Le banc de la victoire

Auteur François Momal
Editeur Maurice Nadeau
Date 2020
Pages 134
Sujets Concierges
Égypte

Roman
Cote 63.402
Recension rédigée par Christian Lochon


L’auteur, dont le père, diplomate, est un des grands connaisseurs des mondes arabe et persan, a vécu jeune au Caire de 1972 à 1975 et connu les péripéties de la guerre israélo-arabe de 1973. Cet ouvrage que M. Momal qualifie entre parenthèses de « roman » se concentre sur la vie quotidienne d’un immeuble cairote, où le gardien nubien, se repose, dans ses rares moments d’inaction, sur un banc installé devant le portail ; de là, il assure le contrôle des entrées et sorties des différents propriétaires ou locataires et de leurs visiteurs. C’est, de ce fait, un auxiliaire très précieux des services de la police et des renseignements généraux (« mukhabarat ») omniprésents dans ce pays.

Cet ouvrage rappellera aux cinéphiles le film égyptien L’Immeuble Yacoubian tiré du roman à succès de l’écrivain Alaa Al Aswany, né en 1957, dans lequel on découvrait la vie quotidienne apparente et cachée de tous les résidents de l’immeuble.

Le banc de la victoire par allusion à la traversée inattendue du Canal de Suez par l’armée égyptienne qui permettra en octobre 1973 à l’Égypte de récupérer la rive orientale du Canal (p.133), est l’endroit où le « bawwab » (concierge) Tarek passe ses moments de détente avec son collègue Mounès d’un immeuble voisin. Ils y contemplent « le fleuve nourricier, gigantesque égoût » (p.27) en croquant les « pépins trompe-la-faim quotidien » (p.35). Ils sont pauvres puisque tenus d’envoyer leur modeste salaire à leur famille restée en Haute Égypte. L’iftar ou repas à l’issue d’un jeûne quotidien exténuant durant le mois de Ramadan, qu’il partage aussi avec Mounès, n’est constitué que d’un modeste plat de fèves (p.22).

Pour tous dans l’immeuble, Tarek est la référence incontournable, le prince des lieux, le pivot, le garant de l’ordre des lieux (p.21), d’autant plus qu’il a été scolarisé et est en mesure de lire quotidiennement le journal (p.18) dans lequel il a appris beaucoup de choses (p.32). Il a même acheté et lu L’Étranger de Camus « qui a agi sur lui comme un coup de poing » (p.33) ; il veut le faire lire à son neveu Karim, afin de le dissuader d’être sensible aux prêches des Frères Musulmans (p.99).

Tarek est amené à rendre à tous les habitants de l’immeuble des services honorables et, pour son malheur, parfois inavouables. Le commissaire de police du quartier l’oblige à lui faire des rapports sur un officier copte qu’il soupçonne (p. 26). Il sera battu pour ne pas avoir trouvé de faits compromettants. Les Coptes qui font preuve d’un nationalisme et d’un loyalisme irréprochables sont pourtant soupçonnés malgré leur solidarité avec leurs compatriotes musulmans et leur fierté du combat du Sinaï (p.133). Chaque matin, une myriade de petites charrettes assure le ramassage des ordures ménagères, conduites par des éboueurs coptes (p.17).

Autre épreuve pour Tarek lorsque le riche M. Khattab, dont la famille est allée estiver en Alexandrie, demande à Tarek de lui faire rencontrer une jeune femme aux charmes tarifés (p.78). C’est son ami Mounes qui le tirera de son embarras.

Tarek lui-même, condamné au célibat, souhaite aussi profiter des occasions que Le Caire, cette grande ville de perdition du monde arabe, offre aux nantis. Ne l’étant pas, il vit une aventure dérisoire près des pyramides de Guizeh (p.52).

Les Cairotes sont décrits comme gais, fantaisistes, loufoques, rieurs malgré de dures conditions de vie (p.15), se moquant d’eux-mêmes et du Raïs (alors le Président Sadate). Ils se moquent aussi à l’époque des Russes, dont les femmes sont si mal habillées (p.65).  Mounes se demande quelle idée Nasser a eue d’aller les chercher.

Tous ceux qui connaissent Le Caire ont eu une expérience avec le « khamsin » (50 en arabe parce que ce vent souffle à la puissance 50) : « Un ciel qui, de bleu clair, vire rapidement à l’orange ; une visibilité réduite à 10 mètres, une ville pétrifiée sous un voile dense et chaud, du sable qui s’infiltre partout. Soudain, Le Caire devient une ville morte (p.15). La cité orgueilleuse n’est plus qu’une aveugle qui tâtonne dans une nuit de sable ». Description parfaitement exacte !

Le peuple égyptien sortira-t-il un jour de sa misère ? On peut en douter, affirme l’auteur (p.134). Il semble en effet que la situation, un demi-siècle plus tard, n’ait pas beaucoup changé pour les classes déshéritées alors que la population a doublé.

M.Momal a eu raison d’évoquer cette époque, qui a permis à l’Égypte de retrouver sa fierté après tant de batailles perdues. Beaucoup de Français connaissent ce pays en touristes mais ce livre de souvenirs dévoile au lecteur un peu de l’âme de son peuple attachant.