île, qui était le premier producteur mondial de sucre avant la révolution française, devient indépendante en 1825 sous le nom d’Haïti, suivant en cela l’exemple de certaines colonies espagnoles (Mexique et Pérou en 1821). C’est de cette époque (1823) que date la « doctrine de Monroe » qui énonce l’opposition des États-Unis à toute ingérence des États européens dans l’espace américain. Cette attitude agressive enlève encore des marges de manœuvre à la France, très proche de l’Espagne de Ferdinand VII qu’elle a rétabli sur son trône en 1823. Malgré des efforts pour maintenir une influence française en Louisiane, les diplomates français qui poursuivent pendant un certain temps le mythe d’une alliance latine contre le monde anglo-saxon, doivent bien constater l’inexorable montée en puissance des États-Unis (annexion des Florides, du Nouveau Mexique, de la Californie et du Texas).

Pour ce dernier, pris au Mexique indépendant en 1845, une solide alliance (nouée avec Louis-Philippe et prolongée avec Napoléon III) entre la France et le Royaume-Uni, pouvait laisser espérer la création d’un État-tampon indépendant, ce que Washington paraissait au début accepter, mais que les hésitations du gouvernement mexicain ont rendu impossible. Toutefois, c’est aussi la crainte du gouvernement français d’un conflit avec les États-Unis, un moment envisagé par le Royaume-Uni afin de protéger le Canada, qui fait reculer Paris. Peu à peu, la France prend donc conscience de l’impossibilité pratique d’entrer dans une logique d’endiguement avec le partenaire américain qui repousse sans cesse ses frontières, faisant craindre une annexion de Cuba et même du Mexique.

C’est sur ce pays que porteront les ultimes efforts français entre 1863 et 1867 pour tenter d’imposer un prince européen (Maximilien de Habsbourg-Lorraine) comme empereur du Mexique afin de maintenir une influence européenne en Amérique du Nord. L’échec de cette tentative est essentiellement dû à l’attitude négative des États-Unis qui, sans s’engager militairement (ils sortent de la guerre de Sécession), encouragent leurs ressortissants à « conseiller » l’armée de Juarez.

La guerre de Sécession (1860-1865) constitue précisément un long développement de l’ouvrage, l’auteur montrant toutes les initiatives qui sont prises par des consuls qui doivent trouver des solutions pour protéger la communauté française, mettant souvent leurs collègues à Washington en porte-à-faux. Malgré en effet le refus de Napoléon III de reconnaître la Confédération, celle-ci fait l’objet d’une certaine complaisance politique. C’est en particulier le cas pour les consuls qui viennent de Saint-Domingue. Toutefois, le personnel diplomatique dans son ensemble attire l’attention sur le fait qu’une victoire du Sud ne ferait qu’accentuer la volonté conquérante des Américains en mettant la main sur les îles environnantes, notamment les Antilles.

La description détaillée des efforts des diplomates de tous niveaux pour protéger les intérêts français dans les circonstances les plus difficiles est particulièrement intéressante. Elle montre tout d’abord la difficulté de leur tâche, que ce soit du fait des troubles politico-militaires, ou de la situation sanitaires (fièvre jaune). Mais aussi la nécessité d’employer des méthodes extrêmement fermes face à l’agressivité américaine qui n’hésite pas à espionner voire à emprisonner des diplomates (qu’ils soient anglais, français ou espagnols) dont ils contestent sans cesse les immunités, notion selon eux non démocratique et issue de l’ancien monde européen.

On reconnaît déjà une certaine marque de fabrique de la diplomatie américaine qui s’exprime aujourd’hui dans la « justice » extraterritoriale.

L’ouvrage est complété d’une très utile biographie détaillée des diplomates concernés.

Il doit être recommandé à tous ceux qui s’intéressent aux États-Unis et notamment à la relation franco-américaine.