Les sociétés matriarcales : recherches sur les cultures autochtones à travers le monde

Recension rédigée par Jean Nemo


L’auteure a, semble-t-il, une bibliographie accessible en français limitée à ce seul ouvrage, traduction en français (2019) d’un ouvrage paru en anglais en 2012 et en 2010 en allemand. Lequel ouvrage comprend près de 600 pages, son appareil critique est de bonne qualité. D’après son cursus brièvement résumé sur le rabat de couverture, elle est docteure en philosophie des sciences, elle l’a enseignée pendant dix ans à Munich, elle a consacré l’essentiel de ses activités à la recherche sur le matriarcat, la bibliographie en fin de l’ouvrage signale à son actif plus d’une trentaine d’autres ouvrages ou monographies plus ou moins anthropologiques. Tous consacrés aux diverses formes de matriarcat de par le monde.

Le même rabat de couverture signale que Heide Goettner-Abendroth « a fondé en Allemagne l’Académie internationale HAGIA pour les Recherches matrimoniales modernes… ». Mais l’ouvrage sous revue semble dépasser le stade des monographies, d’où une possible raison de sa traduction en français par un éditeur ou plutôt éditrice « des femmes – Antoinette Fouque ».

Sur l’une des toutes premières pages, l’auteure écrit, sous forme de dédicace : « Ce livre est avant tout dédié aux peuples matriarcaux dont j’ai eu le privilège de recevoir l’enseignement. Sans leur sagesse, il n’aurait pu aboutir…Et il est dédié à tous les peuples qui se conforment encore à certaines façons d’être matriarcales - il en existe d’innombrables exemples de par le monde ».

Un abondant glossaire en fin d’ouvrage définit, selon les termes retenus, différentes façons d’être … du matriarcat.

Dix-sept des dix-huit chapitres de l’ouvrage pourraient être considérés comme autant de monographies anthropologiques, toutes fort intéressantes. Lorsque le lecteur a eu l’occasion de fréquenter, d’au moins visiter les ethnies concernées, par exemple dans le cas du rédacteur de la présente note de lecture, les touareg, il appréciera la justesse des analyses. A travers ces chapitres, le lecteur visitera le nord-est de l’Inde, le Népal, la Mélanésie…du moins certaines de leurs régions et autres lieux reculés.

Si cet ouvrage est remarquable, ces monographies en témoignent mais restent…des monographies. Il est remarquable pour d’autres raisons, l’introduction et le premier chapitre vont plus ou moins à l’encontre des idées reçues : pour simplifier, la thèse peut se résumer, schématiquement, ainsi : le matriarcat n’est pas un patriarcat inversé, il est l’état naturel des sociétés. Le patriarcat dans ses formes les plus « autoritaires » n’est apparu qu’il y a quelques milliers d’années.

Donc, ici pas de revendications féministes comme beaucoup se manifestent de nos jours, qui sauf exception, se fondent sur la revendication de l’égalité des deux sexes. Mais une approche radicalement différente, objet de l’introduction de l’auteure et de son premier chapitre, lequel retrace les étapes, selon différentes approches (philosophie marxiste, religion, anthropologie…) qui ont fondé et fondent encore diverses formes de patriarcat.

Dans son introduction, l’auteure affirme « le paradigme matriarcal », lequel va bien au-delà « de tous les féminismes occidentaux », qui seraient une sorte de décolonisation des femmes. Observation « en passant », ne disait-on pas dans les années 1960-1975 que la décolonisation des peuples lointains étant achevée, il restait encore 50 % de la population mondiale à « décoloniser » ?

Toujours dans son introduction, l’auteure affirme que son approche du matriarcat « n’est pas une théorie universelle parce qu’elle n’est pas un système clos… ». D’où le concept de paradigme qu’elle soutient comme signifiant « non clos » : « le paradigme du matriarcat est d’une immense envergure. Il englobe non seulement toute l’histoire connue mais aussi - en particulier avec sa critique de l’idéologie patriarcale - les diverses formes des sociétés actuelles, et il concerne également le contenu de toutes les sciences sociales et culturelles ». Doit-on préciser que les approches de Heide Goettner-Abendroth ont donné lieu à une réception pour le moins mitigée dans les milieux disciplinaires de l’anthropologie, parfois enthousiaste, plus souvent critique. Certains ont même utilisé une formule, « La mauvaise foi militante de Heide Goettner-Abendroth ». 

On doit se demander, face à ce « paradigme » fort ouvert, si le titre (en anglais comme en français) n’est pas réducteur : « recherches sur les cultures autochtones à travers le monde ». Faudrait-il en conclure que seules des ethnies ou cultures « autochtones » mériteraient le détour où qu’elles se sont réfugiées dans des sociétés à l’écart d’un monde aujourd’hui globalisé ? 

Pour être clair, l’ouvrage de Heide Goettner-Abendroth est militant, comme tel discutable. L’état naturel de l’espèce humaine n’est pas forcément un matriarcat authentique, soit un « paradigme » non clos selon lequel la femme serait facteur de l’équilibre des sociétés et non pas un renversement de domination. Cependant, cette thèse ou hypothèse mérite la considération et les dix-sept monographies anthropologiques de l’ouvrage sont d’excellente qualité.