Atlas historique de la France

Recension rédigée par Roland Pourtier


Les amateurs de cartes pourront se réjouir, l’Atlas historique de la France leur offre 375 cartes enrichies de graphiques et tableaux, balayant vingt siècles d’histoire de la France, de la préhistoire, brièvement évoquée jusqu’à nos jours. Publié dans la foulée de l’Atlas historique mondial paru en 2019, il en reprend la formule éditoriale en puisant dans le fonds cartographique de la revue l’Histoire. Christian Grataloup, spécialiste reconnu de géohistoire apporte, dans les deux éditions, sa caution scientifique (ajoutée à celle de Patrick Boucheron pour l’Atlas mondial) à une entreprise qui a mobilisé de nombreux historiens, géographes et cartographes. Continuité de l’initiative de l’Histoire, ce second atlas reproduit une trentaine de cartes déjà publiées dans le premier. Il est vrai que l’histoire de France et celle du monde s’entrecroisent depuis longtemps. Les concepteurs de l’ouvrage revendiquent avec raison une histoire qui ne s’arrête pas aux frontières, progressivement construites au cours des siècles, mais intègre, d’une part, l’inscription de la France dans une Europe aux contours sans cesse mouvants ; d’autre part, l’aventure outre-mer qui la projeta loin de son territoire d’origine, depuis l’empire colonial jusqu’à l’influence de la francophonie. On reconnaît là la philosophie de l’histoire qui est celle de Patrick Boucheron, illustrée par une Histoire mondiale de la France qui prend ses distances vis-à-vis du « roman national » classique.

Concilier une présentation linéaire de l’histoire et des ouvertures thématiques transversales, articuler une approche à l’échelle d’une « nation » en devenir confrontée aux échelles locales (un champ de bataille, une ville) et mondiale (l’expansion coloniale) n’est pas chose aisée. C’est le défi de cet atlas, défi relevé avec succès, même si l’exercice trouve ses limites dans ses propres ambitions, ce dont témoigne le déséquilibre dans l’organisation de ses trois parties.

Une première partie, « Tableaux de l’histoire de la France », réduite à 13 pages, évoque Cassini et, inévitablement Vidal de la Blache. Quatre pages de figures héroïques, de Vercingétorix à De Gaulle, posent les habituels jalons de deux mille ans d’histoire, dans le style désormais prisé de la bande dessinée. Le Tour de la France par deux enfants est sans doute intéressant mais qui s’en soucie encore ? N’eût-il pas été préférable d’invoquer Braudel et son « Identité de la France », ouvrage curieusement ignoré ?  Bref, l’entrée en matière est un peu légère, après une courte introduction annonçant « le choix d’une narration cartographique continue », d’une « mise en scène » de ce qui deviendra la nation, au sens moderne du terme, avec la Révolution.

Après ce préambule vient le plat de résistance, à dire vrai l’essentiel de l’Atlas, 214 pages. C’est le récit chronologique, fondement de toute histoire, croisé avec des espaces d’extension variable, du familistère de Guise au planisphère, en fonction de l’idée portée par chaque illustration cartographique. La riche cartothèque de l’Histoire a été mise à contribution pour illustrer la genèse continue du territoire français, de l’État et de la nation, en résonnance avec les transformations de l’Europe depuis l’empire romain jusqu’à la construction européenne et au brexit. L’ouvrage est dense ; mieux vaut avoir une culture historique de bon niveau, sinon encyclopédique, pour tirer pleinement parti, par exemple, de la succession des traités qui configurèrent la France, de la comparaison des batailles de Trafalgar et d’Austerlitz en 1805, du débarquement de Normandie en 1944, ou des transformations sociales illustrées par les révoltes populaires, l’immigration, les manifestations de mai 1968 ou le déclin du christianisme. Plusieurs lectures sont ainsi possibles en fonction des niveaux de connaissance plus ou moins approfondis, que chaque planche, qu’on jugera parfois elliptique, met à l’épreuve.

La place accordée à l’outre-mer et à la « plus grande France » mérite d’être soulignée : grandes découvertes des XVe-XVIe siècles et première mondialisation, trafic triangulaire et traite esclavagiste, explorations et colonisation du XIXe siècle, conquête de l’Algérie, décolonisation, sans oublier le rayonnement de « la France mondiale » sur quoi s’achève le corpus central de l’Atlas.

La troisième partie, « Les usages du passé », ajoute au récit chronologique un appendice dédié aux héritages patrimoniaux. Ses trente pages soulèvent, sans en faire explicitement mention, la question délicate des rapports entre histoire et mémoire. Mais ce rajout tient un peu de l’inventaire à la Prévert. Il associe les chantiers de l’Inrap, témoignage de l’intérêt pour  l’archéologie, les sites de tourisme historique, les lieux de célébration de Napoléon, des deux guerres mondiales, de l’esclavage, et ceux des écrivains et des peintres, les mémoires ouvrières, les appellations contrôlées viticoles et fromagères, signatures de la France, et, en clôture de ce chapitre, les parcs nationaux, comme pour sacrifier aux préoccupations écologiques du moment par l’évocation de la protection de la nature. Enfin, de manière inattendue, l’ouvrage s’achève sur six tableaux des constitutions de la France, de 1791 à 1958. Il est vrai que l’instruction civique va de pair avec l’enseignement de l’histoire-géographie.

L’Atlas historique de la France constitue une somme remarquable qui sera d’une grande utilité. L’information est précise et il faut être particulièrement attentif pour repérer une coquille, par exemple (p. 155). René Caillé part de Boké non pas en 1866 mais en 1826. L’Atlas est désormais un ouvrage de référence pour la connaissance du passé et la compréhension d’un présent inquiet des séparatismes et qui interroge, comme à d’autres périodes de l’histoire, sur ce qu’est la France. Enfin, cerise sur le gâteau, toutes les cartes issues du fonds de l’Histoire sont indexées et accessibles gratuitement en version numérique, ce qui devrait être particulièrement apprécié par les enseignants.